Portraits
Sa Majesté : Queen

Sa Majesté : Queen

par Psychedd, Our Kid, Milner le 23 mai 2006

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À la fois adulé et honni, Queen n’est pas un groupe qui laisse indifférent. De sa musique à son sens du spectacle, en passant par la personnalité de ses membres, le groupe n’est que passions, paradoxes et talents, le tout réuni dans un écrin majestueux et jusque-là, jamais reproduit. Queen effraie, mais ici à B-Side Rock, nous n’avons pas peur de le dire : nous aimons Queen et c’est à trois que nous allons vous prouver que ce groupe à sa place au panthéon des plus grands et que, quoiqu’en dise certains, c’est certainement l’un des meilleurs groupes du monde...

Parler de Queen, revient surtout (et de plus en plus) à parler de Freddie Mercury, devenu le symbole d’une communauté, d’une époque et, depuis sa mort en 1991, le symbole d’un combat.
Mais il serait triste de ne réduire le groupe qu’à cette personnalité flamboyante. On a trop souvent oublié de parler du talent extraordinaire dont faisaient preuve tous les membres de Queen. À la fois autodidactes, perfectionnistes, travailleurs, tout simplement faits pour la musique, la combinaison de ces forces vives, le mélange de leurs influences ont fait de Queen un groupe capable de changer de style aussi vite qu’un transformiste peut changer de vêtements. Et voilà peut-être ce qui dérange le plus dans l’histoire : comment pouvoir cerner un groupe qui est capable de faire du rock dur, des ballades d’amour à vous fendre le cœur, du cabaret et tant d’autres choses dont nous reparlerons plus tard ? Comment comprendre et apprécier une musique aux facettes si multiples que le mauvais goût s’en retrouve inévitablement frôlé ? Il n’y a pas de réponse toute faite, mais il ne faut jamais perdre de vue que Queen a fait la musique avec quatre petits cœurs qui, pendant près de 20 ans, ont battu à l’unisson. Pour le meilleur et pour le pire...

Mais voilà pour nous le temps de vous présenter nos quatre acteurs principaux. Mesdames et Messieurs, voici Queen...

Petits princes deviendront Reine

Changeons tous les partis pris, et commençons les présentations par l’un des êtres les plus discrets du show biz : John Deacon, bassiste de son état. Bien qu’il soit le dernier à avoir rejoint le groupe, son rôle par la suite fut considérable. Mais ça, c’est déjà une autre histoire...
Né le 19 août 1951, il est également le plus jeune membre de Queen. Le petit John Richard Deacon est l’enfant d’Arthur et Lilian Deacon, vivant à Leicester. Avec un père bossant dans les assurances, peut-être pourra-t-on comprendre le talent inné de John pour les chiffres. C’est en 1958, à l’âge de sept ans qu’il reçoit sa première guitare (en plastique). Autant dire que ses parents lui ouvrent une voie royale. En 1962, il intègre la Beauchamp Grammar School. Un peu plus tard dans l’année, son père meurt. Loin des clichés rock’n’roll, John ne va pas devenir un dangereux rebelle traumatisé par cette perte. Timide, sérieux, il s’accroche à ses études, mais également à la musique. En 1963, il s’achète une vraie guitare acoustique, qui fait tout de même de plus beaux sons que sa petite Tommy Steele en plastique... À l’âge de 14 ans, il se produit pour la première fois en concert dans un groupe local appelé The Opposition (en tant que guitariste rythmique), pratiquant un mélange de pop, de soul et de style Tamla Motown.

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John à 14 ans

Déterminant pour la suite me direz-vous. Après tout, John, sera le premier à donner un tube funk pour Queen... Entre 1965 et 1969, The Opposition changent assez souvent de nom, dès qu’il y a un changement de personnel. De 1966 à 1967, ils deviennent les New Opposition (ils célèbrent de la sorte le passage de John du rôle de guitariste à celui de bassiste), pour redevenir The Opposition en 1968, avant de se transformer en The Art, nom un brin pompeux tout de même.

Malgré ces changements d’identités continuels, le groupe connaît un certain succès et tourne plutôt bien (on compterait à peu près une centaine de concerts... Pas mal pour un début !). En 1969, John quitte son école de Beauchamp pour entrer au Chelsea College, où il va passer des diplômes en électronique (et avec mention s’il vous plaît !). En octobre 1970, il assiste au concert d’un nouveau groupe appelé Queen. Ses souvenirs ne sont pas exceptionnels : « Ils étaient tous habillés de noir et les lumières étaient assez sombres également, donc tout ce que j’ai vraiment vu, c’était quatre silhouettes dans l’ombre. Il ne m’ont pas fait une super impression à l’époque ». Il reste cependant au sein de son groupe mais va commencer très vite à chercher ailleurs des gens motivés pour passer la seconde vitesse. Ses vœux seront exaucés en 1971, quand lors d’une soirée, on lui présentera deux jeunes gens passionnés de musique comme lui : Roger Taylor et Brian May...

Le premier, Roger Meddowes-Taylor, de son nom complet (son deuxième nom « Meddowes » est en fait le nom originel de sa famille, suffisamment ancien pour qu’on le remplace au fur et à mesure du temps par « Taylor »), est un charmant jeune homme au sourire Colgate Bright de 22 ans. Né le 26 juillet 1949 à Norfolk (dans l’ouest de l’Angleterre), dans une famille assez aisée (pour les détails biographiques extrêmes, son père s’appelait Michael et sa mère Winifred). En 1957, sa sœur Clare, lui et ses parents ont déménagé à Truro du côté des Cornouailles anglaises (Cornwall). Et parce qu’il était déjà super rock’n’roll comme jeune garçon, le petit Roger entre dans le chœur de la Cathedral School (école qu’il fréquente). La même année, il voit son cousin jouer de la guitare. Le virus l’infecte, lui aussi veut s’y mettre... Pour des raisons obscures, ce n’est pas une guitare qu’il obtiendra tout de suite, mais un ukulélé. Légère déception donc. L’erreur sera vite rattrapée et il obtiendra assez rapidement sa guitare tant aimée et va monter son tout premier groupe : The Bubblingover Boys (mais ils étaient si mauvais qu’après un seul concert, l’aventure s’est arrêtée). En 1960, il est le seul élève à réaliser cet exploit : Roger est si bon en classe que son école l’envoie dans la meilleure Public School (école privée) du coin, histoire qu’il développe encore un peu plus ses capacités. Mais le virus de la musique est toujours là et il agit de plus en plus.

En 1961, Roger se lasse quelque peu de la guitare et commence à s’intéresser de plus en plus aux percussions. Pour Noël, son père, et malgré les réticences de Winifred, lui offre son premier kit de batterie. C’est le début d’une grande histoire qui commence... Il retente l’aventure en groupe dès 1963 avec Beat Unlimited, devenant The Cousin Jack puis The Falcons. C’est à ce moment qu’il décide d’abandonner la guitare rythmique qu’il trouve chiante comme la pluie pour se mettre définitivement derrière ses fûts. Aussi marrant que cela puisse paraître, il aime la musique mais ne possède ni disques, ni platines. Il se forge sa culture grâce à son cousin et craque pour Jerry Lee Lewis, Little Richards et tous les pionniers du rock. En 1965, il intègre le groupe Johnny Quale and The Reaction. Le 15 mars 1965, le groupe s’inscrit dans un concours de « Rock and Rhythm » et arrive quatrième. Pas trop mal comme début... D’autant plus que ces petits jeunes se font un nom sur la scène locale de Truro et commencent à se produire régulièrement. En septembre de la même année, le chanteur décide de tout lâcher juste avant un concert. Sympa le garçon... Il se trouve que Roger est le seul à pouvoir le remplacer (comme quoi, la chorale, ça aide !) : ce soir là, les gens présents dans le public vont se prendre une claque en découvrant qu’il est possible de jouer de la batterie tout en chantant... Pour célébrer ce jour et le départ du premier chanteur, le groupe va raccourcir son nom en The Reaction. Bien plus simple, bien plus efficace. La preuve, l’année suivante, le groupe va participer une nouvelle fois au concours et, cette fois ci, le gagner. Si bien qu’ils y seront invités les années suivantes en tant qu’invités spéciaux.

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The Reaction

Vu qu’on est en 1966 et que niveau musique c’est quelque peu la folie, Roger va se prendre de passion pour Lennon, Dylan et Hendrix sans oublier les Who, à qui il voue un culte sans retenue. En 1967, sous la pression familiale, il bouge à Londres pour entamer des études de dentiste (ce qui expliquerait son sourire toujours impec’ ?) à la London Hospital Medical School. Autant dire qu’il aurait pu tomber plus mal. La vie d’étudiant lui plaît bien, mais la dentisterie, c’est moyennement cool. Il change de matière et préfère se lancer dans des études de biologie, plus basiques, mais moins contraignantes que l’apprentissage du détartrage. De toute manière, le but avoué de ces études était juste de se retrouver dans la capitale, en possession d’une bourse, là où tout se passait à ce moment. Il continue tout de même de jouer avec les Reaction, mais il commence à vouloir chercher autre chose de plus sérieux. Durant l’été 1968, un ami vient lui parler d’une annonce qu’il a vue à l’Imperial College, il y était écrit quelque chose comme « On recherche batteur jouant comme Mitch Mitchell/Ginger Baker pour monter un groupe de rock ». Ni une ni deux, il va passer des auditions devant un certain Tim Staffell et un grand type un peu dégingandé, Brian May. Le coup de foudre est immédiat : « Il nous sembla le meilleur batteur qu’on avait jamais vu. Je l’ai observé pendant qu’il accordait sa caisse claire (quelque chose que je n’avais jamais vu faire) et je me rappelle qu’il avait l’air d’un vrai professionnel » (Brian May). Le trio réuni va former le groupe Smile... Mais avant cela, parlons un peu de ce grand guitariste à la coupe afro.

Brian May est né le 19 juillet 1947 à Gloucester. Seul enfant de Ruth et Harold May, il est un peu l’enfant prodige... Son père, ingénieur en électronique et dessinateur au ministère de l’Air est également un bon bricoleur, mais surtout un bon musicien. Il apprendra à son fils, alors âgé de 7 ans, comment jouer du ukulélé (décidément...). Sauf qu’à la différence de son futur collègue apprenti dentiste, il aimera. À côté de cela, il commence les leçons de piano. Il se montre si rapidement doué, qu’il obtiendra vite une guitare acoustique espagnole dont il apprendra à jouer seul. Sa soif de musique est si forte qu’il va vite s’intéresser à pleins d’autres instruments tels que la harpe. Et non content d’être un autodidacte particulièrement doué, il a en plus une tête bien remplie et une aptitude particulière pour l’astronomie et la photographie (et papa May y est toujours pour quelque chose...). En 1956, à 9 ans, il est déjà un bon pianiste qui a obtenu un diplôme à la suite de ses cours qu’il déteste, les trouvant trop restrictifs et bien trop cadrés à son goût. Il les abandonne très vite, mais continue de jouer pour lui et seul, autodidacte jusqu’au bout des bouclettes... En 1958, il rentre à la Hampton Grammar School, la même école que celle de son paternel, tradition oblige (son propre fils y ira lui aussi d’ailleurs) et se fait pleins de potes, prompts à causer musique et guitare. En 1963, à 16 ans donc, Brian fortement influencé par Lonnie Donnegan, Tommy Steele et Buddy Holly And The Crickets, commence à se dire qu’il pourrait bien monter son propre groupe. Une chance pour lui, il est aussi manuel et bricoleur que son père. Détail qui va lui servir pour assouvir sa plus grande passion, la guitare. Brian rêve et bave à l’idée d’avoir un jour en sa possession une Fender Stratocaster qui coûte un peu trop cher pour son petit budget d’étudiant.

Il va alors demander à son père de l’aider pour fabriquer sa propre guitare électrique. Aussitôt dit, pas aussitôt fait. Il va falloir plus de 18 mois pour que la guitare mythique de Brian May soit enfin achevée. Adeptes du système D, père et fiston s’attaquent à l’acajou de la cheminée pour obtenir le corps de l’instrument, il dépèceront un peu de la même manière une vieille mobylette, sur laquelle ils vont récupérer moteur, ressorts et autres pièces métalliques. À la fin de l’assemblage, la guitare fonctionne. Et très fort, son prix s’est élevé à 8 livres sterling. Encore plus fort, la désormais « Red Special » va suivre Brian tout au long de sa carrière. Il aura même un mal fou à ne pas jouer avec elle. C’est beau le talent. Et pour faire toujours plus fort et original, le petit May aime faire joujou avec le son : il va essayer bon nombre de médiators mais va finir par choisir une pièce de 6 pennies qu’il préfère pour le son puissant qu’il amène. Parce que, c’est pas pour se vanter, mais sa petite guitare fabriquée maison va au final être plus puissante que celles, achetées dans le commerce, de ses potes. À côté de cela, le jeune prodige va voir pas mal de concerts dès qu’il peut. Il découvre à cette époque The Yardbirds, The Stones et Clapton, ce qui, on l’admet, représente pas mal de bonnes grosses claques musicales en plein dans la face.

Brian joue dès qu’il peut, avec qui il peut, si bien qu’il devient un SGF, un Sans Groupe Fixe, réputé et très demandé. Le premier à lui mettre réellement le grappin dessus en 1964, est un certain Tim Staffell, qui est chanteur et cherche un guitariste pour monter un groupe de rock (comme beaucoup de monde à l’époque). Ils choisissent vite le nom « 1984 » en référence au roman de George Orwell, mais aussi en référence à un futur qui leur semble bien éloigné. En gros, le monde est à eux. Et ils n’ont pas tort. 1984 va avoir pas mal de moments de gloire.

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1984

Il faut dire qu’ils savent gérer l’image. Pour leur premier concert, tous les membres du groupe décident de monter sur scène en costumes militaires. En 1965, Brian rentre à L’Imperial College de Londres dans la section d’astronomie. Et il va vite faire un constat accablant : l’astronomie, c’est bien quand on n’est pas astronome... Heureusement que la musique est là pour le sortir du quotidien d’étudiant. Toujours avec 1984, il continue de se produire en concert. L’année 1966 est assez calme, les membres du groupe étant plus concentrés sur leurs études respectives que sur le music-buisness. Pourtant en 1967, comble de la classe, ils vont assurer la première partie du Jimi Hendrix Experience lors d’un concert à l’Imperial College. De quoi défriser notre guitariste encore amateur qui va rencontrer son idole...

L’expérience se reproduira même le 23 décembre 1967 et le groupe vivra l’apothéose de sa courte carrière en jouant à l’Olympia de Londres, juste avant des groupes comme Traffic, Pink Floyd et The Jimi Hendrix Experience. Grande classe. Mais la gloire n’est qu’éphémère et 1984 va splitter assez vite. En 1968, Tim Staffel qui a décidé de s’accrocher, rentre au Ealing College Of Art, école d’art où sont passés entre autres Pete Townshend et Ron Wood. Il garde contact avec Brian avec qui il veut continuer la musique. Ce dernier, qui n’a que 21 ans, vient de réussir à obtenir des « honours degrees » en maths et physique. Un de ses professeurs est tellement impressionné qu’il lui propose de venir travailler dans un laboratoire de recherches astronomiques très réputé. Offre que Brian décline : il préfère largement garder le statut d’étudiant à l’Imperial College, et décide d’entamer une thèse d’astronomie qu’il n’arrivera jamais à finir. Ses projets musicaux ne restent pas en suspens car avec Staffel, il recrutent un batteur et décident de monter un trio appelé Smile. Ils auront un certain succès et compteront parmi leurs fans, un certain Freddie Bulsara, ami de Tim Staffell.

Drôle de type que ce Bulsara, avec ses grandes dents qu’il cache quand il rigole. Timide et extrêmement discret, il est également un passionné de musique et d’art. Le genre de gars sympa mais qu’on ne remarque pas forcément. Il faut dire que Freddie a été ballotté tout au long de sa jeunesse et que ce n’est pas ainsi que l’on arrive à se faire des relations durables...
Né le 5 septembre 1946 sur l’île de Zanzibar, au large de l’actuel Tanzanie, Farookh, (son véritable prénom) est le fils de Bomi et Jer Bulsara, tous les deux d’origines perses. Son père, haut fonctionnaire, diplomate pour ce qui est encore à l’époque l’Empire britannique est un peu la cause de tous ces déplacements successifs. À noter que pour bien commencer sa vie, Farookh, alors âgé de six mois a remporté un concours de beauté de bébé (allez-y les mauvaises langues, lâchez-vous...).

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Freddie, bébé

En 1954, pensant que cette solution est la meilleure et qu’elle va aider son fils à se stabiliser, Bomi l’emmène avec lui en Inde, où il le met dans l’internat St Peter, du côté de Bombay (plus précisément, à Panchgani). C’est là-bas que ses camarades de classe vont commencer à l’appeler Freddie (apparemment il vaut mieux avoir un nom anglicisé dans un internat anglais...), nom que même sa famille va adopter par la suite. L’enseignement qui y est prodigué est typiquement britannique, le petit Freddie n’échappe pas aux leçons de cricket et à la course de fond, disciplines qu’il déteste particulièrement. À coté de ça, il excelle au ping-pong et gagne plusieurs compétitions, se débrouille très bien à la boxe (qui l’eut cru ?), mais sa mère inquiète, lui demande d’arrêter.

Mais le sport ne fait pas tout et le jeune garçon se révèle extrêmement brillant dans les études : à l’âge de 12 ans, il reçoit un prix d’excellence, élu meilleur élève toutes catégories. Ses professeurs admiratifs notent aussi son aptitude pour la musique et demandent à ses parents de lui payer des leçons afin qu’il apprenne à jouer d’un instrument. Leur choix va se porter sur le piano, choix judicieux par ailleurs, ici encore le gamin prouve qu’il a un talent particulier. Sa soif d’apprendre et de découvrir est si grande qu’il écoute tout ce qu’il est possible d’écouter dans un pensionnat en Inde. Beaucoup de musique indienne, cela va de soi, mais aussi de l’opéra, qu’il affectionne tout particulièrement. Et comme si cela ne suffisait pas, Freddie possède également un grand sens artistique et pratique beaucoup le dessin. En plus du piano, il pratique le chant dans la chorale de l’école et décide avec quelques amis de monter un groupe, The Hectics, au sein de l’internat, en 1958. Ils assureront l’animation lors des soirées organisées pour les élèves. Freddie semble effectivement trouver un équilibre, mais en 1962, il finit ses études et retourne à Zanzibar. En 1964, une instabilité politique sur l’île oblige la famille à déménager en Angleterre. Le choc est rude pour l’adolescent de 17 ans qui se retrouve subitement propulsé dans une banlieue du Middlesex, à Feltham, grise et triste, après avoir grandi au milieu de l’exotisme et d’un certain luxe. Mais cela n’a pas que des aspects négatifs. Il décide de rentrer dans une école d’art afin d’obtenir le dernier grade, lui ouvrant les portes de l’Université.

Ses aptitudes naturelles étaient si fortes, que ce fut assez facile. En 1966, il rentre au Ealing College Of Art... Ses anciens camarades de classe n’ont pas un souvenir marquant de lui. Encore marqué par le changement brutal qui s’est opéré dans sa vie, Freddie est la plupart du temps silencieux et réservé. Quand on lui demande ce qu’il fait comme activité, il répond qu’il est musicien pour passer le temps. Chose que les autres ont du mal à croire, vu son manque évident de charisme et de folie, à une époque où ça part en vrille. En 1967, il se prend la plus grande claque de sa vie : la découverte de Jimi Hendrix est un choc sans nom pour notre jeune étudiant, qui entame alors une véritable campagne de vénération. Il s’habille comme lui, veut apprendre à jouer de la guitare, il le dessine, encore et encore. Pour autant, il n’a toujours pas l’étoffe d’une rock star. Un ancien « camarade » s’en rappelle en ces termes : « Il était plutôt faible de caractère et rigolait toujours bêtement comme une gamine. On ne pensait pas qu’il était très doué. Quand il se mettait debout et qu’il imitait Jimi Hendrix, on lui disait toujours : " Assieds-toi Freddie, tu ne seras jamais une vedette" ». Sympathique et peu clairvoyant...

Afin d’être plus proche de son école, Freddie s’est installé dans un appartement à Kensington, lieu très branché de Londres à l’époque. Il en repeint les murs de motifs psyché (toujours pour faire comme son idole) et passe beaucoup de temps au Kensington Market, l’endroit où il faut être vu. À cette époque, il se lie d’amitié avec un garçon de son école, un dénommé Tim Staffell. Ce dernier lui enseigne les rudiments de la guitare (environ trois ou quatre accords) et le ramène souvent aux concerts de son groupe, Smile. Freddie va se prendre de passion pour eux et les suivre un peu partout, avant d’avoir lui-même envie de faire son propre truc dans son coin...


Smile, Ibex and Co.

L’histoire est en marche mais Queen est bien loin d’exister. L’étape Smile est très importante dans l’évolution des choses, non seulement pour Freddie qui, grâce à Staffell, se lie d’amitié avec leur batteur, Roger Taylor, mais aussi découvre le jeu puissant de Brian May et commence à lui vouer une sorte d’admiration. Il faut dire que ce petit groupe a un potentiel énorme... Bien que semi-professionnel (nos jeunes étudiants ne sont pas encore prêts à franchir le cap), Smile a de l’ambition et un enthousiasme à l’épreuve des balles. Chéri par Brian May, qui met tout son cœur dans ce projet, porté par l’énergie communicative de Roger Taylor, toujours prompt à faire la chouille et dirigé par Tim Staffell qui a des idées très précises quant à son évolution, le groupe va d’abord faire sensation dans le milieu estudiantin. À l’Imperial College bien sûr, puisque c’est là que tout a commencé et qu’en plus May s’y est fait suffisamment de contacts pour permettre à la petite bande d’assurer des premières parties de groupes aussi prestigieux que Pink Floyd, Family ou Yes. Dès la fin de 1968, les membres de Smile s’entourent d’une équipe presque digne de professionnels.

En premier lieu, ils se trouvent un manager, Peter Abbey, un élève dentiste que connaissait Roger, suivi par un ami de Brian, Pete Edmunds, qui les rejoint dans le rôle de roadie. Puis Tim décide de mettre à profit ses études d’art pour créer un logo pour le groupe : un sourire presque carnassier qui n’a rien à envier au futur logo des Stones (vous savez, celui avec la langue...).

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Taylor et le logo de Smile

Selon eux, l’une des plus belles réussite de Smile. Après tout, après avoir envoyé une démo au label Apple des Beatles, la seule réponse qu’ils ont obtenue fut que Paul McCartney aimait leur logo. Est-ce qu’il a aimé leur musique ? L’histoire ne le dit pas... Mais avant les compos, Smile fait surtout des reprises, qu’ils jouent fort et longtemps (parfois plus de 20 minutes). Après tout, l’ambition de Staffell était d’être puissants et intelligents dans la maîtrise de cette puissance (en gros, pas la peine de faire saigner les tympans des pauvres auditeurs). Smile a de l’énergie et le fait savoir : à la suite d’un concert donné le 27 février 1969 (avec Joe Cocker ou encore le Bonzo Dog Dooh Dah Band), une critique du Times (rien que ça !), les qualifie de « groupe le plus bruyant en Occident ». Autant dire que ça en jette pas mal... Les contrats de concerts s’enchaînent et le 19 avril 1969, ils se produisent au Speakeasy. C’est là qu’ils vont être repérés par Lou Reizner, représentant de la maison de disque Mercury (un présage ?). Ce dernier leur propose d’enregistrer un single qui pourrait les lancer sur le marché. Premier problème : le groupe ne fait que des reprises. Mais Staffel a quelques morceaux en stock, dont un appelé Earth et un autre, Step On Me, qu’il a écrit avec Brian à l’époque de leur groupe 1984.

L’enregistrement va se faire aux Trident Studios à Londres, avec une troisième chanson, Doin’ Alright, le tout dirigé par un certain John Anthony, connu pour avoir produit bons nombre d’artistes du label Charisma (Genesis ou Van Der Graaf Generator). Arrive le second problème : les membres du groupes ont signé trop vite un contrat ne concernant que les États-Unis (Mercury n’ayant pas de succursale en Angleterre). Leur single ne paraît donc que de l’autre côté de l’Atlantique, sans pub ni promotion. Une pratique étrange, certes, mais qui avait réussi pour Deep Purple, d’abord édité chez l’Oncle Sam avant de connaître le succès en Angleterre. Un gros coup dans l’eau qui les déprime un peu tout de même. Mais le label ne perd pas le nord et pensant que le format single n’est pas fait pour Smile, il leur propose de faire d’autres chansons en vue d’enregistrer un album. Projet avorté dans un temps record : les démos, enregistrées en septembre 1969 aux studios De Lane Lea, ne semblent pas plaire à la maison de disque qui ne donne pas suite à l’aventure (bien que depuis, une réédition de l’ « œuvre » de Smile ait vu le jour). Profondément écœuré, Staffell annonce sa décision de quitter le groupe, affirmant que l’orientation rock qui a été prise ne lui convient pas. Début 1970, Smile a officiellement splitté et Freddie Mercury se joint à Roger et Brian pour monter leur propre groupe.

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Smile au complet (de gauche à droite : Staffell, Taylor et May)

Il faut dire que Freddie n’a pas eu le temps de chômer pendant que Smile tentait de nager au milieu des requins de la musique. Sorti du Ealing College, un diplôme en poche, il décide d’emménager chez Roger Taylor devenu son grand pote. Tous les deux décident même d’avoir un étal au Kensington Market. Freddie y vend tout d’abord ses œuvres ainsi que celles de ses camarades de fac, mais très vite, ils décident tous les deux de faire de la récupération et de la vente de fringues. Plan qui ne marche pas à tous les coup : un jour que les clients ne se précipitent pas vraiment, Freddie décide de vendre la veste de Roger pour 20 livres, histoire de se payer un ticket de bus. Heureusement qu’on ne se brouille pas définitivement pour une veste... À côté de cela, il prend plus d’assurance et commence même à donner son avis aux membres de Smile quand il va les voir en concert. Et comme il a des idées, il décide de les appliquer pou lui même. Le 13 août 1969, on lui présente un groupe de Liverpool appelé Ibex, venu à Londres, histoire de percer. Il est tellement content de pouvoir enfin mettre en pratique sa conception d’un show qu’il se jette tout de suite dans l’aventure. Le groupe voyage donc jusque dans le Lancashire et donne quelques concerts. Le contraste est fulgurant, Freddie (encore appelé Bulsara) possède un sens inné du spectacle et un charisme, qui, bien que brouillon et naissant, scotchent assez vite ses partenaires et les spectateurs quand il est sur scène. Alors que quand il revient dans les coulisses, il est à nouveau ce gentil gars introverti qui ne moufte pas...

Il existe des bandes sonores d’un des concerts d’Ibex, qui montrent que Freddie à la voix suffisamment puissante pour assurer un répertoire rock à vous arracher la tête : le groupe qui ne fait que des reprises, joue du Cream, du Hendrix (bien sûr) et surtout la dernière sensation qui va bientôt devenir l’une des plus grandes références de Freddie et de ses futurs compagnons de Queen : Led Zeppelin, dont le son de guitare fascine le chanteur en herbe... Tristesse chez les fans : ces bandes sont coupées au moment où Ibex est rejoint sur scène par Brian et Roger. Prenant toujours plus confiance en lui, Freddie décide d’effectuer quelques remaniements dans son groupe. En octobre 1969, il décide de changer le nom d’Ibex et choisit Wreckage au moment où leur batteur s’en va et est remplacé par Richard Thompson qui a officié au sein de 1984. Mais le changement ne porte pas bonheur et le groupe splitte très vite. Décidé à ne pas abandonner, Freddie repère une annonce dans le Melody Maker, où l’on demande un chanteur. Il va passer les auditions et fait un tel carton qu’il est pris sur le chant. Désormais plus sûr de lui, il fait des prouesses avec sa voix puissante et assure des prestations théâtrales qui ne laissent pas indifférents, d’autant plus qu’il possède déjà un jeu de scène qui lui est propre (dont son fameux micro sans pied, résultat d’un « accident » qui se produisit lors d’un des derniers concerts de Wreckage). Ce groupe s’appelle Sour Milk Sea et va très vite commencer les répétitions et se produire à Oxford. À peine deux mois après le début de l’aventure, Jeremy “Rubber” Gallop, le guitariste rythmique, à qui appartient tout le matos, décide de tout remballer.

La boucle est bouclée, en avril 1970, Freddie change son nom de famille en Mercury, nom qu’il trouve de bon présage, et rejoint Brian et Roger, qu’il aide à remonter la pente après le désastre de Smile. Porté par une fabuleuse confiance en l’avenir, d’une joie et d’une motivation communicatives, il redonne l’envie de faire quelque chose de sérieux à ses deux nouveaux compagnons... Également persuadé qu’un groupe doit avoir, en plus de la musique, un aspect visuel non négligeable, il impose peu à peu une image forte et toujours plus théâtrale. Pour achever le tableau il propose un nom pour le groupe : Queen.


As It Began

Queen... Nom presque magique qui provoque pourtant une crise de fou rire pour Brian May et Roger Taylor, puis une étrange sensation un peu inquiétante. Non pas que ça sonne mal, mais il fallait tout de même avoir le cran pour un groupe de garçons de se faire appeler « Les Reines ». Notion déjà homosexuelle, mais aussi trop grandiloquente et exubérante pour Brian qui, une fois sa stupeur passée, se fâche pour de bon. Mais Freddie a des arguments : « J’ai eu l’idée de Queen il y a des années. Ce n’était qu’un nom, mais évidemment, il était royal et résonnait magnifiquement..., c’était un nom fort, très universel et immédiat. Il avait un fort potentiel visuel et il était ouvert à tous types d’interprétations. Bien sûr que j’étais conscient de sa connotation homosexuelle, mais ce n’en était qu’une facette » . Et à cette époque, ce n’est réellement qu’une facette peu importante, car en 1970, Freddie rencontre Mary Austin dont il va tomber éperdument amoureux et qui, comble de la chance, est l’heureuse propriétaire d’une boutique de fringues à la mode... Une fois la tempête passée et le nom de Queen adopté, il est temps de passer aux choses sérieuses. Tout d’abord, trouver un bassiste, ce qui, on va le voir, ne fut pas une chose facile pour nos trois amis. Le premier, Mike Grose, était un ami de Roger (avec qui il avait joué dans les Reaction), qui, non content de posséder un énorme ampli Marshall™, était aussi l’heureux propriétaire d’un van Volkswagen™.

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Queen avec Mike Grose

Ils se produisirent rapidement en concert, à Truro, pour une date originellement prévue pour Smile, le tout pour cinquante livres. Preuve que le courant passe plutôt bien, ils commencent déjà à créer leurs propres compositions, si bien qu’à la date suivante, à l’Imperial College, ils jouent Stone Cold Crazy et Liar. Pour ce concert, Freddie décide de pousser le perfectionnisme jusqu’à dessiner les tickets lui-même, tickets où apparaissait la première mouture de leur logo désormais célèbre. Et même si tout semble bien rouler, Mike Grose préfère quitter l’aventure après le troisième concert...

Durant l’été 1970, Barry Mitchell est recruté pour tenir la quatre cordes. Il va rester environ 6 mois dans Queen avant de lui aussi lâcher l’affaire. Décidément... Ils n’auront pas plus de chance avec le troisième, un certain Doug, qui lui, tient juste le temps de se produire deux fois dans le groupe.
Au milieu de ces problèmes logistiques, le groupe trouve tout de même le moyen d’élaborer des spectacles de plus en plus grandiloquents : les vêtements sont de plus en plus élaborés et ils se ruinent dans les éclairages (leur jeu de lumière est même plutôt bon pour un petit groupe amateur). Plus le temps avance, et plus ils ont l’envie commune de totalement trancher avec la mode chez les musiciens de l’époque : jouer en jeans/T-shirts, tout en regardant ses chaussures, puis quitter la scène sans rien dire. Non, eux, ils veulent du spectacle total et donner des concerts d’où les spectateurs ressortiraient ravis et sur les rotules.

Le 18 décembre, quand on leur annonce la mort de Jimi Hendrix, leur idole à tous, ils lui rendent hommage en jouant Voodoo Chile pendant les répétitions. Roger et Freddie ferment même leur étal à Kensington en signe de deuil. Ces deux-là d’ailleurs, ont besoin de changement : ils habitent dans un appartement avec dix autres personnes et la vie en communauté commence à gravement les gonfler. Freddie cherche et trouve un appart’ à Shepherd’s Bush et, comble du bonheur, la vieille dame à qui il appartient y a laissé son piano. De quoi passer de bons moments entre musiciens. À la fin du mois, leur réputation a tellement grandi qu’ils vont jouer à Liverpool, dans la désormais mythique Cavern.

Fin janvier 1971, dans la boîte du Maria Assumpta Teacher Training College, on présente Brian et Roger à un jeune gars qui joue de la basse dans un petit groupe. Mis au courant de leur détresse face au manque de bassiste, il se décide pour aller passer une audition quelques jours plus tard (savait-il que c’était les membres du groupe médiocre qu’il avait vu quelques mois avant ?). Audition positive qui voit l’arrivée définitive de John Deacon au sein de Queen. Il était temps... Ce dernier, deux mois plus tard, rencontre sa future femme dans la même boîte. À croire que les astres protègent le groupe. Il n’a pas le temps de roucouler, car dès le 2 juillet, il commence les concerts avec Queen. Le tout premier se passe dans une fac du Surrey. John est tout content de pouvoir monter sur scène avec ce groupe qui a l’air rôdé, mais il fait la faute ultime : il porte l’une de ses chemises préférées, tellement simple que Freddie en fait une syncope et lui propose illico de se changer et d’enfiler quelque chose de plus « visuel ». S’ensuit une engueulade (pour une première, c’est tout de même pas mal !) qui au final n’aura pas vraiment d’issue. John est John, dans sa plus grande simplicité, il va falloir faire avec. Pour la peine, le concert ne se passe pas trop mal et le bassiste reste tout de même. Le 17 juillet, ils entament une tournée du côté des Cornouailles, ce qui va permettre aux quatre jeunes gens de pouvoir faire plus ample connaissance.

Mais ce n’est pas pour autant que le groupe devient pro. Non, John et Brian sont toujours dans leurs études, un filet de sécurité, et quitte à vivre de la musique, autant être parfaitement au point. Philosophie appliquée à la lettre par Queen qui multiplie les concerts gratuits, les répétitions et qui compose le plus possible. Cet « entraînement » intensif dure pendant près de deux ans. Deux ans durant lesquels ils doivent affronter bon nombre de situations embarrassantes. Le 28 janvier 1972, par exemple, ils donnent un concert au Bedford College devant six personnes. Dur...
Heureusement que tout n’est pas négatif. Par le plus grand des hasards, le groupe décroche un contrat d’un genre un peu spécial, mais qui va être déterminant pour la suite des évènements. Les studios Trident à De Lane Lea (ceux-là même où Smile avait enregistré sa deuxième démo) leur propose d’être des « démonstrateurs », c’est-à-dire qu’ils doivent faire une démonstration de la qualité sonore et des nouveaux équipements, pour les clients potentiels. En échange de quoi, ils peuvent utiliser plus ou moins librement ces studios pour répéter leurs propres compositions (généralement la nuit, quand il n’y a personne). Ils rencontrent à ce moment un personnage décisif pour leur histoire : le producteur Roy Thomas Baker, qui se lance à peine dans le métier (même s’il a eu une expérience avec Ten Years After) et qui, en novembre 1972, accompagné de John Anthony (déjà rencontré lors de l’épisode Smile), propose à Queen de passer une audition, apparemment réussie, puisqu’à partir de celle-ci, Trident accepte de financer l’enregistrement de ce qui va être le tout premier album du groupe. Mais il ne faut pas pour autant croire qu’à partir de ce moment, ils ont droit à tous les honneurs. Loin de là même, puisqu’ils doivent encore utiliser les studios seulement pendant les heures creuses, attendant patiemment que les artistes plus importants aient enfin quitté les lieux. Une autre erreur d’aiguillage se fait : on confie le groupe à Jack Nelson, un manager américain, qui préfère essayer de vendre tout un stock d’artistes Trident, plutôt que de se concentrer seulement sur Queen. Heureusement que ce Nelson n’a pas que des mauvais côtés : il est celui qui a persuadé EMI de les prendre sous son aile. Vaguement intéressés, les patrons du label acceptent de garder ce petit groupe et leur verse une avance de deux mille livres.

Mais l’affaire n’est pas claire : la maison de disque se demande s’il n’y a pas plus à tirer de ce chanteur à la voix incroyable que de son groupe bruyant et trop rock. Une expérience est tentée : on fait enregistrer deux reprises à Freddie seul : I Can Hear Music de Phil Spector mais popularisée par les Beach Boys et Goin’ Back de Goffin/King, le tout sous le nom de Larry Lurex, parodie de Gary Glitter. Heureusement pour Queen et malheureusement pour EMI, ce single est un bide monumental. Larry Lurex disparaît aussi vite qu’il est apparu...


Pour autant, le groupe continue l’enregistrement du disque qui va enfin voir le jour le 13 juillet 1973. Chose amusante, Queen revendique fièrement ne pas utiliser de synthétiseurs sur la pochette du disque. Sobrement intitulé Queen, il s’ouvre sur Keep Yourself Alive, sorti comme single quelques jours auparavant. Single un peu étrange à vrai dire : critiques plutôt acceptables à l’exception notable de Nick Kent qui le qualifie en toute sympathie de « véritable pot de chambre ». Cette chanson a également droit à un drôle de traitement de faveur par la BBC. Michael Appleton, producteur au sein de cette

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Deacon, bassiste tranquille

vénérable institution, se rappelle avoir reçu un disque dit « White Label », c’est-à-dire, sans aucune indication dessus, pas de groupe et pas de titre. Après une écoute plutôt satisfaisante, Appleton contacte un ami à lui, propriétaire d’une collection de films et lui demande de faire quelque chose... Résultat étrange dont il se souvient : « La première fois que nous avons programmé de la musique de Queen c’était, je crois, le 24 juillet 1973. C’était Keep Yourself Alive. La vidéo était composée d’extraits d’un film de campagne du président Roosevelt ! »...

Il existe aussi un « clip » plus académique de ce morceau où l’on peut voir le groupe jouer et surtout admirer le talent indescriptible de Freddie pour foirer le play-back.
A côté de cela, l’album fait un score honorable : 24ème dans les charts, il va y rester pendant 17 semaines (et offrir un premier disque d’or à Queen). Pas trop mal pour un début. Et quelque chose épate particulièrement EMI qui finit par se rendre compte qu’elle n’a pas à faire à de simples amateurs : leur capacité à comprendre l’importance d’une bonne communication et d’un visuel frappant fait la différence avec bon nombre de groupes débutants. Déjà qu’à cette époque, le glam est en pleine apogée, Queen tombe plutôt très bien : leurs costumes extravagants, la personnalité ambiguë de leur chanteur, leurs compositions complexes, directes et efficaces, tout laisse penser qu’ils ont de beaux jours devant eux. Pourtant, aussi bizarre que cela puisse paraître, les membres de Queen ne sont pas des monstres gonflés d’ambition. Ils pensent même que leur carrière musicale ne va pas durer. Même Freddie, qui en 1986 le dit clairement : « Je pensais qu’au bout de cinq ans, j’aurais à me recycler... En nurse ou quelque chose comme ça... Je ne sais pas... ».
Mais à l’époque, ils ont encore le temps de penser à leur passion pour la musique.

Après la sortie de l’album, Jack Nelson décide d’engager un publiciste, Tony Brainsby, qui avait déjà travaillé avec Thin Lizzy ou Cat Stevens, histoire de marquer le coup auprès de la presse anglaise. Mais quand Brainsby arrive, la moitié du boulot a été pré-mâché par Queen : après près de deux ans à se façonner, ils ont déjà une identité visuelle qui leur est propre et un logo que Freddie a eu le temps de retravailler depuis le concert de l’Imperial College. Ce logo aujourd’hui parfaitement connus de tous les fans, représente un « Q » majuscule entouré de deux lions couronnés, d’un crabe et de deux petites fées de chaque côté, soient les signes astrologiques des quatre membres (deux lions, un cancer, un vierge), le tout surmonté d’un phénix, signe de puissance et peut-être un clin d’œil aux difficultés passées dont le groupe s’est toujours relevé, survivant et toujours plus fort... Mais le problème, c’est que, pourtant conscient de l’impact de l’image, Freddie n’est toujours pas plus sûr de lui et reste désespérément complexé par ses dents proéminentes. Il surveille de très près les photos que l’on fait du groupe et préfère éviter de s’adresser trop souvent à la presse. Chose qui sera mal interprétée et qui sera vue comme du snobisme pur et dur par la presse musicale qui va commencer à les bouder... Après Keep Yourself Alive, le groupe sort Liar qui connaît aussi un certain succès (là aussi, il existe une vidéo avec foirage de play-back tout à fait hilarant). Sur scène, l’heure est à la démesure. Le groupe a maintenant sa propre styliste qui s’arrange pour faire des costumes de plus en plus spectaculaires, mais aussi des collants de plus en plus moulants pour Freddie. Costumes tellement moulants, qu’un certain Billy Squire (musicien et ami du groupe) en rigole encore, se rappelant de Freddie dans un de ces fameux moule-burnes improbable : « J’étais dans un restaurant et j’ai vu Freddie arriver. Il est resté debout, a attendu un peu, a jeté un coup d’œil sur les côtés, pour voir si on ne le regardait pas, et il a défait son bouton de pantalon. Et seulement là, il a pû s’asseoir. Ah ! Le pouvoir de l’image ! ».

Et il ne croit pas si bien dire. Cette image qui va commencer à rameuter de plus en plus de fans, intrigués par la réputation scénique de ce groupe qui fait un rock puissant, mené par un chanteur que l’on dirait tout droit sorti d’un pot de paillettes. Glam, sans vraiment l’être.
Queen est déjà à part à cette époque. On qualifie leur musique de « heavy rock », c’est dire si à l’époque c’était quelque chose (au moins ça change du sempiternel « hard fm » !). Autre point important, sur scène, Queen ne joue pas que ses propres compositions. Le groupe préfère intercaler quelques reprises rock’n’roll, histoire que le public puisse se rattacher à un élément connu et leur montrer qu’en toute modestie et sincérité, ils savent d’où ils viennent...

Vu que l’évolution est assez rapide et qu’EMI commence à s’emballer sérieusement, le premier album à peine sorti, on propose déjà au groupe d’enregistrer le suivant. Enregistrement qui se fera à nouveau aux studios Trident, durant l’été 1973, mais cette fois-ci, dans des créneaux horaires normaux. Un début de reconnaissance en somme...
Afin de voir si ça peut marcher en dehors de leur circuit habituel d’amis et d’étudiants, Jack Nelson parvient à faire engager Queen sur la tournée de Mott The Hoople, en tant que première partie. Bon coup de pub, puisqu’à cette époque, ces derniers sont le petit groupe protégé de David Bowie (qui leur a offert All The Young Dudes). Histoire de corser un peu, cette tournée commence, le 13 octobre 1973, par Francfort. On ne sait pas trop comment ça s’est passé, mais apparemment pas trop mal, puisqu’ils restent vivants et qu’ils retournent en Angleterre. Le 2 novembre, ils se produisent à l’Imperial College, qui est un peu leur fief. La preuve, les billets écoulés à une vitesse record et les amis incapables de pouvoir aller voir Queen, pour cause d’affluence trop forte... Selon certains, les gens présents ce soir là, ne l’étaient que pour Queen, qui remporta un tel succès que Mott The Hoople fit pâle figure à leur suite.

Les choses sérieuses commencent le 12 novembre 1973, à Leeds. Pour les membres du groupe, cette date marque officiellement leur entrée dans le milieu professionnel de la musique (sauf John qui n’est pas encore tout à fait décidé...). Tout au long de la tournée, Queen va briller toujours plus fort et rallier à sa cause toujours plus de fans, le tout en 45 minutes d’énergie pure.
Preuve que cette notoriété ne dure pas que le temps d’une tournée, au début de l’année 1974, Queen est élu « meilleur nouveau groupe » par les lecteurs du magazine Sounds, avant que le Melody Maker itself ne les qualifie de meilleur groupe de l’année (n’en déplaise à Nick Kent). En janvier, ils ont une idée ambitieuse mais qui va tourner en eau de boudin : conquérir l’Australie en participant à un festival organisé là-bas. Le problème, c’est que leur image ne plaît pas particulièrement aux Australiens qui leur assurent un accueil plus que glacial. Ils décident donc de repartir aussi vite qu’ils sont arrivés, mais sont accueillis à leur retour par une excellente nouvelle : Ronnie Fowler, chef de la promotion chez EMI a reçu un coup de fil du producteur de l’émission mythique Top Of The Pops qui lui demandant s’il a un artiste capable de remplacer David Bowie, indisponible pour interpréter son Rebel Rebel. Fowler ne réfléchit pas très longtemps, c’est Queen qu’il leur faut. Certes, cela fait un peu « roue de secours », mais pour passer à Top Of The Pops à l’époque, on est prêt à vendre sa mère quand on est musicien...

Léger petit souci, le groupe n’a pas de hit, son deuxième album n’est même pas achevé et c’est dans la panique générale que EMI choisit Seven Seas Of Rhye comme single, à peine cinq jours après avoir confirmé leur présence sur le plateau de l’émission. Plutôt un bon choix, puisque la chanson arrive dixième dans les charts et les squatte pendant près de deux mois. À ce moment, Queen décide alors de tourner un peu à travers l’Angleterre, histoire de tâter le terrain avant l’arrivée du second opus, mais cette fois-ci, en tant que tête d’affiche. Ils engagent le groupe Nutz pour assurer leurs premières parties et le chanteur est plutôt surpris de la sympathie des membres du groupe : « Ils se sont comportés de façon splendide avec nous, ils nous ont aidés quand ils le pouvaient, ils faisaient en sorte qu’on n’ait pas de problèmes pour les essais de son, ils nous invitaient à toutes leurs fêtes. Ils ont été extrêmement aimables avec nous. »

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Mercury et le photographe Mick Rock

Puis le 8 mars 1974, c’est l’album Queen II qui sort et qui va faire son petit effet : cinquième dans les charts et 100.000 exemplaires vendus en six mois. Il faut dire que Queen II est un véritable petit bijou très rock, d’où émerge une pop absolument délicieuse, où se mélangent les influences (The Who et Led Zep en tête) tout en gardant un aspect original et personnel et toujours sans l’utilisation de synthétiseurs (ils sont toujours aussi fiers de l’indiquer). Le groupe y prouve également qu’il n’est pas prisonnier d’un seul et unique style.

Mais maintenant que l’Angleterre commence à succomber, il est temps de s’attaquer aux États-Unis, marché extrêmement dur à conquérir si on ne tourne pas un minimum... Queen met ses ambitions de côtés et repart en tant que première partie de Mott The Hoople le 16 avril. Mais l’Amérique ne semble pas leur amener chance et prospérité. Au bout de cinq jours, Brian tombe malade et s’attrape une hépatite bien méchante, qui l’oblige à tout arrêter. Un peu comme pour l’aventure australienne, le groupe reprend l’avion très vite après être arrivé.

Le temps que Brian se refasse une santé, Queen est en stand-by, ce qui ne fait pas de mal après ces trois années de travail acharné et épuisant. C’est à ce moment qu’une décision décisive est prise pour l’avenir : désormais le groupe sera toujours la tête d’affiche des concerts, plus jamais la première partie. La pause que s’accordent Freddie, Roger et John n’est cependant pas très longue : tout en attendant que Brian se rétablisse pour de bons, ils commencent à préparer leur troisième album et quittent pour la première fois les studios Trident pour aller dans les studios Rockfield au Pays de Galles. Le guitariste semble s’être remis et participe un peu plus, quand un ulcère vient à nouveau le clouer au lit. Et oui, être musicien, ce n’est pas de tout repos... Mais ce n’est pas parce qu’il est allongé et convalescent qu’il ne fait absolument rien... Il passe le temps en écrivant quelques trucs dont l’un de leur futur hit Now I’m Here... Bien remis et d’attaque, il rejoint ses compagnons qui ont rallié les studios Trident où ils finissent l’enregistrement de Sheer Heart Attack, toujours co-produit par Roy Thomas Baker.

Un avant goût de l’album est donné aux auditeurs le 11 octobre avec le single Killer Queen et là, c’est réellement le début de la gloire. Premier vrai succès commercial du groupe, le 45 tours se place à la seconde place des charts. Moins « hard » que ces prédécesseurs, ce single est un petit bijou pop composé par Freddie et commence à indiquer clairement la direction qu’ils vont prendre par la suite. Véritable porte d’entrée dans les hautes sphères du rock, la chanson va être jouée lors d’un Top Of The Pops où Freddie apparaît plus charismatique que jamais. Déjà que leur réputation scénique n’est plus à faire, là, c’est vraiment le coup de grâce qui va faire succomber toujours plus de monde. Mais ce n’est parce que le succès est enfin là que tout va mieux pour Queen. Jim Beach, qui deviendra leur futur manager se rappelle d’une anecdote à ce sujet :J’ai rencontré Queen en 1974 et Freddie m’a dit que quelque chose n’allait pas : leur manager s’achetait sa seconde Rolls Royce et eux, qui avaient pourtant quelques hits, ne touchaient que 60 livres par semaine... ». La femme de Roy Thomas Baker, Barbara, en remet une couche : « John voulait s’acheter une maison toute simple, mais il n’avait pas de quoi se la payer. À l’époque, ils squattaient les caves des appartements... ». Bon, là, elle en fait peut-être un peu trop, mais il n’empêche que les membre du groupe commencent à se poser pas mal de question...

Le 8 novembre 1974, Sheer Heart Attack sort et ce n’est pas parce que Brian a manqué à l’appel pendant un certain temps que le résultat est mauvais... Loin de là... Vulgairement, cet album est vraiment une tuerie à « se taper le cul par terre » !

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Tournée européenne 74 (photo : John Deacon)

Il contient des morceaux rock d’une puissance et d’une efficacité à toute épreuve : Now I’m Here et Brighton Rock, toutes deux composées par Brian et qui deviendront de véritables classiques en concert par la suite, mais aussi Stone Cold Crazy sont de véritables chefs-d’œuvres hard (heavy même vous diront certains...). Mais à côté de cela, ils savent aussi faire de belles ballades (surtout Freddie) à vous tirer des larmes. À partir de ce moment, Queen ne peut plus régresser, ils ont fait un bond de géant et ne vont plus faire que cela d’un album à l’autre...
Le 23 novembre, ils démarrent leur première grande tournée européenne. La machine de guerre est en campagne, et elle va faire des ravages...


Spread Your Wings

Brian : « Durant la troisième année, nous avons atteint presque tous nos buts. Ensuite, nous avons été comblés au-delà de tous nos rêves... »
Il ne croit pas si bien dire notre grand guitariste, car désormais reconnu le groupe va vivre l’une de ses plus belles périodes...
L’année 1975 s’ouvre sur un heureux évènement : John épouse sa Veronica le 18 janvier et Freddie lui vole presque la vedette comme se le rappelle le témoin du marié, Nigel Bullen : « Les portes se sont ouvertes au fond de l’église et tout ce que nous pouvions voir était cette silhouette de deux filles se tenant par les bras. J’ai pensé que l’une d’entre elle était Mary Austin. Au début j’ai pensé que l’autre était la jeune mariée, mais j’ai soudain réalisé que c’était Freddie ! Il portait un boa en plumes et tout le monde dans l’assistance s’est retourné pour le regarder. Ça, c’était une bonne entrée ! ».

Les jeunes mariés ne fêtent pas leur lune de miel bien longtemps, car au mois de mars, le groupe entame une tournée américaine, où cette fois, personne n’est tombé malade, le seul souci technique étant survenu le 29 mars lors d’un concert en Californie, sur un pantalon de John qui a eu la bonne idée de craquer en plein milieu du set, provoquant l’hilarité de Freddie... Mais cette fois ci, la maison de disque Elektra bétonne la communication et Queen reçoit un succès auquel il ne s’attendait pas : single et album se classent aux premières places des charts. Seule la presse musicale n’est pas trop enthousiaste, les qualifiant de plagier tout simplement Led Zeppelin. Heureusement que le groupe ne se démonte pas, car d’autres surprises sont à venir... Dans la foulée des États-Unis, ils s’envolent en direction du Japon où c’est la folie pure et dure : « Nous ne savions pas ce qui nous attendait à l’aéroport. Il y avait des centaines de fans. » (John). Là où le bassiste se trompe, c’est qu’il y a en fait plus de trois mille fans japonais qui les attendent, transis d’admiration.
Les musiciens n’en reviennent pas de cet accueil en véritables héros et témoigneront à partir de ce jour un amour et une reconnaissance pour le Pays Du Soleil Levant qui n’est plus à démontrer (surtout Freddie, qui collectionnera estampes, antiquités japonaises et carpes koi quand il aura un peu plus de fric).

Une fois de retour, et après tant d’émotions, l’heure est au bilan. La situation financière du groupe devient vraiment trop préoccupante, et sentant qu’il y a arnaque, ils décident de rompre leur contrat avec Trident. Leur premier manager, Jack Nelson (celui aux deux Rolls Royce) s’est fait la malle après les avoir plumé et Freddie lui en garde une rancune vive qu’il ne va pas hésiter à mettre en chanson un peu plus tard. Tout l’été 1975 fut consacré à négocier cette rupture de contrat, désagréables moments s’il en est. Au même moment, John est papa pour la première fois d’un petit Robert. Il serait peut-être temps qu’il arrive enfin à s’acheter un maison digne de ce nom pour y loger sa petite famille. Au final, un arrangement est trouvé : Queen doit donner 100.000 livres à Trident et leur accorder un pour cent des royalties sur les six prochains albums en échange de quoi, le label n’aura plus aucun droit sur eux. Une fois cette affaire réglée, le groupe signe chez EMI (pour l’Angleterre) et Elektra (pour les États-Unis) et se trouve un nouveau manager en la personne de John Reid qui s’occupait également d’Elton John. C’est l’esprit tranquille et avec un financement suffisant assuré pour la suite qu’ils vont pouvoir commencer à travailler sur leur quatrième album. Car leur projet à venir est presque titanesque pour l’époque : 30.000 livres doivent être avancées, en théorie, pour cet enregistrement.

Au final, le chiffre sera encore plus élevé, mais l’avenir va leur prouver que l’investissement en valait la peine, car ce disque sur lequel ils travaillent n’est rien d’autre que celui que l’on considère encore aujourd’hui comme étant leur chef-d’œuvre et encore plus, une véritable mine d’or : Queen va toucher le gros lot et ce sera grâce à A Night At The Opera. L’album a été enregistré pendant 4 mois, ce qui est assez important à l’époque, dans six studios différents, plusieurs d’entre eux étant parfois utilisés simultanément par les musiciens. Le 31 octobre, EMI lance le single Bohemian Rhapsody. Aujourd’hui, véritable objet de culte pour les fans, chanson maintes fois utilisée, reprise, primée, elle a pourtant failli ne jamais avoir ce succès... Sa durée, tout d’abord, pose un véritable problème pour les radios qui refusent de passer un single de 6 minutes, le jugeant bien trop long. Les gens de la maison de disque eux-mêmes se demandent s’ils ne faut pas la raccourcir et en faire une version diffusable, ce que Freddie Mercury, le créateur de ce « monstre » refuse catégoriquement. Il faut dire que sa structure est le second point litigieux : mélangeant ballade, et heavy, il y a surtout une étrange partie d’opéra en plein milieu, chose parfaitement inédite et que l’on n’aurait jamais osé faire avant... Freddie, on l’a vu un peu avant, était passionné d’opéra, il était donc presque normal qu’il finisse par venir tout naturellement à ce style, sauf que pour sa Rhapsodie Bohémienne, ce n’était absolument pas prévu. À l’origine, Mercury avait trois morceaux à sa disposition, dont un court extrait musical composé de « Galileos ». Il décide de les coller ensemble puis improvise longuement avec Roger et Brian sur la partie centrale, jusqu’à ce que la partie opéra prenne une importance considérable. Au moment de l’enregistrer, et pour faire croire qu’un chœur y a participé, leurs voix seront multipliées par 180. Comme le dira Roger plus tard : « La chanson s’est développée d’elle-même ». Roy Thomas Baker, toujours producteur, se rappelle lui-même avoir été assez surpris du développement de Bohemian Rhapsody, mais lui n’hésite pas à s’extasier sur une telle pièce. Pour aider un peu le groupe, il contacte un DJ très connu à l’époque, Kenny Everett, et lui en touche deux mots. L’homme lui annonce pourtant qu’il n’a pas le droit de la diffuser (clin d’œil à l’appui !)... Le lendemain, Everett lors de son émission fait un véritable tour de force : tournant l’interdiction de diffusion en véritable sketch, il ne diffuse que des petits bouts de la chanson, retire le bras de la platine, puis le remet, avant de le retirer à nouveau (« Je ne peux pas le mettre... Oh non, mon bras a glissé ! »). En deux jours, il a réussi à passer le morceau quatorze fois et grâce à lui, les gens intrigués ont voulu savoir quel était ce morceau pas comme les autres. C’est le début d’un succès sans précédent pour Queen. La montée du single vers les sommets des charts est lente, très lente : il lui faut presque un mois pour atteindre la première place, mais une fois qu’il y est, il ne bouge plus pendant neuf semaines, soit un peu plus de deux mois. Au début 1976, plus d’un million d’exemplaires sont écoulés. C’est un peu la folie dans le groupe. À l’instar des Beatles qui firent la même chose en 1965 avec Paperback Writer et Rain, ils décident d’enregistrer une vidéo de promotion. Mais contrairement aux Fab Four, cette vidéo est destinée aux chaînes de télévision qui n’auront qu’à la passer sans que le groupe interrompe sa tournée pour venir sur les plateaux. Et c’est en ça que Queen a inventé le clip vidéo. Leur quête de l’image vient de prendre un nouveau tournant et elle va prendre de plus en plus de place. Comme le dira Brian beaucoup plus tard à propos de ce clip : « Nous l’avons tourné en une journée pour à peine 4500 livres... On ne pourrait plus faire ça aujourd’hui ! ».

Quoiqu’il en soit, la technique a l’air de fonctionner, quand A Night At The Opera sort le 3 décembre 1975, il se place à vitesse éclair en tête des charts. Et quel album que voilà : Queen toujours plus théâtral, toujours plus éclectique, tendre et brutal à la fois, toujours garanti sans claviers électroniques, Queen au sommet de son art et qui va fournir des classiques pour les concerts, tel Love Of My Life, qui sera toujours un moment privilégié d’émotion et d’échange entre Freddie et son public. Il faut tout de même noter que si Queen joue Bohemian Rhapsody en live, ils font le choix de sortir de scène et de diffuser la partie opéra de la version studio. Pas de tromperie, pas de play-back comme l’explique Brian : « “Rhapsody” n’est pas un morceau à chanter en direct. Certains n’aiment pas qu’on quitte la scène, mais honnêtement, je préfère me tirer plutôt que de jouer en play-back, ce serait une situation fausse. Ce morceau ne peut pas se jouer en direct, je préfère le dire clairement : on l’a enregistré en studio sur multi-pistes, mais il faut le présenter, car le public veut l’écouter » (NdA : ce parti pris ne fait hélas pas l’unanimité chez certaines personnes ayant vu Queen en concert à l’époque, et qui aujourd’hui encore, prennent ça pour un non respect total des spectateurs). Et pour faire dans le toujours plus grandiloquent, l’album se conclut par une version de God Save The Queen qui sera toujours la conclusion des shows. Forcément, pour certains, ça sonne un peu pompeux, mais Queen (Freddie toujours en tête) est très doué pour ériger le mauvais goût en art et à ce niveau, il reste imbattable et va faire de pire en pire...

C’est donc sous de très bons auspices que l’année 1976 s’ouvre, avec pour défendre l’album une tournée mondiale qui les mènera en Europe, aux États-Unis, au Japon puis en Australie, où subitement, ça marche beaucoup mieux que la première fois... Pour éviter que Bohemian Rhapsody ne finisse par provoquer des nausées pour cause de diffusions récurrentes, un deuxième single tiré de l’album sort le 10 juin et, surprise, il s’agit d’une chanson de John Deacon qui commence à enfin se sentir à l’aise dans la composition. Il avait déjà écrit pour Sheer Heart Attack, mais cette fois-ci, son You’re My Best Friend révèle véritablement ses talents de songwriter, très orienté sur la pop. Il avoue que cette chanson est probablement dédiée à sa douce et tendre Veronica... Quant à Freddie et Brian, ils sont carrément enthousiastes : « John est sorti de nulle part avec cette chanson. C’était seulement la seconde chanson qu’il écrivait pour le groupe et c’était la chanson pop parfaite. » (Brian) « Je suis très heureux de ça en fait. John s’est vraiment révélé. Brian May et moi-même avons principalement écrit toutes les chansons avant cela et lui était à l’arrière, il a bossé très dur et sa chanson est très bonne. N’est-ce pas ? C’est génial. Ça ajoute même à la versatilité, si vous voyez ce que je veux dire... C’est très bien quand quatre personnes peuvent écrire et qu’elles sont toutes douées, parce que vous savez, si John ou quelqu’un d’autre écrit une chanson que nous trouvons faible, elle ne serait jamais sur l’album. Donc il a vraiment dû bosser très dur pour rester à un très bon niveau. » (Freddie)

La sortie de ce single marque également le retour en studio pour le groupe, qui prépare ainsi son cinquième album. Disque dont les chansons ont été écrites en même temps que celles de A Night At The Opera, si bien que, malgré leur rythme effréné, les sessions n’ont pas été trop dures et plutôt productives. Forcément, on peut voir en cet album une continuité du précédent et même Brian pense qu’ils auraient dû sortir ensemble. Pourtant, un changement notoire va s’opérer à ce moment : Roy Thomas Baker, le producteur des débuts, ne s’occupe pas cet album, la séparation s’étant faite d’un commun accord avec le groupe. À sa place, c’est Mike Stone qui va prendre les manettes, toujours en collaboration avec Queen. Et puisque A Night At The Opera avait pris quatre mois pour être enregistré, A Day At The Races, va être mis en boîte en cinq mois. Les seules interruptions dans ses séances de travail viendront de deux concert dont un à Edimbourg et l’autre, gratuit, à Hyde Park, qui reste l’un des plus beaux souvenirs du groupe : « La première fois que nous sommes revenus ici pour faire Hyde Park, je m’en souviens avec émotion. C’était un sentiment merveilleux de voir ce public qui répondait... » (Brian). Il paraît que le concert ne fut pas une réussite, même si le nombre estimé de spectateurs est de 200.000 personnes (pas mal pour un concert foiré !).

Le 12 novembre 1976, le single Somebody To Love sort et atteint la seconde place des charts. Toujours plus éclectique, il s’agit cette fois-ci d’un morceau gospel un peu déroutant, mais très cher aux fans. Il est suivi le 10 décembre par l’album qui se place premier dans les classements, sans toutefois avoir le même succès que son illustre prédécesseur. Peut-être tout simplement parce que leur contenu est assez similaire, mais aussi parce qu’après la vague Bohemian Rhapsody, il est dur de faire aussi bien. Et comme l’album ne contient pas de morceau de cette envergure, il semble forcément moins bon. Alors qu’il contient en fait de petites pépites comme la magnifique You Take My Breathe Away, qui louche sévèrement du côté de Love Of My Life, mais en plus lacrymal, The Millionaire Waltz absolument délicieuse, Tie Your Mother Down qui ouvre l’album dans la rage et la puissance, mais également Let Us Cling Together (Teo Torriate), chanson en hommage aux fans nippons de Queen qui pousse le perfectionnisme jusqu’à chanter le refrain en japonais. Queen n’est pas un groupe ingrat, il sait reconnaître l’importance du public et aura toujours un rapport très particulier avec lui, toujours prêt à faire un geste de reconnaissance, d’amour, de sympathie, tout simplement.

Mais tandis que l’on arrive à l’année 1977, un véritable fléau s’abat sur Queen : le punk. Le groupe représente tout ce que les jeunes refusent et abhorrent à l’époque et la presse en profite pour suivre le mouvement et les casse plus violemment que jamais. S’en prenant à leur jeu de scène toujours plus grandiloquent et aux costumes de Freddie, toujours plus de mauvais goût (il porte maintenant de vrais collants ultra moulants avec des motifs arlequins dessus. Exquis...). Mercury pose aussi un autre problème à la presse : il est considéré comme le leader, mais il refuse, dès qu’il le peut, les interviews. C’est d’ailleurs pour cela qu’il existe si peu de citations de lui. Les journalistes voyant dans cette attitude du snobisme pur et dur ne passent pas au-delà des apparences. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que Freddie est exactement comme au début : en représentation, il est comme un lion que rien n’arrête. Mais une fois redescendu en coulisses, il se retrouve vulnérable et timide et n’a plus rien à voir avec le type sûr de lui que l’on vient d’admirer sur scène. Et puis, il y a toujours ce complexe physique qui le bloque. Mais ça, un journaliste n’est pas censé le savoir et pour la peine, le groupe est boudé et raillé. Ce qui les embête quelque peu, mais ça ne les empêche pas d’avoir toujours plus de succès. Car en ce début d’année, Queen repart aux États-Unis et récolte toujours plus de succès.

De retour en Angleterre et nullement effrayés par les petits jeunes à crêtes, le groupe poursuit sa route et s’apprête à frapper un grand coup.

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Johnny Rotten imitant Freddie Mercury

En parlant de punks, il existe une anecdote selon laquelle Queen et les Sex Pistols se seraient croisés dans les studios. Roger Taylor raconte que Sid Vicious interpella Freddie en ces termes : « Alors Fred, tu amènes le ballet au foules, hein ?! », en faisant référence à Bohemian Rhapsody. Il aurait reçu pour toute réponse : « Ah ! Le monsieur Ferocious ! Eh bien, on fait ce qu’on peut mon chéri ! ».

Et puisque leur conception du spectacle ne plaît pas, ils en rajoutent une couche en faisant plus grand, plus fort et plus ruinant (puisqu’à ce moment, ils perdent plus de fric qu’ils n’en gagnent à cause des frais de scène) lors de deux shows exceptionnels à Earl’s Court (montant des frais : 75.000 livres) où sur le final God Save The Queen, on a pu voir une couronne géante descendre au dessus d’eux, tandis qu’ils boivent du champagne. Et si ça peut embêter les détracteurs, hé bien c’est tant mieux !


They Will Rock You

En juin 1977, toujours plus fidèle à la routine album-tournée-album-tournée..., le groupe retourne en studio et prépare son sixième opus. Et vu que l’ambiance générale est plutôt tendue, leur musique va s’en ressentir de manière assez flagrante. Peut-être par besoin de rallier les foules, ils vont composer les deux morceaux les plus connus, les plus joués, les plus énervants à force de les avoir entendu 45.000 fois dans divers matchs de foot et autres évènements en tous genres... We Will Rock You, écrit par Brian et We Are The Champions par Freddie. Mais il faut bien l’avouer, le succès de l’album News Of The World n’est assuré que grâce à ces deux chansons. Car elles vont, pour la première fois dans l’histoire du groupe, se classer à la première place des classements américains lors de leur sortie en single. Ces deux espèces de monstres vont hélas effacer une composition de John, la très belle Spread Your Wings, qui mérite toute notre attention. Pour prolonger ce qu’ils avaient fait avec Bohemian Rhapsody, ils vont tourner des clips de ces trois morceaux. We Will Rock You et Spread Your Wings dans le jardin de Roger Taylor, en plein hiver... Très belles images du groupe frigorifié qui tente tant bien que mal de survivre en milieu hostile (la neige sur le sol provoque de belles cascades, les doigts gelés risquent de se décrocher de la main à chaque instant...) et Freddie maîtrise toujours aussi mal le play-back, ça en est merveilleux...

Pour le tournage de We Are The Champions en revanche, ils font bien les choses : en studios et en collants. Pour rendre l’impression de live, on fait venir des gens sur le plateau : ce ne sont pas de simples figurants, il s’agit des membre du fan-club de Queen (ça fait plus vrai dans l’enthousiasme), procédé que le groupe réutilisera dans les futures vidéos de Radio Ga Ga et Friends Will Be Friends, par exemple et excellent moyen de garder une certaine proximité entre les musiciens et leurs admirateurs (Queen n’est pas un groupe inaccessible pour ses fans, c’est bien...).
Quant au reste de l’album, on peut sortir le terrifiant Get Down, Make Love d’un Freddie qui commence à s’échauffer un peu et qui nous sort le grand jeu « bête de sexe ». Mais dans l’ensemble, l’album est marqué par une certaine fatigue, cela fait maintenant plus de 6 ans que le groupe bosse sans relâche et même la pochette fait un peu peur : on y voit le dessin d’un robot géant tenant dans ses mains Brian et Freddie, qui saigne, transpercé par un doigt du monstre, tandis que John et Roger tombent au sol, inanimé. Très joyeux donc, comme un au revoir à l’ancienne incarnation du groupe. Tous, sauf Brian se sont coupés les cheveux et leur look commence à évoluer vers quelque chose d’autre, plus rock, moins glam et clinquant. Pas forcément de meilleur goût ceci dit...

À ces changements purement visuels et musicaux, vient s’ajouter un énième changement de manager, John Reid ne pouvant pas être disponible à fond pour Queen, la rupture est rude mais salutaire : John Deacon va dorénavant s’occuper des affaires financières de Queen, puisqu’il est le seul à avoir toujours gardé un œil sur cet aspect des choses depuis le début. À noter que le groupe a embauché Gerry Stickells comme gérant des tournées. Sachant que le bonhomme a fait ses armes auprès du grand héros de toujours, Jimi Hendrix, c’est quand même la classe !

Début 1978, nouvelle tournée européenne (décidemment...), toujours aussi triomphale. Le 3 février, Michael Deacon, le second fils du bassiste naît. Le 10 du même mois, la chanson de John, Spread Your Wings sort en single mais n’atteint que la 34ème place des charts... À la fin de la tournée, Roger et Brian vont à Montreux, en Suisse, pour préparer le prochain disque (décidemment bis...). Freddie reste en Angleterre avec Roy Thomas Baker pour produire le disque d’un dénommé Peter Starkers. Baker redevient à cette occasion le co-producteur du groupe qui va quitter l’Angleterre pour enregistrer Jazz, le septième album. Les sessions se feront entre Montreux et Nice, de juin à octobre. Durant l’été, alors qu’ils sont en France, ils assistent à une étape du Tour de France.

Fasciné par ce spectacle, Freddie écrit la chanson Bicycle Race et imagine tout de suite la vidéo qui va en découler. Toujours dans le mauvais goût le plus exemplaire, il exige que cette course cycliste soit faite par des femmes nues. On recrute alors toutes les femmes mannequins prêtes à faire ce genre de chose et le clip est tourné à Wimbledon. Roy Thomas Baker insiste sur le goût douteux de la chose en ajoutant que le lendemain du tournage, lorsqu’il a fallu rendre les vélos, le fabricant refuse de les reprendre sous prétexte qu’il faut changer toutes les selles... Charmant. Le clip lui-même fait un scandale sans précédent et est vite censuré, les derrières généreux des jeunes femmes sont camouflés par des effets spéciaux et la polémique fait rage. Queen n’irait pas un peu trop loin quand même ? L’affaire va si loin, justement, que le groupe perd carrément des fans et tente de se faire un peu oublier en s’envolant pour les États-Unis, juste après la sortie du disque, le 10 novembre. L’album va arriver à la seconde place des classements, mais ça commence franchement à s’essouffler et la qualité n’est pas toujours au rendez-vous... Encore aux États-Unis, ils en profitent pour présenter Jazz à la presse dans la ville de la Nouvelle Orléans (capitale du jazz, malin, sauf que le disque est tout sauf jazz...).
Puis comme c’est devenu la routine, aux États-Unis succède l’Europe, au début de l’année 1979, pendant deux mois. Ils en profiteront pour enregistrer les concerts donnés à ce moment, ce qui va donner leur premier disque live : Live Killers, que Roger déclare détester, ce qui n’empêchera pas l’objet du litige d’accéder à la troisième place des charts.

Durant cette tournée européenne, il est arrivé un évènement un peu spécial : John adore véritablement les cacahouètes grillées (on fait ce qu’on peut !) et lors d’une soirée, sa famille se permet d’en distribuer des paquets à tous les fans à l’entrée de la salle... Lorsque You’re My Best Friend débute, le groupe se reçoit une pluie d’arachides sur le coin de la figure... La première réaction sur scène s’apparente plus au choc qu’à la joie. Heureusement qu’ils ont de l’humour, car finissant par comprendre de quoi il s’agit, Queen se détend et se marre beaucoup. Si même le public se met à faire des blagues de mauvais goût...

Le 13 avril 1979, ils retournent pour une troisième fois au Japon... Malgré toutes ces tournées, le groupe prend un peu d’avance et travaille déjà sur des nouvelles chansons, dont certaines seront prêtes bien avant la sortie du disque. Il faut dire qu’entre le punk, les critiques qui les descendent en flamme, les scandales qui les entourent, nos quatre amis savent qu’ils sont attendus au tournant et qu’ils n’ont pas intérêt de déconner. Il y a également la perspective du changement de décennie qui apparaît doucement. Un changement que Queen veut aborder du mieux possible et qui effectue quelques changements radicaux : Freddie s’acoquine et joue le macho man, tout vêtu de cuir lors des concerts. Et puis surtout, pour le prochain disque, le groupe va pour la première fois utiliser des synthétiseurs, eux qui jusqu’à présents étaient fiers de ne pas le faire, au point de le marquer sur chaque pochette. Il y a un truc qui part en vrille on dirait...
À côté de Queen, Freddie participe à un projet tout à fait nouveau pour lui : le 7 octobre, il se produit avec le Ballet Royal. Pour l’occasion, il se met à la danse classique, pratique un entraînement quotidien d’assouplissements et doit apprendre des chorégraphies. Le monde de la danse le passionne depuis assez longtemps et il traîne avec quelques danseurs. Il faut dire qu’à l’époque Freddie commence à accepter son homosexualité. Il a vécu pendant sept ans avec Mary Austin, qu’il quitte en amie. Elle comprend parfaitement la situation et restera toujours sa confidente. Néanmoins Mercury ne veut pas afficher ouvertement ses penchants sexuels, ça ne regarde que lui après tout et la presse aurait vite fait de lui tomber dessus...

Pour faire bref, c’est par l’une de ses relations qu’il entre dans le monde de la danse. Pour le show, il va interpréter deux morceaux : Bohemian Rhapsody et un nouveau titre qui vient juste de sortir (très bon coup de pub donc), Crazy Little Thing Called Love, un bien étrange morceau rockabilly sur lequel le chanteur joue trois accords de guitare, ceux-là même qu’il avait appris plusieurs années auparavant avec son ancien ami Tim Staffel... Le ballet est apparemment un succès et Freddie n’hésite pas à faire une démonstration de son talent de la pratique de la pirouette et l’enveloppé dans le clip du single.
Ce single est par ailleurs devenu l’un des tubes du groupe : l’album n’étant sorti que presque un an après, cette chanson a permis aux fans de patienter. Elle aurait même certaines vertus inattendues. Du moins, c’est Roger qui l’affirme : « Crazy Little Thing Called Love n’est pas exactement du rockabilly, mais elle ressemble à la musique d’Elvis à ses débuts, un filon que ce disque fut l’un des premiers à exploiter. J’ai lu quelque part que John Lennon l’écouta et c’est ce qui lui donna de nouveau l’envie d’enregistrer. Si c’est vrai, quand on écoute son dernier album, on retrouve des similitudes, ce que je trouve merveilleux ». Pas mal pour une chanson qui aurait été écrite dans la baignoire d’un hôtel allemand...

Après la sortie du morceau, Queen repart en tournée à travers le Royaume-Uni, dont le point culminant fut le concert qu’ils donnèrent à l’Hammersmith Odeon, le 26 décembre 1979, dans le cadre du festival organisé au profit de la population du Cambodge (Concert For Kampuecha). L’affiche incluait également The Wings de Paul McCartney, ainsi que de nombreux autres groupes dont The Clash ou The Specials. Queen fut le seul à jouer un concert entier, et le titre Now I’m Here fut inclus sur l’album tiré de ce festival. Cependant, pour cette tournée, le groupe effectue quelques changements : exit les salles géantes, le choix est fait de tourner dans des petites et moyennes salles, histoire de se rapprocher un peu du public. « On a pensé qu’il était important de revoir les gens. S’ils ne peuvent pas nous voir chez eux, c’est comme si nous n’existions pas. C’est aussi un soulagement pour nous, car après avoir joué dans des salles énormes, on a envie dans des endroits où le public puisse nous voir et nous entendre. » (Brian). Voici une idée parfaitement louable, qui fait croire à beaucoup de monde que le groupe va enfin abandonner sa grandiloquence vue d’un mauvais œil. Ils se trompent royalement et ils n’ont pas encore tout vu.


Avec les années 1980, arrivent quelques nouveautés. Tout d’abord, un single, Save Me, sort le 25 janvier, mais pas partout en Europe. Ensuite, le groupe commence à travailler sur le futur album à Munich avec un nouveau producteur, appelé Reinhardt Mack et qui va collaborer sur les disques suivants. En mai, c’est un autre single, Play The Game qui est sorti. Le clip amène la surprise pour les fans : Freddie s’est laissé poussé la moustache. Les premières réactions ne se font pas attendre : le chanteur reçoit bon nombre de cadeaux, dont du vernis à ongle et des lames de rasoir. De toute manière, il va falloir qu’ils s’y habituent, car Freddie est très heureux de son évolution pileuse...


Le 30 juin, l’album The Game sort et pour la première fois, le groupe a utilisé des synthétiseurs pour l’enregistrement : « Nous voulions expérimenter tout ce nouvel équipement de studio. Nous avons toujours aimé essayer ce qui était nouveau ou différent pendant que nous enregistrions. Les synthétiseurs étaient devenus si bons, ils étaient vraiment avancés comparés aux premiers Moogs, qui ne faisaient pas mieux que quelques séries de bruits bizarres. Ceux que nous avons utilisés pouvaient imiter toutes sortes de sons et d’instruments - vous pouviez obtenir un orchestre entier avec eux, rien qu’en appuyant sur un seul bouton. Génial ! » (John)

Le disque contient une autre grosse surprise, le premier gros hit de John Deacon, Another One Bites The Dust qui sort le 12 août aux États-Unis et y atteint la première place (en Angleterre, le single sort le 22 et n’arrive qu’à la septième place). Son succès américain s’explique par le rythme funk et dansant, une grande première chez Queen. John se rappelle comment cela s’est passé : « Quand j’étais lycéen, j’écoutais de la musique soul ; ce genre de musique m’a toujours intéressé. J’avais envie de faire quelque chose comme Another One Bites The Dust depuis longtemps, mais je n’avais que la mélodie et la composition pour la basse. J’ai rempli petit à petit et le groupe apportait ses idées. Je pensais que ce serait une musique de danse, je n’ai jamais imaginé un tel succès. Certaines émissions de radio de musique noire des États-Unis ont commencé à la passer, et cela ne nous était jamais arrivé avant. ». Comme d’habitude, une fois le disque sorti, le groupe repart en tournée. Comme d’habitude, ils démarrent par les États-Unis, enchaînent sur l’Europe puis vont au Japon. Mais cette fois-ci, ils rajoutent à leur programme l’Amérique du Sud. Une grande nouveauté et un défi énorme que Jim Beach résume ainsi : « Quand j’ai suggéré que nous allions jouer dans cinq stades en Argentine, le monde de la musique nous a crus fous. ».

Mais le coup est incroyable, les concerts sont absolument spectaculaires : à São Paulo, ils jouent pour 251.000 personnes et tout se passe bien (grâce au service de sécurité ? « C’est inquiétant quand le chef de la sécurité à São Paulo se présente en disant qu’il a tué 206 personnes... » (Jim Beach) )...
Routine toujours, à la fin de la tournée, retour en studios pour une autre nouvelle expérience : le réalisateur Dino de Laurentis leur demande de composer la bande-son de son film Flash Gordon, qui sera produite par Brian et Mack. Pas exactement un chef-d’œuvre (le film lui-même est tout sauf exceptionnel), c’est tout de même un bon exercice pour le groupe qui s’amuse beaucoup, comme le raconte Brian : « Nous l’avons faite en quatre semaines. Nous avons écrit un peu avant, mais surtout après sur l’image. ». À l’ancienne, ajoute-t-il, les yeux rivés sur l’écran comme une baguette de chef d’orchestre... Le disque sortira le 8 décembre et n’aura pas un succès grandiose.
Toujours sans relâche, Queen attaque la nouvelle année en remportant un prix du meilleur single pop/rock aux huitièmes American Music Awards pour Another One Bites The Dust. Le 12 février, ils s’envolent pour le Japon.

Fin mars 1981, sort le premier single solo de Roger Taylor, Future Management, qui se classera à la 49ème place des classements, suivi le 6 avril par l’album Fun In Space qui atteindra la 18ème position : « Il y avait certaines choses que je voulais réaliser qui ne rentraient pas dans le format Queen. Ça m’a fait du bien. Si j’ai d’autres idées de chansons, je referai peut-être quelque chose en solo, mais Queen sera toujours ma priorité ».
Entre juillet et septembre, une pause dans la tournée permet au groupe de se retrouver au Mountain Studio de Montreux, en Suisse (il est la propriété du groupe depuis 1975) pour travailler sur son dixième album. Au cours de ces sessions, ils reçoivent la visite d’un voisin et ami du groupe, un certain David Bowie, invité à visiter le studio : « Ils étaient à Montreux, je suis allé les voir en studio, et nous avons naturellement commencé à jammer, ce qui a donné un squelette de chanson. Je pensais que c’était plutôt bon, alors nous l’avons terminée. Ça a été fait très vite, en 24 heures. C’est plutôt une maquette, je pense que ça aurait pu être bien meilleur. Nous avons enregistré si vite qu’aujourd’hui encore certaines paroles me tapent un peu sur les nerfs, mais j’aime l’idée générale ». Le morceau n’est autre que le fameux Under Pressure, cosigné et coproduit par Queen et Bowie, qui sort le 26 octobre en 45 tours, et se classe... numéro un, une performance qui ne s’était pas produite en Angleterre depuis Bohemian Rhapsody ! Pas mal pour une maquette. Roger est plus enthousiaste : « C’est un des meilleurs morceaux que Queen ait produit, ça s’est passé dans une si bonne ambiance... Tant que nous pourrons faire ce genre de chose et nous surprendre nous-mêmes, nous continuerons ». Cette même chanson fit une incursion plus discrète dans les charts américains lorsque le rapper Vanilla Ice « emprunta » la ligne de basse de Under Pressure pour son Ice Ice Baby en 1990. Sans vergogne, le garçon est même allé jusqu’à se déclarer auteur et compositeur de la chanson. Pris la main dans le sac, il a déclaré que la ressemblance entre sa chanson et celle de Queen n’était due qu’à une simple... coïncidence. N’est pas George Harrison qui veut !

Le 2 novembre sort le premier Greatest Hits du groupe, ainsi qu’un recueil de leur vidéos, Greatest Flix et un livre de photos, Greatest Pix, compilé par le photographe officiel de la Maison Blanche à l’époque de Kennedy, Jacques Lowe. Le tout coïncide avec les dix ans d’existence du groupe. Le succès est une fois de plus colossal : Queen se retrouve en tête des trois classements : 45 tours, albums et vidéos. Le Greatest Hits sera treize fois disque de platine, restant plus de 500 semaines dans les charts ! En Autriche, au Canada, en Allemagne, en Israël et aux Pays-Bas, le disque comporte Under Pressure en bonus. Sur la version sud-américaine, Love Of My Life remplace Seven Seas Of Rhye, par exemple. Ultime clin d’œil à la royauté, c’est le beau-frère de la reine Elisabeth II, Lord Snowdon, qui a réalisé la photographie de la pochette du disque.

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un portrait classique du groupe durant les années 1980

Entre-temps, le groupe est retourné sur le continent sud-américain en septembre pour d’autres concerts, au Vénézuela et au Mexique, puis au Canada pour deux shows, filmés en 70 mm par Saul Swimmer, pour ce qui deviendra le film We Will Rock You.
Le 8 décembre, le Royal Philarmonic Orchestra de Londres, sous la direction de Louis Clark, et la Royal Choral Society donnent un concert au Royal Albert Hall au bénéfice de la recherche sur la leucémie. Le programme est intégralement constitué d’arrangements classiques de morceaux de Queen. Il sera diffusé à la radio le 28 décembre, et un disque sera édité quelques temps plus tard. C’est une reconnaissance incroyable qui dépasse le cadre du rock. Le résultat est assez étonnant à l’écoute, délicieusement kitsch, mais totalement cohérent avec le style de Queen. Conclusion provisoire de Freddie Mercury, concernant ces dix premières années : « Aussi longtemps que nous ressentirons cette sensation de réussite et que nous atteindrons de nouveaux objectifs - comme la tournée sud-américaine - nous serons heureux et nous continuerons ».


Under Pressure

Queen passe le début de 1982 à Munich pour finir son nouvel album : « Munich a eu une influence énorme sur nous. Nous y étions tellement souvent que c’était devenu un autre ‘chez nous’, nous étions proches des gens. Nous fréquentions les mêmes boîtes toutes les nuits ! Le Sugar Shack, en particulier, nous fascinait. Il y avait là une sono incroyable, et le fait que certains de nos disques n’y sonnaient pas très bien nous a fait revoir entièrement notre musique et notre façon de mixer. Another One Bites The Dust et Dragon Attack, sur The Game, étaient déjà plus ‘rythmiques’. Et Hot Space a été conçu entièrement dans ce style. Freddie, particulièrement, voulait explorer cette voie à fond ! Rétrospectivement, il est probable que notre efficacité à Munich n’ait pas été très grande. Notre style de vie faisait que nous commençions à travailler tard, nous nous sentions fatigués, et (particulièrement pour Freddie et moi), les distractions devenaient destructrices », se souvient Brian.

C’est en effet une grande période de débauche, particulièrement pour Freddie, qui ne cache plus vraiment son homosexualité, en rajoutant même souvent : « J’adore être une salope. J’adore être entouré de salopes. L’ennui est la plus grave maladie sur Terre[...] Je suis juste une vieille salope qui, chaque matin, se lève en se grattant la tête, se demandant qui baiser aujourd’hui [...] J’aime vivre ma vie à fond - c’est ma nature. Personne ne me dit ce que je dois faire ».
Le nouveau single annonciateur de l’album, Body Language, sort le 19 avril. Cette chanson de Freddie, sur un rythme quasi-disco, est une sorte de cliché de musique de boîte électronique aux paroles sexuelles. La vidéo et la pochette du 45 tours seront censurées en plusieurs pays... Cette chanson, qui ne ressemble pas à du Queen classique est paradoxalement assez bien reçue par la critique, mais pas tellement par les fans : seulement numéro 25 dans les charts britanniques. En face B, Life Is Real (Song For Lennon), est une ballade-hommage ‘à la manière’ du Beatle disparu, plus dans le style des compositions classiques de Freddie.

Le groupe, de passage en Angleterre, a resigné un nouveau contrat avec EMI pour six albums. Début avril, il s’engage dans une nouvelle tournée européenne, avec le groupe Bow Wow Wow (managé par Malcolm McLaren, ex-Sex Pistols) en première partie. C’est un signe de plus que Queen ne tourne pas le dos à la nouvelle génération, mais garde l’esprit ouvert. On ne peut malheureusement pas en dire autant de son public : sur de nombreuses dates (et particulièrement en France !), le groupe est hué et des bagarres ont lieu avec le public. Bow Wow Wow ne terminera pas la tournée. Pour ces concerts, Queen compte pour la première fois un cinquième membre, en la personne de Morgan Fisher, ex-Mott The Hoople, qui joue des synthétiseurs.

En ce début 1982, l’Angleterre et l’Argentine se retrouvent en guerre. Under Pressure est alors numéro un en Argentine. Pas pour longtemps : le gouvernement interdit tout passage d’un morceau de Queen à la radio, ainsi qu’au groupe de jamais remettre les pieds dans ce pays. La musique n’adoucit pas toujours les mœurs...
Pendant la tournée, le 21 mai, sort l’album Hot Space. C’est un réel choc : il s’agit essentiellement de disco et de soul électronique. Roger : « Ça venait vraiment de Freddie et John. Brian a essayé de s’y faire, mais ni lui ni moi n’avons réellement réussi. Je n’ai jamais été vraiment heureux là-dedans. Je n’ai jamais aimé danser, ça ne m’intéresse pas ». Brian : « Je pense que Hot Space fut une erreur, ne serait-ce qu’au niveau du timing. Nous étions à fond dans le funk, proche de ce qu’a fait Michael Jackson avec Thriller quelques temps plus tard, mais c’était trop tôt. ‘Disco’ était alors un gros mot ».

Encore une fois, les critiques vont être élogieuses, alors que le public ne suit pas : beaucoup de fans aiment le côté hard-rock de Queen et la guitare saturée de Brian May, or, ils ne retrouvent rien de tout cela sur l’album. À la place, on découvre du funk cuivré, des embryons de funk-rock et quelques ballades dont une chantée partiellement en espagnol. Roger propose des morceaux new wave et reggae synthétique et Freddie se surpasse sur du funk-soul en chantant dans le style de Curtis Mayfield, tant de variété qui désarçonne les fans mais charment pour une fois une partie de la presse, même si la critique la plus courante parle de « n’importe quoi musical ». La pochette, dessinée par Mercury, est un hommage à Andy Warhol et ses portraits bicolores de Marilyn Monroe.
Outre Body Language et Life Is Real (Song For Lennon), déjà sortis en 45 tours, Under Pressure est rajoutée en conclusion de l’album, peut-être pour le rendre plus avenant commercialement...
Hot Space est un album à part dans la carrière de Queen, peut-être la seule fois où les musiciens se sont laissé aller à expérimenter une voie « dangereuse », sans tenir compte de leur auditoire.
La popularité du groupe est telle en Angleterre que l’album atteint tout de même la quatrième place des classements. Mais aux États-Unis, où Queen est essentiellement considéré comme un groupe de « gros rock », c’est la catastrophe : numéro 22 des charts et très peu de passages radios...

Les deux singles suivants extraits de l’album auront peu de succès : Las Palabras De Amor (The Words Of Love), sorti le 1er juin sera n°17, puis Back Chat, le 9 août, seulement n°40. Outre-Atlantique, Elektra sort des titres différents, Calling All Girls, puis Staying Power, avec encore moins de succès. Ce dernier sera leur ultime single de Queen puisque, fin 1982, le groupe ne renouvellera pas son contrat.
En fait, pendant tout le restant de 1982, Queen va s’évertuer à démontrer à ses fans (avec succès) que, sur scène, ils n’ont pas changé. Tout d’abord en Angleterre, où la tournée se termine par des méga-concerts, comme à Leeds, le 29 mai dans un stade de foot (« Notre meilleur concert de tous les temps », dira Brian ) et à Milton Keynes, pour un célèbre concert filmé (Brian : « À l’époque, nous ne pensions pas avoir très bien joué, mais en le revoyant, nous pensons maintenant que c’est l’une des meilleures vidéos d’un de nos concerts »). C’est d’ailleurs ce concert que l’on retrouve sur le DVD Queen On Fire, paru en 2004. Anecdote amusante : en visite sur le sol anglais, le pape Jean-Paul II devait célébrer une messe en public à Canterbury, devant plusieurs centaines de milliers de chrétiens. Pour des besoins de logistique, toutes les toilettes chimiques du royaume avaient été réquisitionnées : Queen en était donc privé et dût se résoudre à annuler deux concerts à la fin mai, dans les temples du football que sont Old Trafford à Manchester et Highbury à Londres.

Le groupe profita également de la tournée pour organiser une nouvelle fête à l’Embassy Club de Londres, qui leur coûta un peu plus de 10.000 £ (soit 15.000 €), et dont l’entrée était réservée aux invités portant soit des shorts, soit des porte-jarretelles. Par ailleurs, Freddie s’offrit un magnifique hôtel particulier dans Kensington, le quartier chic de Londres. Il lui fallut quatre ans pour pouvoir s’y installer, et, en tant qu’ « exilé fiscal » (déclaré comme résident à l’étranger pour éviter de payer trop d’impôts) il ne pouvait passer plus de soixante jours par an en Angleterre. À partir de mi-juillet, c’est la traditionnelle tournée nord-américaine jusqu’au 15 septembre, et, après un mois de vacances, le Japon. La routine de la gloire, en quelque sorte.

Fin 1982, après douze ans de tournées et d’enregistrements non-stop, les musiciens ont besoin de souffler. Ils commencent à avoir du mal à se supporter les uns les autres. Ils annoncent à la presse qu’ils ne touneront pas en 1983. Bien entendu, la rumeur d’une séparation s’amplifie. Ce à quoi Freddie répondra : « Nous sommes trop vieux pour nous séparer. Vous imaginez, former un nouveau groupe à 40 ans ? Ce serait un peu stupide ». Brian ajouta : « Nous avions besoin d’un peu d’air. Alors, nous avons décidé d’un accord commun de prendre le temps de mener à bien nos projets personnels, pour pouvoir ensuite retourner vers Queen en étant vraiment motivé ». En 1983, chaque musicien se consacre à ses projets personnels.
Freddie travaille à Munich avec Giorgio Moroder, le célèbre producteur de disco, sur la musique du film Metropolis, dont celui-ci a racheté les droits afin d’en ressortir une nouvelle version, musicale et colorisée. Il passera aussi quelques temps à Los Angeles avec son ami Michael Jackson. Ils enregistrent deux chansons en duo, qui ne verront pas le jour, bien que l’une d’elles, State Of Shock, sorte finalement, mais interprétée par Jackson et... Mick Jagger.

John se repose en famille même s’il effectue des collaborations mineures et anecdotiques avec deux tennismen, John McEnroe et Vitas Gerulatis !
Roger travaille à un nouveau projet solo qu’il réalise en collaboration avec un de ses vieux amis, Rick Parfitt de Status Quo. Le 5 juin 1983, le batteur est au présent au Festival de Cannes pour promouvoir le film We Will Rock You, tiré du concert de Montréal (Canada) du 24 novembre 1981, qui est projeté en avant-première. Le soir même, notre ami est arrêté ivre mort au volant de sa voiture...
Brian est à Los Angeles, où il a acheté une maison. Il rassemble quelques amis, dont Edward Van Halen, et

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ensemble ils enregistrent trois titres, Star Fleet, le thème d’un dessin animé japonais que le guitariste avait l’habitude de regarder avec son fils, Let Me Out, une composition de Brian et une longue jam de blues, qu’ils nommeront Bluesbreakers, en hommage au célèbre groupe de John Mayall. Un mini-album rassemblant ces trois titres sortira en octobre 1983, sous le nom de Star Fleet Project. Fin août, Queen se réunit au studio Record Plant de Los Angeles, pour travailler sur The Works. À l’origine, le groupe devait écrire la musique d’un film, Hotel New Hampshire, tiré d’un roman de John Irving. Ils envisagent un moment de travailler sur les deux projets parallèlement, puis abandonnent l’idée, car ils sont totalement absorbés par The Works (d’où son titre).

En septembre, le groupe signe avec la maison de disques Capitol pour les États-Unis.
L’enregistrement de l’album les occupe tout le reste de l’année. Ce doit être le grand retour de Queen, après 1981 passée en tournées, 1982 et la déception de Hot Space et 1983 totalement ‘off’, aussi le groupe soigne-t-il particulièrement l’enregistrement.

En janvier 1984, alors que Freddie retourne à Munich travailler sur son projet solo, sort Radio Ga Ga, premier extrait de l’album. C’est une chanson de Roger Taylor, inspirée par son fils qui, en écoutant la radio, s’écrie un jour « Radio Caca ! » Roger a juste modifié légèrement le titre pour le rendre plus diffusable. En fait, il s’est enfermé trois jours en studio avec un synthétiseur et une boîte à rythmes... C’est le premier 45 tours sorti directement sur le label du groupe, il porte le numéro Queen 1. C’est un succès, numéro un dans 19 pays, et numéro deux en Angleterre, la première place étant trustée depuis des semaines par le Relax de Frankie Goes To Hollywood. Le clip vidéo fut réalisé par David Mallet et reprenait des scènes de Metropolis, film de Fritz Lang, sur lesquelles étaient surimposées des images du groupe qui volait au-dessus de la ville. Queen utilisa un nombre considérable de figurants parmi leurs fans. Le clip et la chanson étaient tous deux fabuleux. Malheureusement, ce clip raviva une vieille polémique lancée quelques années auparavant par le magazine américain Rolling Stone selon laquelle le groupe serait fasciste ! Les preuves ? À la sortie de l’album News Of The World et du single We Are The Champions, il fut relevé que les paroles « no time for losers... » symbolisaient parfaitement l’idéologie eugéniste. Mercury s’est toujours défendu d’une telle position politique, arguant qu’il s’agissait de sport et que le sport sanctifie le vainqueur et crucifie le perdant. Mais cette fois, c’est le clip de Radio Ga Ga qui pose problème, notamment au moment où le groupe se trouve devant une assemblée de fans les bras levés. D’aucuns y ont vu un « hommage » au Triomphe De La Volonté, film à la gloire du régime nazi, réalisé en 1934 par la cinéaste allemande Leni Riefensthal.

I Want To Break Free, le second extrait de l’album, était tout aussi fascinant, et fut également accompagné d’un clip réalisé par David Mallet, qui parodiait cette fois-ci le soap opera Coronation Street et faisait apparaître tous les membres du groupe en travesti. La vidéo fut bien reçue en Angleterre, mais la réaction américaine fut tout autre, comme le raconte Brian May : « Les Américains l’ont tout de suite détesté : ils le jugeaient insultant ». I Want To Break Free, composée par John Deacon, grimpa néanmoins jusqu’à la troisième place des charts anglaises.


L’album The Works sort fin février. Les critiques, pour une fois, sont plutôt bonnes (bien qu’elles aient descendues Radio Ga Ga un mois plus tôt). Le succès est immédiat en Angleterre, où il se classe numéro deux. Par contre, aux États-Unis, rien ne va plus. Brian : « En dépit de l’enthousiasme de notre nouvelle maison de disques, The Works a fait encore moins bien que Hot Space aux États-Unis. Mais Freddie était tellement déprimé à propos d’Elektra que, sans ce changement, il n’y aurait probablement pas eu d’album du tout » . De nouveau produit par Queen et Mack, The Works voit l’apparition aux claviers d’un musicien extérieur, Fred Mandel, qui accompagnait déjà le groupe sur sa dernière tournée américaine, et qui fait aussi partie du Star Fleet Project de Brian.

C’est un album de tentative de retour aux sources, comme l’avoue Brian : « Je pense que ce nouvel album est vraiment bon, bien mieux que ce que nous avons fait depuis un bout de temps. Il contient tout ce qui fait le ‘son Queen’ : beaucoup de production, d’arrangements, d’harmonies. Nous avons pas mal expérimenté par le passé, et certaines de ces expérimentations n’ont pas marché, comme notre dernier album que beaucoup de gens ont détesté, et qui s’est mal vendu, du moins en comparaison des albums plus anciens ».
Avec It’s A Hard Life (n°6 en juillet) - qui s’ouvre sur un extrait de l’opéra de I Pagliacci, Vesti La Gibba, Hammer To Fall (n°13 en septembre) et un morceau de Noël, Thank God It’s Christmas (seulement n°21 en décembre), toutes les chansons de The Works sortiront en face A ou B de singles au cours de 1984. C’est la première fois que cela se produit, et Queen se verra reprocher « d’exploiter » ses fans, qui achètent les albums ET les singles du groupe. Nous sommes aussi à une époque charnière en matière de technologie : The Works est le premier album de Queen a sortir directement sur compact-disc.

En juin, sort Strange Frontier, le deuxième album solo de Roger Taylor, où l’on retrouve Freddie et John. Fortement engagé et antinucléaire, cet album contient une reprise de Bob Dylan, Masters Of War et une de Bruce Springsteen, Racing In The Streets. L’album se classera n°30, alors que les deux singles extraits n’auront que peu de succès.
Après d’intenses répétitions, Queen s’engage dans une tournée anglaise en août et septembre. Les fans, qui n’avaient pas vu le groupe live depuis près de deux ans, sont bien sûr au rendez-vous.
En septembre, Freddie Mercury sort son premier 45 tours solo, qui fait partie de la bande son de Metropolis. Il va se classer n°10 des charts anglais. Le morceau, intitulé Love Kills (l’amour tue), semble aujourd’hui tristement prémonitoire.

1984 se termine dans la confusion. À la fin de sa tournée européenne de septembre, Queen part donner une série de concerts à Sun City, en Afrique du Sud, pays où règne l’apartheid. La ségrégation raciale faisait alors encore partie des institutions de ce pays : il faudra encore attendre cinq ans avant que Nelson Mandela ne soit libéré, puis quatre ans encore avant que des élections libres n’aient lieu. Brian : « Nous avons beaucoup réfléchi à l’aspect moral de la question, et nous avons décidé de le faire. Le groupe ne fait pas de politique, nous jouons pour tous les gens qui viennent nous écouter. Le show aura lieu devant une audience mixte. » John : « Queen a toujours été apolitique. Nous aimons aller dans de nouveaux endroits. Nous avons tellement tourné en Amérique et en Europe, que c’est bien d’aller voir ailleurs. Tout le monde a été en Afrique du Sud, Elton John, Rod Stewart, Cliff Richard... Ça n’est pas comme si nous créions un précédent... Je sais qu’il y a une controverse à ce sujet, mais il semble que nous soyons très populaires là-bas, et tout simplement, nous jouons partout où nos fans ont envie de nous voir ». Malgré de nouveaux problèmes de voix pour Freddie, qui obligent le groupe à annuler quelques shows, Queen joue à Sun City. Pour bien marquer le fait qu’il n’est pas là que pour jouer devant un parterre de riches blancs, le groupe décide d’éditer un album live spécialement destiné au pays, dont les bénéfices seront reversés à une école pour enfants aveugles et sourds du Bophuthatswana.

Brian profite aussi de l’occasion pour se rendre à Soweto, le quartier noir de Johannesburg, où il est invité à participer à la remise de « Black African Awards » : « La chaleur humaine, l’atmosphère, l’amitié de ces gens étaient étonnantes. Je n’oublierai jamais cette soirée. Je leur ai promis que Queen reviendrait jouer à Soweto, pour eux. » Mais, malgré tous ces gestes de bonne volonté, cette promesse ne pourra être tenue. De retour en Angleterre, Queen est mis au ban de la très puissante Union des musiciens, dont une des règles interdit de jouer en Afrique du Sud. Brian va défendre le point de vue du groupe devant le comité général de l’Union : « Je leur ai dit que nous avions plus servi le combat contre l’apartheid en y allant et en jouant devant une audience mixte qu’en restant chez nous ; que nous avons pu voir nos idées anti-apartheid imprimées dans la presse sud-africaine (ce qui était alors très rare), que nous avions ainsi pu donner un soutien moral aux minorités du pays, que nous avions été applaudis par tous les gens qui tentent de briser les barrières, qu’elles soient raciales ou politiques. » Malgré ce speech, Queen est condamné à payer une lourde amende, ce que le groupe accepte à condition que la somme soit reversée à des organismes de bienfaisance. La presse s’empare de l’affaire pour verser un peu d’huile sur le feu, et le groupe se retrouve sur la liste noire des Nations Unies...

Qu’importe ? L’année 1985 commence par l’énorme festival « Rock In Rio ». Queen est tête d’affiche. Tous les records d’affluence sont une nouvelle fois battus : les 11 et 18 janvier, le groupe réunit plus de 500.000 spectateurs en folie venus applaudir le groupe au stade Maracana. Représentatif du succès de Queen en Amérique du Sud, ce concert est considéré comme l’un des concerts principaux de l’histoire du rock, au même titre que celui des Rolling Stones à Hyde Park, à la suite de la disparition de leur guitariste Brian Jones ou encore les retrouvailles de Simon & Garfunkel à Central Park. Il y eut quand même un moment de tension, comme en Afrique du Sud, quand Freddie entra en scène, habillé en femme, pour chanter I Want To Break Free ; devant la mauvaise réaction du public, le chanteur enleva vite son déguisement et continua à chanter. Plus tard, on lui expliqua qu’au Brésil, la chanson était devenue une sorte d’hymne à la libération et que le public a sûrement eu le sentiment de se sentir « dénigré » par l’attitude de Mercury. À croire que le clip n’a jamais été diffusé au Brésil... Les concerts continuent en Nouvelle Zélande et en Australie en mars, puis au Japon en avril.

Le 29 avril, sort enfin le premier album solo de Freddie Mercury, Mr Bad Guy, sur Columbia, qui atteindra la sixième position des charts : « J’a mis tout mon cœur et toute mon âme dans cet album. C’est beaucoup plus orienté ‘beat’ que la musique de Queen, mais il y a aussi quelques ballades très touchantes. Ce sont toutes des chansons d’amour, qui ont à voir avec la tristesse et la souffrance. En même temps, elles sont frivoles et au second degré, c’est ma nature. Je voulais faire un album solo depuis longtemps et le reste du groupe m’y a encouragé. »

Chez Freddie, qui vit toujours à cent à l’heure, la désillusion semble effectivement gagner du terrain : « L’amour, c’est comme la roulette russe, pour moi. Personne n’aime vraiment celui que je suis à l’intérieur, ils sont tous amoureux de ma célébrité, de ma gloire. [...] J’ai eu plus d’amants que Liz Taylor - hommes et femmes - mais mes aventures ne durent jamais. J’ai l’impression de détruire les gens. » Quelques temps plus tard, il va réellement changer de vie, abandonnant ses sorties et ses multiples aventures, pour vivre une vie plus retirée, et une relation stable avec son « régulier », Jim Hutton,

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extrait du clip de "Princes Of The Universe"

dans sa maison de Kensington.
Un single extrait de l’album, I Was Born To Love You atteint la onzième place des charts. Les suivants (Made In Heaven, Living On My Own et Love Me Like There’s No Tomorrow) ne connaîtront que peu de succès. La réaction de la presse est assez mitigée. Sounds parle de « soft-rock et disco passés de mode », tandis que le Record Mirror asène un compliment en forme de vacherie : « Infiniment plus plaisant que les 17 derniers albums de Queen ». À la réécoute, 20 ans plus tard, on est obligé de se ranger au premier avis. La voix de Freddie est bien là, mais ce qui fait le charme de Queen est totalement absent, et seuls quelques morceaux sortent du lot, comme Mr Bad Guy ou Living On My Own, qui, remixé, sera un succès quelques années plus tard, quand il ressortira après la mort de son auteur...
À la question de savoir si ces débuts solos compromettent la carrière de Queen, Freddie répond : « Ça nous a plutôt rapprochés, et notre carrière va en profiter. C’est comme peindre une toile : il faut prende du recul pour la juger. Je prends mes distances avec le groupe. Mais je retravaillerai avec Queen, il n’y a aucun doute là-dessus. Queen va revenir, encore plus fort ».

Freddie ne se trompe pas. L’événement le plus important dans la carrière de Queen cette année-là sera sans aucun doute le concert Live Aid, organisé par Sir Bob Geldof, suite au disque Do They Know It’s Christmas pour lequel il avait rassemblé une pléiade de stars et dont les bénéfices sont reversés aux victimes de la famille en Éthiopie. Le concert, qui a lieu simultanément au stade de Wembley et Philadelphie le 13 juillet 1985, est diffusé par les télévisions du monde entier, d’où le surnom de « juke box global » que lui donne Bob Geldof. Ce chanteur-organisateur est l’ancien leader des Boonmtown Rats, groupe dont faisait partie Spike Edney, qui joue des claviers avec Queen depuis la tournée The Works. C’est par son intermédiaire que Geldof contacte Queen. Il a pensé à eux comme tête d’affiche, essentiellement en raison de la popularité du groupe en Amérique du Sud, qui va lui assurer une couverture télévisuelle sur tout ce continent. Queen, contrairement aux autres grands groupes qui insistent tous pour clore le show, demande à jouer à 18 heures. Les conditions des organisateurs sont draconiennes : vingt minutes, pas de soundcheck, pas de lumières...
Apparemment, tout le contraire de ce qu’il faut à Queen pour s’imposer. Devant 72.000 spectateurs et des millions de téléphages, le groupe enchaîne, à la suite de David Bowie, des versions raccourcies de Bohemian Rhapsody, Hammer To Fall, Crazy Little Thing Called Love, We Will Rock You et We Are The Champions, et... vole le show. Bob Geldof dira tout simplement : « Queen a été le meilleur groupe ce jour-là ». En vingt minutes, ils volèrent la vedette, éradiquant toute critique et réduisant au silence jusqu’au plus cynique, comme Tony Wilson, le patron du label Factory Records, qui fut emballé : « Le triomphe de Live Aid. À cent coudées au-dessus de tous les autres. Oublié Bono, effacé de la scène. Vraiment impressionnant ! ». En effet, rappelons que rien qu’à Londres se produisaient U2, The Who, Paul McCartney ! Même John Deacon sortira exceptionnellement de sa réserve et avouera : « C’est LE jour où j’ai été fier d’appartenir au ‘music business’, ce qui est rarement le cas la plupart du temps ! C’était fabuleux, les artistes présents avaient oublié toute idée de compétition ». « Je me souviendrai du Live Aid jusqu’au jour de ma mort », dira Brian.

Live Aid est un tournant dans la carrière de Queen, qui traverse alors une de ses grandes crises. La séparation n’est pas loin, et ce sont ces vingt minutes cruciales où le groupe a tout remis en jeu qui vont relancer la machine. John : « Ça a énormément amélioré notre moral, en nous faisant prendre conscience de l’importance du nombre de nos supporters en Angleterre, et en nous montrant ce que nous avions à offrir en tant que groupe ». Et leur image de philanthropes fut encore renforcée lorsque, quelques mois plus tard, leur nom fut inscrit sur un obélisque dressé en Antarctique pour les dons faits à Greenpeace.

Les résultats sont immédiats : encore plus que celles des autres groupes ayant participé à l’événement, les ventes de disques de Queen remontent en flèche.
One Vision, titre inspiré du fameux « I have a dream » de Martin Luther King, sort en novembre (dix ans exactement après Bohemian Rhapsody). Cosigné par les quatres membres du groupe, une première pour un single, le morceau atteint la 7ème place des charts. Mais la presse attaque de nouveau Queen, les accusant de capitaliser sur le succès du Live Aid : « C’était une erreur complète de leur part et j’en ai vraiment été très ennuyé. Ça m’a rendu dingue », s’indignera Roger. Quant à Brian, il dira simplement : « Nous faisons beaucoup d’actions de charité, mais ce n’est pas notre business à plein temps. Notre busines, c’est de faire de la musique ». Le groupe fera don de la chanson Is This The World We Created au Save The Children Fund.
Les membres du groupe continuent à s’occuper dans divers domaines : production pour Roger (Jimmy Nail, Feargal Sharkey, Jason Bonham), sessions (Roger pour un hommage à Keith Moon - en compagnie de Roger Daltrey sur le titre Under A Raging Moon, John et Roger pour Elton John), ou participation à l’écriture d’un manuel de guitare pour Brian.


A Kind Of Magic

Mais les choses réellement sérieuses reprennent en septembre avec l’enregistrement d’un nouvel album, à la grande satisfaction de John, chômeur de luxe, qui déclare en novembre : « Nous ne sommes plus vraiment un groupe, plutôt quatre individus qui travaillent ensemble sous le nom de Queen. Mais même cela nous prend de moins en moins de temps. Récemment, j’étais totalement désœuvré, tellement nous travaillions peu. Je m’ennuyais tellement que j’ai traversé une sévère phase de déprime. »
Le 5 décembre, EMI sort un énorme coffret de 13 disques, The Complete Works Complete Sessions, qui reprend tous les albums du groupe, plus un disque de raretés jamais sorties en album, singles (One Vision / Blurred Vision, Thank God It’s Christmas), et faces B : See What A Fool I’ve Been de Brian (Seven Seas Of Rhye), Human Body de Roger (Play The Game), Soul Brother signé Queen (Under Pressure), I Go Crazy de Brian (Radio Ga Ga). Le tout, remasterisé, est accompagné d’un livret et d’une carte du monde détaillant les

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« conquêtes » du groupe, d’un goût assez douteux, aux relents militaires... Queen est peut-être un groupe apolitique, mais l’analogie avec une « machine de guerre » se trouve ici encore renforcée. D’ailleurs une dispute éclata entre Taylor et Mercury à propos du coffret.
L’année 1985 se termine avec les suites de l’affaire sud-africaine. Alors que Steve Van Zandt, l’ex-guitariste de Bruce Springsteen, très politisé, lui, sort Sun City, un disque qui s’en prend directement aux artistes qui sont allés jouer là-bas, le responsable de ces concerts, Hazel Feldman déclare « qu’une nouvelle apparition de Queen n’est pas impossible ». Le groupe est alors obligé de publier un communiqué mettant définitivement les choses au point : « Queen déclare catégoriquement n’avoir aucun projet de rejouer à Sun City, et détester l’apartheid ».

L’année 1985 ne fut pas très bonne non plus pour Freddie Mercury au niveau personnel. Il avait reconnu être homosexuel devant un journaliste de The Sun (ce qui n’était pas forcément le meilleur choix). Les journaux colportèrent des ragots durant tout le mois d’août, parce qu’il avait été aperçu à de nombreuses reprises en compagnie de l’actrice allemande Barbara Valentin. Leur relation fut finalement sans lendemain, au grand regret du chanteur. Seule sa relation platonique mais profonde avec son ancienne maîtresse Mary Austin paraissait pouvoir résister.
1986 sera une grande année pour Queen, la dernière au cours de laquelle le groupe apparaîtra sur scène.

En janvier, alors qu’ils travaillent sur l’album, les musiciens sont approchés par le réalisateur de clips Russell Mulcahy, qui leur demande une bande-son pour son premier long métrage, Highlander, dont Christophe Lambert est la vedette, avec Sean Connery : « Quand je préparais ce film, j’avais uniquement un groupe en tête pour la musique, et c’était Queen. Leur musique est parfaite pour ce film - ils ont un grand sens de l’image. Ils écrivent des chansons très puissantes, des sortes d’hymnes, et c’est juste ce dont le film avait besoin. J’ai toujours été un fan de Queen et je voulais travailler avec eux depuis longtemps ». Après visionnage des rushes, le groupe accepte, enthousiaste. En mars, sort le premier single issu de ce projet, A Kind Of Magic, qui va se classer à la première place des charts ! Il y restera treize semaines... La collaboration avec Mulcahy était si réussie que ce dernier fut invité à réaliser la vidéo illustrant le titre A Kind Of Magic ; le metteur en scène leur promit de faire quelque chose qui « plairait aux spectateurs de six à soixante ans et serait aussi magique et fantastique que ce que l’on voyait dans les vieux films musicaux d’Hollywood ».

L’album intitulé A Kind Of Magic sera un énorme succès commercial tout en étant descendu par la critique mais semble avoir aujourd’hui assez mal vieilli, comme beaucoup de productions de cette époque pas toujours très heureuses dans leur volonté de se mettre « au goût du jour ».
Enregistré par Queen et Mack à Munich, l’album comporte une pochette présentant le groupe en cartoons, une constante désormais. On ne retiendra (et le groupe avec nous, comme en témoigneront ses derniers concerts) que les quatre singles : One Vision, A Kind Of Magic, Friends Wil Be Friends (n°14 en juin) et Who Wants To Live Forever (n°24 en septembre).

Au même moment, John sort enfin son premier single solo, No Turning Back, bande originale du film Biggles dont Phil Collins est la vedette. Freddie sort lui aussi un nouveau single, Time (n°24 dans les charts), issu de la comédie musicale du même nom de son vieil ami (et ancienne rock star) Dave Clark. Il produit également une vidéo de quatre de ses chansons en solo, très vite censurée par la BBC car le film contient des images d’une authentique bacchanales organisée par Freddie et ses amis, à Munich, pour fêter ses 39 ans. Roger et Dominique deviennent parents pour la seconde fois, d’une petite Rory. Brian, quant à lui, défraie la chronique en ayant une liaison avec l’actrice télé Anita Dobson, star du soap EastEnders.
Le gros morceau de l’année va être la dernière tournée du groupe, de juin à août, à travers toute l’Europe. Queen est de nouveau au sommet, les concerts sont monstrueux et battent tous les records au niveau de l’infrastructure déployée, lumière, son, scène gigantesque : « Cela va faire ressembler Ben Hur aux Muppets », déclare Roger à ce sujet. Il ajoute : « Je pense que nous sommes actuellement le meilleur groupe scénique du monde et nous allons le prouver - personne ne sera déçu ». Ces concerts eurent un énorme succès, au point que le promoteur Harvey Goldsmith n’en croyait pas ses yeux : « À Newcastle, la queue pour les tickets était plus longue que celle que nous avions eue lorsque l’équipe de foot de la ville avait joué en finale de la coupe. La vente des billets pour le concert de Manchester fut si rapide que tous les records de la ville ont été battus. Je n’avais jamais vu ça. Nous avions été submergé par les demandes de tickets pour les concerts au stade de Wembley, mais pas vraiment surpris. Par contre, la ruée pour les concerts de Newcastle et de Manchester surpassa nos rêves les plus fous... Tout cela montre qu’après quinze ans, la popularité de Queen continue de grandir ! ». À la fin des shows, Freddie se pavane sur scène dans une longue cape de velours rouge, une couronne en or sur la tête (et des Adidas™ aux pieds !). Le mauvais goût érigé en art, comme toujours. Le public est ravi.

Un des sommets de la tournée sera atteint à Wembley, pour deux shows les 11 et 12 juillet devant 150.000 personnes, suivi d’une fameuse party donnée au Roof Garden où les hôtesses sont entièrement nues, et où le groupe jamme avec Samantha Fox (!) et Gary Glitter. Ces concerts sont inoubliables, avec en lever de rideau des artistes comme Status Quo, The Alarm ou INXS. Gavin Taylor filma le concert de Wembley et l’enregistrement qui en résulta eut un immense succès. Plusieurs années après sa disparition, les images de Freddie parcourant la scène coiffé de sa couronne et vêtu d’hermine rouge et blanche, subsistent encore dans biens des cœurs et des mémoires.
Queen sera aussi le premier groupe de rock à donner un concert en Hongrie. Ils jouent au Nepstadion de Budapest devant 80.000 fans en délire, qui connaissent toutes les paroles des chansons. Une vidéo immortalisera cet événement : Live In Budapest.

Enfin, pour la dernière date de la tournée, le 9 août à Knebworth, 120.000 spectateurs se pressent pour acclamer leurs héros (avec Status Quo et Big Country en première partie), la plus grosse audience payante du groupe en Angleterre. Mais ce concert, A Night Of Summer Magic, sera aussi le dernier jamais donné par Queen. Le public ne le sait pas, le groupe non plus, sauf probablement Freddie...
La conclusion de cette année de tous les succès sera la parution de Live Magic, le 1er décembre 1986, le deuxième album live dans la carrière de Queen, qui reprend des enregistrements réalisés pendant la tournée. À côté des classiques incontournables des concerts du groupe déjà présents sur Live Killer (Bohemian Rhapsody et sa section play-back, Tie Your Mother Down, toujours aussi efficace, et évidemment We Will Rock You, We Are The Champions et God Save The Quen enchaînés au final), on retrouve avec plaisir une version énergique de Seven Seas Of Rhye, ainsi que bon nombre de morceaux des années 1980 (Under Pressure, Another One Bites The Dust, que le groupe a toujours eu du mal à bien « faire sonner »live, I Want To Break Free, Radio Ga Ga, morceaux qui prennent ici une coloration plus rock, et le très heavy Hammer To Fall). Enfin les quatre extraits de A Kind Of Magic sortis en single sont évidemment présents.
S’il n’est pas indispensable, cet album ravit les fans du groupe. Sans même qu’un single en soit extrait, il atteint la troisième place des charts britanniques (il ne sortira pas aux États-Unis) et reste classé 40 semaines !
Avec l’année 1986, c’est aussi une époque qui se termine. Celle d’un groupe enchaînant depuis 15 ans, et sans grand répit, albums et tournées avec un succès grandissant jusqu’à en devenir planétaire, total et indiscutable. Mais l’histoire de Queen n’est pas terminée pour autant.


Queen décide de prendre une année sabbatique en 1987. Mais les quatre musiciens ne vont pas tous rester inactifs pour autant.

Freddie particulièrement, qui enregistre aux Townhouse Studios de Londres. En mars, il publie un single, la reprise du classique de The Platters, The Great Pretender, qui se classera à la quatrième place des charts, sa plus grande réussite en solo à ce jour.

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Mercury et Montserrat Caballé

Mais il va pousser son fameux sens du kitsch bien plus loin en enregistrant avec Montserrat Caballé, la célèbre diva - chanteuse d’opéra espagnole : « Je pense tout simplement qu’elle a une voix remarquable... Il se trouve que j’ai dit cela à la télé espagnole l’année dernière, et elle m’a appelé ». Freddie et Montserrat annoncent fin mai, au Ku Club d’Ibiza qu’ils vont chanter en duo une composition de Mercury intitulée Barcelona. Le comité olympique espagnol décide aussitôt d’en faire l’hymne olympique des Jeux de 1992. En conséquence, Freddie et Montserrat interpréteront la chanson au cours de la très fastueuse soirée d’arrivée de la flamme olympique, en présence des souverains espagnols. Le single sort en octobre 1987, atteignant la huitième place des charts. Mais ce n’est pas tout : Freddie veut enregistrer un album entier en compagnie de la diva. Avec l’aide du producteur Mike Moran, il lui faudra neuf mois pour mener ce projet à bien, en fonction des très faibles disponibilités de la cantatrice, John Deacon vint même leur prêter main-forte. Mais Freddie est extatique, tout cela est bien plus pour lui qu’un simple clin d’œil au second degré : « Travailler avec elle, c’est la réalisation d’un rêve... Je ne sais pas comment les fans de Queen vont réagir. La pire chose qu’on puisse dire est que c’est de l’opéra-rock, c’est tellement ennuyeux. Mais en fait, c’est inclassable, ce sont des chansons qui s’adaptent à nos voix, d’un style que je n’ai jamais abordé précédemment. Elles ont été très difficiles à écrire et à chanter à cause du choix des registres, et du fait que ce sont des duos ». L’album sortira finalement en octobre 1988 atteignant la 25ème place des classements. Les critiques seront mitigées, mais meilleures du côté de la presse rock que du côté de sa « concurrente » classique !

Entre-temps, fin 1987, Freddie Mercury se livre à la presse, fait extrêmement rare, surtout qu’au cours de cette interview, il aborde franchement le sujet du sida : « J’ai vécu pour le sexe. Étrangement, j’ai changé du tout au tout. Le sida a changé ma vie - j’ai cessé de sortir, je suis quasiment devenu une nonne. J’ai couché avec énormément de gens, mais c’est fini, maintenant. Le pire, c’est que ça ne me manque pas du tout. Quiconque a vécu comme ça devrait faire le test. J’en ai déjà fait un, je suis négatif : tout va bien, je suis sain ». Freddie mentait-il à l’époque ? Il est difficile de le savoir. Mais de nombreuses sources proches avancent qu’il aurait été au courant de sa séropositivité dès la fin 1986, et qu’il s’agissait là de la raison principale pour laquelle il ne voulait plus tourner...
Toujours est-il que sa vie a réellement changé : « Je ne peux plus continuer à délirer comme avant. Ce n’est pas une vie pour un adulte. J’ai abandonné mes nuits de fêtes sauvages. Ce n’est pas parce que je suis malade, mais une simple question d’âge. Je ne suis plus de toute première fraîcheur. Je préfère passer mon temps chez moi. J’ai grandi. »

En avril 1988, Freddie apparaît sur scène, dans la comédie musicale Time, écrite par son ami Dave Clark, pour une représentation au bénéfice de la lutte contre le sida... La maladie commence à être omniprésente dans l’entourage du chanteur : dès 1985, un de ses amis, Tony Bastin, y a succombé. En 1988, un autre de ses proches, Nicolai Grishanovitch meurt à son tour, victime de ce fléau. Freddie fait alors un second test, qui, officiellement du moins, s’avère négatif.
La meilleure nouvelle de cette époque concernant Freddie Mercury, qui vit maintenant retiré dans sa luxueuse demeure de Kensington avec son ami Jim Hutton, est la suivante : il s’est enfin rasé la moustache !

Brian, quant à lui, se débat dans des affres sentimentaux. Sa liaison avec l’actrice Anita Dobson continue, alors que sa femme vient de donner naissance à leur second enfant ! Une histoire de choix pour les tabloïds anglais qui ne le laissent pas en paix...
Pour se changer les idées, il participe à divers projets : enregistrement d’un titre avec Meatloaf, A Time For Heroes et production du groupe satirique Bad News (dans le style Spinal Tap), qui reprennent Bohemian Rhapsody en version gag. Il produit aussi un single pour Anita Dobson, Talking Of Love, et l’aide à en assurer la promotion, tout en affirmant à la presse qu’il n’y a rien entre eux... Rien ne s’est arrangé pour Brian : il a perdu son père en juin 1988 et a finalement décidé de quitter sa femme. Il traverse à ce moment-là une grave crise proche de la dépression nerveuse, dont il mettra plusieurs années à se remettre tout à fait, et qui nourrira abondamment son premier album solo. Brian May doit jouer, c’est sa raison de vivre, et ces longues vacances de Queen lui pèsent.
Roger aussi s’ennuie. Alors, il décide carrément de monter un groupe, et de repartir de zéro ! Avec la bénédiction des autres membres de Queen (qui reste toujours sa première priorité), il passe une annonce dans le Melody Maker et auditionne (caché derrière un rideau, l’affaire devant rester anonyme) 250 musiciens. Le groupe, qui va s’appeler The Cross, comprendra finalement Taylor au chant et à la guitare rythmique, Josh Macrae à la batterie, Peter Noone à la basse (rien à voir avec celui des Herman’s Hermit !) et Clayton Moss à la « lead guitar ». Sans oublier une vieille connaissance : le fidèle Spike Edney aux claviers. Roger déclare à l’époque : « Je veux être dans un groupe qui travaille. Je veux jouer la musique à laquelle je crois vraiment, du heavy rock’n’roll, et je veux faire des concerts. Mes albums solo étaient l’expression de ce que je voulais produire à l’époque. Ceci est totalement différent, c’est un vrai groupe qu’il va falloir prendre au sérieux. C’est une nouvelle carrière. »

Après des répétitions à Ibiza, The Cross enregistre son premier album à Montreux et à Londres. Un single, Cowboys & Indians sort en septembre 1987 chez Virgin, sans aucun succès.
L’album Shove It paraît en janvier 1988. Brian et Freddie (qui chante le titre Heaven For Everyone) y participent. Le groupe s’engage ensuite dans une tournée des petites salles, où le public est en majorité composé de fans de Queen frustrés de la longue absence scénique de leurs idoles.
En décembre, The Cross donne un show de Noël pour les membres du fan club de Queen, auquel participent Brian et John. Et John justement, que devient-il ? Oh, John, comme d’habitude, fait des enfants, joue au tennis avec ses potes et gère sa fortune. On en sait pas beaucoup plus.
Mais, après deux ans d’inactivité publique, les affaires sérieuses reprennent enfin pour Queen. Dès la fin de 1987, les quatre musiciens s’étaient réunis, pour discuter de l’avenir, et tout au long de 1988, ils se sont retrouvés en studio pour préparer leur prochain album. Celui-ci est prêt au début de 1989. Le premier single, I Want It All, sort le 2 mai et atteint la troisième position des charts. Il comprend en face B Hang On In There qui ne figurera pas sur l’album, mais sera repris sur les éditions CD ultérieures. I Want It All servira également à une publicité vantant l’automobile Seat Toledo™. L’album The Miracle suit, le 22 mai.

La grande nouveauté réside dans le fait que les morceaux sont tous signés collectivement « paroles et musique : Queen ». Ceci afin de ne plus renouveler les luttes d’ego (et d’argent !) à chaque choix d’un single, tous les profits étant divisés en quatre parts égales. « Nous voulions enregistrer un album vraiment démocratique où chacun s’investirait dans l’écriture des chansons. Nous avons ainsi recréé un véritable feeling de groupe, sans problèmes d’ego. C’est une des raisons pour lesquelles The Miracle est un bien meilleur album que A Kind Of Magic », dira Brian.

L’album The Miracle, produit par Queen et Dave Richards - Reinhardt Mack ne travaillant plus avec le groupe - entre directement à la première place des charts. S’en suivront, en plus de I Want It All, quatre autres singles : Breakthru, n°7 en juin, The Invisible Man, n°12 en août, Scandal, n°25 en octobre, et The Miracle, 21ème des charts en novembre. Mais les fans qui se précipitent vont essuyer une déception de taille : Queen annonce qu’il n’y aura pas de tournée dans la foulée de l’album. Freddie déclare dans une rare interview accordée au DJ Mike Reid : « Je veux sortir du cycle album, tournée mondiale, album, tournée mondiale. Peut-être tournerons-nous, mais pour des raisons totalement différentes. Pour ma part, j’en ai marre des lumières et des jeux de scène grandiloquents. Je ne pense pas qu’un homme de 42 ans doive continuer à se pavaner habillé en peau de léopard ». Ces déclarations ne font évidemment que renforcer les rumeurs alarmantes sur l’état de santé de Freddie, déjà encouragées par la composition de la pochette de The Miracle, où les quatre visages se fondent, dans l’unique but, selon les mauvaises langues, de cacher les traits amaigris du chanteur. Le groupe dément comme d’habitude, cette fois-ci par l’intermédiaire de Roger : « Ce sont des rumeurs stupides ! Freddie est en pleine forme sur ce nouvel album. On a fait la fête chez Brian il y a quelques jours, et Freddie ne donnait pas vraiment l’impression d’être sur son lit de mort. Nous sommes au courant des rumeurs, tout cela est ridicule » . Ce dernier donna toutefois aux fans des raisons d’espérer les revoir sur scène : « Il est possible que nousréalisions une présentation live de The Miracle. Nous avons tous adoré cette idée lorsqu’elle a été évoquée. Il faudra peut-être créer une salle mythique pour l’occasion : le « Pavillon des miracles ». Et, avec un peu de chance, cela nous donnera peut-être envie de repartir en tournée ». En guise de compensation, les vidéos accompagnant les singles sont mémorables, que ce soit le groupe jouant sur un train, (The Miracle Express), à cause de la ressemblance entre le son de la basse et le bruit d’un train, ou encore le remplacement des quatre musiciens par des sosies d’une dizaine d’années, imitant à la perfection leurs idoles, tout cela contribue à atténuer quelque peu la déception des fans.

Les rumeurs reprendront de plus belle lorsque, le 18 février 1990, Queen apparaîtra publiquement au complet (pour la dernière fois) pour recevoir un award spécial de l’industrie musicale pour leur contribution à la musique britannique : Freddie apparaît très fatigué, les traits tirés. Entre-temps, le groupe a néanmoins tourné des clips pour la promotion des singles et, en août, est sortie une compilation vidéo d’extraits de concerts, Rare Live, dont certains remontent à 1973.
Enfin, l’année 1989 s’est terminée avec la sortie de l’album Queen At The Beeb, composé des deux passages du groupe à la BBC en 1973. Il ne se classe que n°67 et ceci pendant une seule semaine.

Mais la machine Queen a été relancée par le succès de The Miracle, et les quatre musiciens se retrouvent dès décembre dans leur studio de Montreux pour travailler sur leur prochain album, toujours en compagnie de David Richards, leur fidèle ingénieur du son et co-producteur. Celui-ci se souvient : « Ils piaffaient d’impatience. Ils se sont précipités dans la salle de concert où je les enregistre habituellement et ils se sont mis à jouer immédiatement ». C’est la méthode de travail qui amènera l’enregistrement de Innuendo, comme le raconte Brian : « Pendant deux ou trois jours, nous nous contentons de jouer ensemble pour retrouver notre feeling commun. Il y a toujours un magnétophone multipiste qui tourne, et au bout du compte, on se retrouve avec des parties qui se mettent à fonctionner ». Une bonne partie de l’année 1990 sera consacrée à l’enregistrement de cet album.

En mars, Roger publie le second album de The Cross, Mad, Bad And Dangerous To Know, qui ne rencontrera pas le succès, sauf en Allemagne où le groupe effectue l’essentiel de ses concerts. Le mélange de hard-rock et de pop synthétique sans grande inspiration ne prendra jamais réellement, Roger confiant même en 1994 que ce groupe constitua dans sa carrière une erreur... intéressante : « D’une certaine façon, j’essayais d’être quelque chose que je ne peux plus vraiment être. Ce n’était pas MON groupe, je voulais que ce soit un groupe, dont j’étais un membre. Je pense que c’était une erreur, car j’étais beaucoup plus avancé dans ma carrière que ne l’étaient les autres membres de The Cross. Dans ces conditions, espérer que tout le monde serait à égalité était naïf. Et je pense aussi que ce n’était pas ce que les gens attendaient de moi. Est-il dans un groupe, est-il le leader, le chanteur ? En fait, j’étais seulement un des compositeurs, tout le monde écrivait. Ça n’était ni moi en solo, ni Queen. Alors ça a fini en n’étant quasiment rien... »
Brian installe un studio 16 pistes à son domicile et travaille sur une version du Macbeth de Shakespeare, tout en collaborant avec Black Sabbath ou Steve Hackett de Genesis.

Le contrat de Queen aux États-Unis avec Capitol prenant fin, le groupe signe avec Hollywwod Records (du groupe Disney) pour la coquette somme de 10 millions de livres... Mais la parution du nouvel album, initialement prévue pour Noël, est retardée en février 1991. Entre-temps, le Greatest Hits est devenu le quatrième album le plus vendu de tous les temps dans le monde (derrière Thriller et Bad de Michael Jackson et le Come On Over de Shania Twain).


Le Roi est mort...

L’état de santé de Freddie fait plus que jamais la une des journaux anglais (surtout des tabloïds, friands de scandales). Le 13 novembre 1990, The Sun titre : « C’est officiel ! Freddie est gravement malade », citant une déclaration de Brian : « Il va bien et il n’a pas le sida, mais je pense qu’il paye aujourd’hui son style de vie rock’n’roll de toutes ces années. Freddie ne veut tourner aucune vidéo pour le prochain album. Et il préférerait ne pas faire de concerts non plus. Je pense qu’il a simplement besoin d’un break ». Le même journal publiera quelques temps plus tard une photographie de Freddie prise à sa sortie de la clinique du Dr Atkinson (son fidèle médecin) insistant sur son visage « décharné et son air hagard ». Le groupe publie alors le communiqué suivant : « Freddie a travaillé sans relâche ces quatre derniers mois sur le nouvel album. Il est tout simplement épuisé ».

Pourtant, c’est Freddie lui-même qui poussera les autres à retourner en studio dès le début de 1991 pour enregistrer de nouveaux morceaux, à l’origine prévus pour figurer sur des faces B de singles. Le chanteur passe d’ailleurs une bonne partie de l’année à Montreux - sa ville d’adoption, en Suisse, dans son appartement qu’il avait acheté pour des raisons de domiciliation fiscale, à l’origine. Le titre Innuendo sort en single le 14 janvier 1991 et se classe immédiatement en tête des charts. C’est encore une surprise et un coup de maître pour Queen : longue de 6’30”, la chanson est le numéro un le plus long depuis...Bohemian Rhapsody (Nda : record battu par Oasis en janvier 1998 avec All Around The World) ! À tel point que les frileux décideurs américains de chez Disney n’osent pas la sortir sur le marché américain, convaincus qu’aucune radio ne passera le titre... Brian : « C’est un des premiers morceaux qu nous sont venus. Il est assez étrange, avec cette sorte de rythme de boléro (nda : joué par Steve Howe, guitariste de Tomorrow, Yes et Asia). C’était risqué de le sortir en single, mais c’était aussi pour affirmer une différence. Ça passe ou ça casse ». En l’occurrence, ça passe, et plutôt bien !

L’album suit en février, et se classe lu aussi directement à la première place des ventes. Queen règne à nouveau sur le rock, plus de vingt ans après ses débuts ! Quatre autres singles suivront, issus de Innuendo : tout d’abord, en mars, paraît I’m Going Slightly Mad qui se classe à la 22ème place des classements (mais plus gros carton de l’année à Hong-Kong !), puis, en mai, Headlong (n°14) et The Show Must Go On en octobre, atteignant la 16ème place. C’est évidemment ce dernier morceau qui sera diffusé sur toutes les ondes au moment de la disparition de Freddie Mercury.

Mary Austin, son amie de toujours, raconte : « Freddie souffrait beaucoup pendant l’enregistrement de l’album. Mais il continuait de travailler car c’est ce qu’il aimait. Et ça l’aidait aussi à avoir le courage d’affronter sa maladie ». Sur les quelques photos de promotion du groupe, Freddie est très maigre et paraît effectivement malade. Le clip de Innuendo est truqué de façon à ce qu’on ne voit pas son visage, enfin, pour celui de I’m Going Slightly Mad, il est recouvert d’une épaisse couche de maquillage et d’un costume de bananes à la Carmen Miranda... Mais officiellement, tout va bien, un porte-parole du groupe déclare une fois de plus à la presse : « Il va bien. Il a adoré tourner ce clip et il est ravi d’être de retour ».
Pourtant, la carrière du groupe est terminée, même si personne ne le sait encore à l’extérieur. En mai, les quatre hommes se sont retrouvés une dernière fois pour des sessions de travail à Montreux qui seront les derniers enregistrements de Freddie.

Brian, ensuite, part seul aux États-Unis assurer la promotion de l’album. L’été suivant, il commence enfin l’enregistrement de son premier album solo. Le premier titre qui verra le jour sera Driven By You, qui servira à illustrer une pub télé pour Ford™. En octobre, il participe au festival de guitare de Séville, jouant avec Joe Walsh ou des guitaristes de la nouvelle génération qui sont un peu ses enfants et qui lui portent une énorme admiration comme Nuno Bettencourt, Steve Vai ou Joe Satriani.

Freddie, lui, ne quitte plus sa propriété de Kensington. Il y vit ses derniers jours, entouré de son amant Jim Hutton, d’infirmières et du Dr Atkinson, qui ont quasiment transformé la maison en clinique privée : une tente à oxygène a été installée dans sa chambre pour l’aider à respirer, car il souffre d’une pneumonie qui va bientôt l’emporter. Sentant sa santé décliner irrémédiablement, Freddie Mercury publie enfin, le 23 novembre 1991, un communiqué officiel destiné à la presse : « À la suite des nombreuses conjectures publiées dans la presse au cours des deux dernières semaines, je désire confirmer que j’ai subi un test HIV positif et que j’ai le sida. J’ai pensé qu’il était plus correct que cette information ne soit pas divulguée, pour protéger l’intimité de ceux qui me sont proches. Cependant, il est maintenant temps pour tous mes amis et mes fans de connaître la vérité, et j’espère que tout le monde se joindra à moi, à mes médecins et à tous les gens qui luttent contre cette terrible maladie. Le respect de ma vie privée a toujours été quelque chose d’important pour moi et je suis célèbre pour mon refus des interviews. Comprenez, s’il vous plaît, que ce choix continue ».
Le choc suivant cette déclaration n’est que de courte durée, balayé par la nouvelle qui atteint le monde entier moins de 24 heures plus tard, le dimanche 24 novembre à minuit : « Freddie Mercury s’est éteint en paix aujourd’hui dans la soirée, dans sa maison de Kensington, à Londres. Sa mort résulte d’une pneumonie causée par le virus du sida ».

L’émotion est énorme dans les médias et dans le public. La presse, pour la première fois (un peu tard), se répand en louanges sur la carrière, le talent et la personnalité de Freddie. Un des plus beaux hommages est sans doute celui publié officiellement par les membres de Queen : « Nous avons perdu le meilleur et le plus aimé des membres de notre famille. La douleur et la tristesse que nous causent sa disparition, alors qu’il était au sommet de sa créativité, sont accablantes, mais nous sommes par-dessus tout fiers de la façon courageuse dont il a vécu et dont il est mort. Ce fut un privilège pour nous de partager tous ces moments de magie. Dès que nous en serons capables, nous célébrerons en son honneur une grande fête dans l’esprit de celles qu’il aimait tant ».
Le lendemain, la maison de Mercury est ouverte aux fans qui viennent se recueillir. Une multitude de fleurs arrive de toutes parts. Un Elton John très ému présente à la BBC une émission en hommage à son ami disparu. Il déclarera quelques temps plus tard : « Freddie Mercury était un chanteur incroyablement innovateur, un grand showman et un de mes meilleurs amis. C’est un privilège de l’avoir côtoyé, il était à la fois très drôle, complètement extravagant et très gentil. C’était un grand musicien, et un des plus grands leaders de groupe, l’égal d’un Roger Daltrey ou d’un Mick Jagger... »

Freddie sera incinéré quatre jours après sa mort, dans l’intimité et suivant les rites religieux de sa famille.
Le chanteur avait demandé que des dons soient faits en faveur de Terrence Higgins Trust, un organisme de lutte contre le sida : les trois membres décident donc de ressortir Bohemian Rhapsody en single (avec These Are The Days Of Our Lives en face B) et de faire don des royalties à l’organisme. Pour la deuxième fois de son histoire, la chanson se retrouve en tête des charts (plus de quinze ans après sa création) et devient le deuxième plus gros hit de 1991. il s’en vendra 1,3 million (la première édition ayant été vendue à 1,1 million d’exemplaires !). Le succès (à nouveau) du single est dû également à sa présence dans le film Waynes’s World

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© Brrr

de Penelope Spheeris, contribuant à la scène mémorable de l’écoute du morceau en voiture... Une nouvelle génération découvre ce morceau et l’adopte sur le champ.

Mais ce sont aussi tous les disques de Queen qui, évidemment, se mettent à se vendre comme des petits pains. En octobre était sortie la compilation Greatest Hits II (funèbre hasard ou spéculation commerciale ?), rapidement numéro un des ventes d’albums et record de l’année. Entre-temps, le premier Greatest Hits du groupe est devenu l’album le plus vendu en Angleterre de tous les temps ! En décembre, dix albums de Queen sont classés dans le Top 100 ! Enfin, le premier single solo de Brian est sorti, comme prévu le 25 novembre, et devient num éro six des charts. Brian voulait en retarder la publication, mais au dernier moment, reçut un message de Freddie, mourant : « Laisse sortir ton disque. Quelle meilleure publicité pourrais-tu obtenir ? »...
Le 12 février 1992, Brian et Roger se voient remettre un British Award pour le meilleur single de 1991 (These Are The Days Of Our Lives), ainsi qu’un autre, posthume, pour Freddie. L’émotion est à son comble et les deux hommes annoncent, comme ils l’avaient promis, qu’un grand concert en hommage à leur ami aura lieu au stade de Wembley le 20 avril 1992.

Après un mois de répétitions avec une pléiade de stars, cet événement extraordinaire a lieu devant 72.000 fans extatiques, les chansons de Queen défilant comme dans un rêve, interprétées par quelques-uns des plus grands chanteurs du monde : David Bowie, Robert Plant, Roger Daltrey, Elton John, George Michael, Annie Lennox, Seal, Axl Rose (« Si je n’avais pas eu les chansons de Freddie Mercury auxquelles me raccrocher quand j’étais gamin, je ne sais pas où je serais aujourd’hui. J’ai appris la musique avec elles... Elles m’ont ouvert l’esprit. Je n’ai pas eu de meilleur professeur de toute ma vie. ») ou encore Liza Minelli. Le plus bel hommage que l’on pouvait rendre à celui qui fut, et qui reste, une des plus grandes stars que le rock nous ait donné. L’émotion visible sur scène était partagée par le public, pas un œil dans le stade ne resta sec lorsque tous les participants reprirent ensemble We Are The Champions en final. Grâce à ce concert, 500.000 livres furent collectées pour le Terrence Higgins Trust. Des milliers de séropositif ont pu profiter du fait que Mercury ait légué une importante partie de son patrimoine, estimé à plus de 25 millions £, à la recherche contre le sida.

L’épilogue de cette histoire verra Queen toujours aussi populaire, même si le groupe, contrairement à certaines rumeurs, n’a jamais eu l’intention de continuer sa carrière sans Freddie... Le 25 mai 1992 sort un double album live tiré du concert de Wembley de 1986, lors de la dernière tournée du groupe, qui se classera deuxième des charts. Le succès de ce double-album permit de ramener l’œuvre de Freddie à l’avant-scène et de renouer avec le succès aux États-Unis. Le 45 tours Barcelona fut aussi réédité et se classa à la deuxième place des charts deux mois plus tard.

Freddie lui-même continuait à avoir du succès en tant qu’artiste solo après sa mort ! EMI réunit en 1992 des enregistrements divers (The Great Pretender, Time, Barcelona et des remix du premier album solo) sous le tire The Freddie Mercury Album, et en route pour le sommet des charts (n°4). En juillet 1993, un remix vaguement dance de Living On My Own de 1985 (!) se classe en tête des charts ! Brian, quant à lui, sort enfin son véritable premier album solo fin 1992, Back To The Light, suivi d’une tournée dont seront extraits le disque et la vidéo Live At Brixton Academy en février 1994. Il assure aussi en solo de nombreuses premières parties de la tournée américaine de Guns N’ Roses en 1992.
Roger, qui a enfin dissous The Cross, sort en 1994 un bel album solo intitulé Happiness et renoua avec les charts sous son propre nom grâce au single engagé Nazis. Taxé de fasciste depuis l’épisode Radio Ga Ga, Taylor joue la carte de la provocation dix ans plus tard. La chanson est censurée sur de nombreuses radios et indisponible dans une chaîne de disquaires, pour cause de risques d’incitation à l’émeute... De passage à Paris en décembre 1994, il donne un superbe show-case dans les studios d’Europe 1, reprenant avec son excellent groupe des morceaux de Queen, les siens, bien sûr, mais aussi des compositions de Freddie et Brian... qu’il chante à la perfection, pour le plus grand plaisir des fans présents.


The Show Must Go On

Quant à John...il va bien (air connu). Il déclare en 1992 : « En ce qui concerne Queen, c’est terminé. Il n’y a aucune raison de continuer. Il est impossible de remplace Freddie ». Peut-être le compliment ultime, de la part d’un homme aussi peu bavard.
Fin ? Non. Car depuis 1993, les trois hommes continuent à travailler ensemble sur un projet : le dernier album de Queen avec Freddie Mercury !
Roger disait, fin 1994 : « Nous avons beaucoup enregistré après Innuendo. En fait, nous avons embrayé directement, Freddie voulait continuer à travailler...Alors nous avons enchaîné les sessions. Nous avions commencé à Montreux quand Freddie était encore en vie, mais nous n’y sommes pas retournés, en fait nous avons vendu le studio. Ensuite, nous avons travaillé chez moi ou chez Brian et un peu à Abbey Road. Nous continuons à arranger et mixer ces morceaux. Ce sera définitivement le dernier album de Queen avec Freddie Mercury. On n’y a pas touché pendant très longtemps. Nous ne voulions pas vraiment... Maintenant, nous sommes en train de travailler dessus tous les trois. Savoir si nous retravaillerons ensemble ensuite, je ne sais pas. Vraiment pas. ».

Au cours du réveillon de Noël 1990, Freddie et Roger avaient décidé de retourner en studio. Les séances avaient si bien marché, le niveau créatif avait été si élevé que Freddie poussa le groupe à continuer... tant qu’il en aurait la force. Il fallait faire vite : « Quand on a fait ces nouvelles chansons après Innuendo, on en avait parlé entre nous et on savait que c’était du « temps prêté » car les médecins disaient que Freddie n’en avait plus pour très longtemps. Notre plan était d’y aller chaque fois que Freddie se sentirait assez bien. On a vécu là-bas quelque temps, toujours dans l’attente de la sonnerie du téléphone et de la voix de Freddie disant : oui, aujourd’hui, je peux venir quelques heures.

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Les trois survivants au travail

Et alors, on faisait le maximum possible avec lui. Il avait le moral... Il répétait : je ferai tout ce que je pourrai, vous n’avez qu’à écrire des paroles, encore des paroles, et c’est ce qu’on a fait. Bien sûr, il ne pouvait pas connaître le jour de sa mort, et nous non plus, alors on travaillait simplement un petit peu, encore un peu, et encore. On a eu des moments merveilleux, vraiment », révéla Brian.

L’album sort finalement le 6 novembre 1995 et s’intitule Made In Heaven. Il contient onze titres dont quatre sont déjà connus des fans dans d’autres versions, ainsi Made In Heaven et I Was Born To Love You figuraient tous deux sur l’album solo de Mercury, Mr Bad Guy. Mais le traitement en est totalement différent. On retrouve aussi Too Much Love Will Kill You, présent sur l’album solo de Brian, Back To The Light, cette fois-ci chantée par Freddie et Heaven For Everyone, le premier single extrait de ce disque, une chanson de Roger qui figurait sur l’album de The Cross en 1987, mais déjà chantée à l’époque par Freddie, venu donner un coup de main à son vieux complice. Ce titre était déjà sorti en single en 1988 et les trois musiciens ont choisi de conserver la prise de voix d’origine. Mais la vraie surprise, ce sont ces morceaux inédits, enregistrés après Innuendo qui font de Made In Heaven un album qui a sa place aux côtés des autres disques de Queen, et il clôt en beauté le dernier chapitre d’une histoire unique qu’on aurait souhaité bien plus longue. Trois singles sont extraits du disque : Heaven For Everyone, A Winter’s Tale pour Noël 1995 et, en mars 1996 You Don’t Fool Me. Les membres du groupe eurent d’ailleurs la bonne idée de proposer la réalisation de ces vidéo-clips par une poignée de jeunes réalisateurs britanniques, le tout sous l’égide du British Film Institute. Autant dire que l’on remarque très peu la présence de Queen à travers ces images.
Au début de cette année-là, les organisateurs de la cérémonie des Brit Awards décidèrent la création d’un nouveau prix en souvenir de Freddie Mercury - The Freddie Mercury Award - qui sera octroyé aux artistes ayant travaillé pour des causes humanitaires et sociales. Il s’agit d’un autre hommage à l’une des figures les plus emblématiques de la musique moderne. Pas mal pour un homme qui décrivait ses chansons comme de la pop jetable...comme des rasoirs Bic™.

Le 24 novembre 1996, à l’occasion du cinquième anniversaire de sa mort, la ville de Montreux a érigé, face au lac, sur la place du marché, une statue de bronze à son effigie grandeur nature. Tant d’honneurs qui laissaient de marbre Mercury de son vivant. D’ailleurs, il n’a jamais été aussi honnête que lorsqu’on lui posait la question si, selon lui, la musique de Queen arriverait à passer l’épreuve du temps. Il répondait laconiquement : « Je m’en fous royalement puisque je ne serai plus de ce monde pour m’en soucier ! ».

Le 20 février 1997 se tient la première du spectacle du chorégraphe Maurice Béjart, à Paris, au Presbytère. L’artiste livre un spectacle anti-sida nommé Ballet Pour La Vie dédié au danseur Jorge Donn et à Freddie Mercury. La musique de Queen se mêle à celle de Mozart. Pour Béjart, cette union musicale était le symbole du génie foudroyé trop tôt, Mercury étant décédé à 45 ans et Mozart à 35. Les costumes furent dessinés par Gianni Versace. De cette création, Béjart déclara lui-même : « Mes ballets sont des rencontres entre la musique, la vie, la mort, l’amour. Toute cette réunion produit la danse. Et la musique de Queen se prête très bien à cela. Imagination, violence, humour, amour : tout y est. J’adore Queen. Le groupe m’inspire, il me guide dans cette époque de désolation. Au paradis, je suis sûr que Freddie Mercury joue du piano avec Mozart ».

Si on analyse les vingt dernières années qui ont suivi sa disparition, force est de constater que Queen n’a jamais été aussi présent. Tout au long des années 1990, la musique du groupe a été compilée et restaurée avec une telle régularité qu’il y eût rarement un moment où le quatuor était absent des charts. À la sortie de la compilation Queen Rocks de 1997 (où figurait l’émouvante ballade hommage à Mercury No-One But You, la dernière chanson composée par les trois membres restants), un Greatest Hits III lui répondait deux années plus tard, toujours histoire de faire découvrir le répertoire hors-norme des Anglais à une jeune génération. Plus récemment, la comédie musicale We Will Rock You, écrite par l’acteur britannique Ben Elton et co-produite par Robert De Niro, a été un franc succès à travers trois continents.

Dans les années qui ont suivies la disparition de Mercury, des rumeurs insistantes sur une reformation de Queen refaisaient la une de l’actualité sans pour autant se concrétiser. Après tout, comme le disait si bien l’ami Elton John : "Pour les trois autres membres du groupe, ça doit être exactement comme garder une Ferrari dans son garage et ne plus pouvoir être capable de la conduire". En 2002, Brian May intervenait dans le même sens lorsqu’il fit remarquer : "Comment voulez-vous remplacer l’irremplaçable ?". En effet, si un groupe se caractérise volontiers par son chanteur, il s’agit bien de Queen. De nombreuses formations ont déjà par le passé fait le choix de poursuivre l’aventure musicale avec un autre leader à sa tête. On peut citer pêle-mêle Pink Floyd, Black Sabbath, Genesis, Joy Division et The Doors. Pourtant en 2004, quelle ne fut pas la surprise pour les fans quand on apprit que le groupe allait reprendre la route en compagnie du chanteur Paul Rodgers (ancien vocaliste de Free et Bad Company) ! "Au cas où vous vous poserez des questions, ce n’est pas pour le fric. Les gars de Queen n’en ont pas vraiment besoin et moi, non plus. On fait ça juste parce qu’il y a une étincelle créative. C’est sur la musique, seulement sur la musique" rétorquait Rodgers. May était peut-être encore plus explicite : "Cela ne regarde personne d’autres que nous. Bien sûr, on s’attend à être descendu en flêche par la presse. Mais, bon, vous savez, ma vie entière a pratiquement été jalonnée par ses critiques donc je commence à m’y faire. Après tout, si vous pensez que vous allez détester, ne venez pas nous voir sur scène." Queen est le genre de groupe que les gens aiment adorer ou détester. Peut-être que c’est une bonne chose.

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Paul Rodgers, digne héritier de Mercury ?

Minoré de John Deacon à la basse, le "nouveau" groupe entame alors une tournée britannique puis s’attaque ensuite à la sempiternelle visite des quatres autres continents, pour une réussite qui ne se dément finalement pas encore. Un disque en public de la reformation parait même peu de temps après et symbolise à merveille la nouvelle donne : les concerts se caractérisent par un mélange de chansons de Queen ainsi que celles de Paul Rodgers.

L’honnêteté de la démarche du combo devait porter à réfléchir ceux qui voyait en lui un groupe vide et qui a délivré la totalité de son message musical. La preuve en est que les deux derniers membres historiques de Queen décident de retourner en studio, chose qu’ils font en août 2006, accompagnés de Paul Rodgers mais privés définitivement de Deacon qui a raccroché pour de bon. Quinze ans après les dernières séances qui aboutiront à Made In Heaven - si on excepte la réunion le temps de No-One But You - Queen tourne définitivement la page Freddie Mercury et, même si le nom reste, c’est bien un autre groupe qui s’apprête à enregistrer un effort studio. Comme d’habitude avec Queen, nul doute que nous ne sommes pas au bout de nos surprises !

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[1Sources :

LIVRES

  • Queen, Benjamin Cuq, guides musicbook, 2004
  • Queen la reine du spectacle, Arturo Blay, collection images du rock, La Mascara, 1996
  • Queen l’opéra rock, Stan Cuesta, Albin Michel/Rock & Folk, 1996
  • Queen, Mick St.Michael, Hors Collection, 1995
  • Le Mythe de Freddie Mercury, Simon Boyce, éd. Gremèse, 1997

VIDEOS

  • Freddie Mercury, The Untold Story
  • Music Planet vol 1 et 2, diffusés sur Arte en 1997
  • Champions Of The World, Rudi Dolezal et Hannes Rossacher, DoRo Production for Queen Films, 1995
  • Greatest Flix 1 et 2
  • Magic Years vol. 1, Rudi Dolezal et Hannes Rossacher, DoRo Production, 1987

Vos commentaires

  • Le 21 janvier 2012 à 17:26, par Margaret En réponse à : Sa Majesté : Queen

    J’aime Queen depuis de nombreuses années.J’ai peine pour ce pauvre Freddie, il était jeune pour partir... Bryan, Roger et John chacun dans leur discipline sont sublimes !!!!Ils formaient un groupe hors du commun. J’ai lu beaucoup de livres sur l’un et l’autre, ils restent de grands musiciens. Certes ils ont beaucoup travaillé mais le résultat est là. Je déplore le décès de notre Freddie.

    Queen ts les 4 sont des GRANDS !!!!!!!

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