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mercredi 15 avril 2015
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par Vyvy le 12 décembre 2006
paru le 17 mai 1971 (Apple)
1971. Les Beatles ne sont plus que souvenir, mais ce genre de souvenir irremplaçable, masse de granit sur lequels des années de musique vont se créer, contre lesquels nombres de groupes vont se rebeller. C’était il y a 36 ans, la masse granitique beatlesoïdale vient de mourir de sa belle mort : disloquée sous forme de chaos granitique, c’est-à-dire de 4 plus petites entités, qui vont tendre, une fois séparées, plus ou moins lentement à l’état de sable. L’entité Lennon a utilisé son sable pour créer un des plus beaux artifices contestataires. L’entité Harrison a fait de ses grains les sédiments du Gange, l’entité Starr en digne poussière de comète n’a fait que passer, tandis que Macca lui reste, repart, tourbillonne, revient, et ce triomphalement l’an dernier. Le sable Macca, poudre aux yeux ou vraie tempête ? Longtemps partisan de la première école, l’écoute attentive de l’objet ici chroniqué me fait de plus en plus penser que le talent de Sir James Paul McCartney n’est pas mort, écrasé, sur un célèbre passage piéton d’Abbey Road, mais est de ceux, taquins, inégaux et brillants, qui nous désespère tant, pour mieux nous reconquérir.
Ram. La langue de Shakespeare, Margaret Thatcher et Ali G a vu nécessaire d’affubler le pauvre bélier d’un tel nom. Paul, après un an et un album, seul (c’est-à-dire avec Linda et un bélier) en Écosse a décidé de rendre ici hommage à ses deux compagnons. Linda sera créditée sur près de tous les morceaux. Le bélier, lui, aura le titre. Et, car notre gaillard n’est pas sans humour, son ancien groupe pourra se réjouir du derrière de la multicolore galette, où trônent deux scarabées tout occupés à pérenniser l’espèce.
Franchissons le pas. Et écoutons ce que l’homme, « qui n’a fait que Yesterday » vaut sans ses trois complices. Le compositeur parolier, réussira-t-il sans son meilleur ennemi ? La réponse, moins évidente qu’au sujet du sieur John, ne tarde pourtant pas à se faire jour. Oui. Oui. « Les Beatles sont revenus, ils ont pour nom Paul McCartney ». [1]
Accompagnés de quelques futurs ailiers, Denny Seiwell aux fûts, Dave Spinozza et Hugh MacCracken atteignant les 12 cordes à eux deux, le golden couple quitte l’Écosse pour New York où ils vont enregistrer beaucoup et composer un peu.
Too Many People attendaient Macca au tournant, espérant qu’il se plante, lui qui avait planté les scarabées. Mais voilà, Too Many People intègre les Beatles (sonorités indiennes rappelant un apport Harrissonien aux œuvres du quatuor), les dépasse par moment (solos électriques qui n’étaient pas vraiment du genre des liverpuldiens) et sonne un départ sur les chapeaux de roues à l’album. L’album tombe rapidement sur ses 3 Legs. Paul, s’inspirant de la country, avec des chœurs insistants, une voix profonde et riche, surprend mais il réussit à créer une chanson qui, contrairement à la précédente, ne sonne pas Beatles (dans la mesure ou une chanson chantée par McCartney peut ne pas rappeler les 4 garçons dans le vent). Intrigué donc, on se laisse aller à la découverte suivante, et presque chanson titre Ram On ce qui veut dire percuter/éperonner. Ukulélé, envolée piano planante, un petit étonnant « take one... ok ! » introductif, Ram On donne ses lettres de noblesses à cette guitare liliputienne qui en avait bien besoin. Une chanson pop, une vraie, comme Macca sait le faire. Une « silly love song », dont on oublie le « silly » tant on est bercé par la mélodie, la voix, l’originalité de la chose. Alors on en redemande. Et ça donne Dear Boy légèrement réminiscent d’un Martha My Dear période scarabée, en plus dégoulinant, merci aux chœurs planant de Mrs McCartney et surtout des toudoudoudou masculins en arrière-plan. Un peu trop, mais l’abus de pop est un travers assez courant, mettons ce bonbon de côté et allons rencontrer le génial et vénérable Uncle Albert/Admiral Halsey. Ce morceau, superposition de tant de genres, d’atmosphères, d’expérience, passe de la pop symphonique, à l’orage, pour mieux revenir à la charge, au moyen d’une petite mélodie simpliste, de percussions originales, d’une voix trafiquée, et des chœurs de sirène en fond. 2 minutes et 25 secondes plus tard, radical changement, on pense à Magical Mystery Tour, et on sourit bêtement, avant de chantonner :
Heads across the skyHand across the water (water)Heads across the skyAdmiral halsey notified meHe had to have a berth or he couldnt get to seaI had another look and I had a cup of tea and butter pie(the butter wouldnt melt so I put it in the pie)
Le morceau, bien plus riche que les précédents, nous rappelle que le talent de Sir Paul ne se limite pas aux bluettes en trois accords, mais peut partir dans les trips symphonico-hippy et en sortir grandit. Sorti en single aux États-Unis, il va assurer une carrière fulgurante à l’album. Un rock plus à la Get Back se dégage dans Smile Away, on ne va pas se plaindre de ce fait. Non Macca est en forme, et cette énergie est communicative. Mais Paul revient d’un an de moutons écossais. Cette campagne, qu’il encensera plus tard dans Mull Of Kintyre mérite déjà une jolie chanson reposante. Heart Of The Country y arrive parfaitement.
Want horse/ I want sheep/I want to get me a good nights sleep/Livin in a homeIn the heart of the country.
On s’y attend désormais, les douces et simples ballades servent d’écrin aux élucubrations plus bizarres et original du sieur Macca, donc, rien d’étonnant en l’arrivée de Moonkberry Moon Delight, excepté la chanson elle-même. Paul traumatise sa voix, lui donnant une dureté, une rugosité inconnue jusqu’alors. Linda offre un soutient notable aux chœurs. Et le tout sert de pilule pour faire passer des paroles des plus...originales, pied de nez aux détracteurs du bassiste (qui serait sois disant bien plus apte à composer qu’à écrire...) :
Ketchup (ketchup)Soup and puree (soup and puree),Dont get left behind (get left behind)...When a rattle of rats had awoken,The sinews, the nerves and the veins.My piano was boldly outspoken, in attempts to repeat its refrain.So I stood with a knot in my stomach,And I gazed at that terrible sightOf two youngsters concealed in a barrel,Sucking monkberry moon delight.
Logiquement donc on retourne à un classique, encore très Get Back, j’ai nommé Eat At Home. Une chanson d’amour, encore une, chantée par les deux McCartneys. Laissons les à leur amour, et passons à la chanson suivante, Long Haired Lady. Linda y voit sa voix agréablement déshumanisée, tandis que Paul tisse d’un fil un peu mielleux, d’une voix doucereuse, mais sans tomber dans l’abus de pop, crime honteux pour lequel il s’est déjà plusieurs fois fait remarqué. Non, cette chanson, mignonne, n’en perd pas de son mordant. Si elle ne vient pas immédiatement à l’esprit comme une réussite de l’album, elle s’écoute fort agréablement.
Vient l’heure pour Macca de fermer le studio, de reprendre sa blonde et son bélier pour rentrer chez lui. Il l’annonce avec une petite reprise de Ram On, et saute dans sa voiture. Back Seat Of My Car chante-t-il. Le morceau, sorti en single au Royaume-Uni est un des morceaux les plus symphoniques de l’album. Pour la petite histoire, Paul était en procès avec ses frères scarabées, et le Lennon d’entre-eux a vu bon de prendre pour lui l’acide refrain Oh oh We believe that we can’t be wrong. Cela donnera chez John le duo Crippled Inside et How Do You Sleep, constatation douce amère que, même séparés, ces deux là continuaient à s’inspirer mutuellement.
Alors, McCartney sans les Beatles ? C’est à la fois plus que le Macca Beatles seul, et moins que les 4 ensemble. Une réussite, oui, mais qui ne se détache pas encore de ce qui a été et qui ne sera plus jamais. Plus inégal qu’un album des Beatles, la deuxième pièce de sa carrière solo va l’amener à se construire de nouvelles ailes, avec le succès qu’on lui connaît.
[1] une de presse américaine au sortir de l’album
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