Concerts
Secret Chiefs 3 (Ishraqiyun)

Le Clacson (Oullins)

Secret Chiefs 3 (Ishraqiyun)

Le 12 juillet 2011

par Antoine Verley le 29 juillet 2011

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Bien récemment (le 12 juillet dernier, mais tard ne vaut-il pas mieux que jamais ?) mes humbles esgourdes, dieu ait leur âme, furent les heureux témoins d’une life-altering experience (mais que vaudrait le concert qui ne serait pas une expérience éminemment life-altering ?), secondant mes yeux éblouis dans leur quête de ce Xvarnah qu’apportait par une pluvieuse soirée d’été une clique de mystérieux trouvères encapuchonnés dans une sympathique et glauquissime banlieue retirée du sud de Lyon : un concert des Secret Chiefs 3.

Enfin, des Secret Chiefs 3… Il n’existe non pas un, mais bien sept groupes portant ce nom. Pas que l’époustouflante banalité du nom ait causé nombre d’homonymies malencontreuses : en réalité, il existe sept formations, toutes à la botte du leader musical et philosophique Trey Spruance (si le nom vous rings a bell, vous pouvez aisément imaginer à quel point on peut avoir les chocottes en se retrouvant à un mètre du type qui a immortalisé le riff de Girls Of Porn et le solo de None Of Them Knew), qui ont évolué entre 1995 et 2007 sous une seule et même appellation (Secret Chiefs 3 donc), pour dévoiler, à partir de 2007, les différents sous-groupes que celle-ci couvre : Ishraqiyun, Holy Vehm, UR, FORMS, Traditionalists, The Electromagnetic Azoth et NT Fan. Chacun officie a priori dans un genre différent. Ainsi, si Ishraqiyun est spécialisé dans la musique orientale, les Traditionalists versent plutôt dans la BO de gialli (ces films d’horreur ritals kitschouille avec des gros plans sur des jeunes danseuses effrayées et du ketchup de partout) et Holy Vehm dans le grindcore (vous savez, cette musique que vous classez entre le crustpunk et le death metal dans votre discothèque). On ignorait quel groupe se pointerait ce soir-là, l’affiche ne laissant, comme à l’accoutumée aux concerts du Grrrnd Zero [1], que peu d’indices : « Secret Chiefs 3 : Surf Rock / Musique de kebab ».

A en croire les t-shirts vendus au stand de merch (on peut déclarer la guerre à l’occident sans perdre le nord pour autant), c’est Ishraqiyun qui nous accueillera ce soir. C’est donc avec une joie sans mélange, because pas sûr que j’aurais tenu jusqu’au bout si c’était Holy Vehm, qu’on pénètre dans un Clacson décidément tout menu, pour se voir ouvrir la soirée et la cochlée en grande pompe en compagnie des lyonnais (représente muthafucka) Fat32.

Et Fat32, c’est bien. Commençant comme du Fantômas qui aurait oublié de mener quelque part (comme du The Locust, quoi), le set voit les morceaux gagner en transparence sans perdre en complexité, jusqu’à sonner comme le groupe pattonien précité dans les instants les plus fous de Suspended Animation. Un batteur enragé, un claviériste non moins enragé, pas de guitare ni de chant : une gratte synthétique et des samples loufoques calés au poil (un « shut the fuck up » et Edith Piaff, de mémoire), parfois des moments ambiancés de quelques secondes partant en fumée dans un blastbeat furieux parsemaient les compos de ce groupe heureusement pas comme les autres, qui accompagnait la bande à Spruance dans toute sa tournée, les heureux hommes.

Mais ne nous emballons pas trop, après tout, c’est pour la fameuse bande à Spruance que nous avons honoré ces hostiles contrées de notre présence. Voilà que toute sa chevalerie théophanique entièrement en robe de bure s’ébroue instamment sur l’autel scénique, sitôt celui-ci débarrassé des lyonnais qui le quittent sous un feu ami et nourri d’applaudissements, après un rappel. Au line-up, on détecte évidemment Spruance et ses guitares aux accordages pythagoriciens (ainsi appelés parce qu’accordés en fonction de la gamme de Pythagore), mais aussi un claviériste/guitariste, une batteuse époustouflante, un bassiste qui n’aura pas relevé son capuchon de tout le concert (faut le comprendre, en plus d’être bassiste il est roux, à sa place j’aurais fait pareil), et un violoniste / trompettiste avec un bas sur la tête qui la lui cachera pendant tout le concert (apparemment il fait ça en temps normal, mais là, visiblement, il a l’air bien bourré), concert qu’il achèvera en se jetant sur la batterie qui s’écroulera aussi sec.

En effet, et le montrer sera un des objets de cet article, même si le groupe distille une musique entièrement instrumentale, pas banale et saturée de références ésotériques dont l’hermétisme revendiqué peut rebuter et que seule une herméneutique musclée à la Pacôme Thiellement semble pouvoir démêler, le groupe fait de la musique populaire.

« Les Secret Chiefs 3 c’est pas réservé à des élites, les Secret Chiefs 3 c’est une musique populaire. »

Les Secret Chiefs 3, c’est donc grave kiffant, et pourquoi ? Parce que ce groupe et son concert reprennent le paradigme fondamental du groupe rock tout en en évacuant les clichés au bulldozer [2] ; si bien qu’on peut se surprendre à pogoter et danser sur une musique qu’on ne pensait entendre qu’au souk du Caire ou dans la boutique de chawarma d’en face (The 4 (Great Ishraqi Sun)), au beau milieu d’un public habitué à du drone, du post-rock et de l’électro-expérimentalo-chiante. Ishraqiyun est un vrai groupe de rock donc, où chacun des membres a sur scène une réelle personnalité, de la frêle batteuse au violoniste déjanté, donnant à l’ensemble une cohérence attachante et un vrai moment de ferveur populaire… de 40 personnes.

De plus, les Secret Chiefs 3 ne se foutent pas de la gueule de leur public, jamais. Les titres n’excédent d’ailleurs pas la juste mesure en terme de durée (le concert non plus, hélas). Les Secret Chiefs 3 ont des classiques, des standards, et en sont conscients : le public attend le sympitar hérissant de Vajra animé de rythmes frénétiques inconnus dans cette partie du monde, il l’aura. De même, il attend la reprise du thème d’Exodus d’Ernest Gold, et il l’aura. Et putain, il ne sera pas déçu.

A tous les niveaux, un des meilleurs instants du concert. Le violoniste soulève brièvement son bas pour expédier à travers la trompette ce souffle que retenait l’assistance. Puis un Trey Spruance accroupi joue quelques mesures de surf guitar Morricono-héroïque comme si sa vie en dépendait. Le groupe le suit, le public aussi. Un miracle, Ishraqiyun joue Exodus en bure et n’a même pas l’air ridicule mais plutôt carrément magnifique. Pari tenu, quoi.

Il y aura beaucoup à dire sur cette musique d’une complexité et d’une variété exceptionnelles. De très rares incartades dans le domaine du bruit (inutiles sans doute, mais d’une puissance remarquable) n’auront pas suffi à éclipser la communion du groupe et la maîtrise des gammes orientales que Spruance n’utilise non comme un gimmick orientaliste vide, mais comme langage auquel il apposerait ses propres mots. Mais laissons-le parler : « Il y a des procédés harmoniques très complexes dans certains de nos morceaux mais ils ne sont pas le produit du hasard. Ils sont simplement un peu trop géométriques pour être perçus par une sensibilité directement linéaire. Dans des écoutes subséquentes, leur logique arrive parfois à l’oreille. Avec les Ishraqiyun, on utilise des modes tempérés non-occidentaux, dès lors le contenu harmonique est radicalement différent : à la manière du centre de l’être dont il émane, et vers où il est dirigé. » Les Secret Chiefs, la preuve qu’on n’est jamais mieux défini que par soi-même.



[1Assoc’ organisatrice de concerts ici expatriée dans l’accorte ville d’Oullins.

[2Soit l’inverse d’un groupe d’indie expé relou qui, en voulant contourner les structures du groupe de rock classique, oublie de ne pas être chiant et de ne pas se jeter la tête la première dans la pose et les stéréotypes.

Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom