Concerts
Shellac

Paris (Le Bataclan)

Shellac

Le 26 mai 2007

par Sylvain Golvet le 5 juin 2007

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Allez voir Shellac c’est, avouons-le, approcher de près Steve Albini et tout le mythe que ce garçon atypique traîne derrière lui. C’est observer cet obsédé du son analogique, ce fou de l’enregistrement dont les faits d’armes sont dans de nombreuses oreilles, que ce soit au service des Pixies (Surfer Rosa), PJ Harvey (Rid Of Me) ou bien sûr Nirvana (In Utero). Et ce n’est pas la succession de jeunes gens qui iront lui serer la main après le set qui nous contredira.

La musique de Shellac, qu’Albini à fondé avec Todd Trainer et Bob Weston, ancien ingé son lui aussi, est encore plus rêche et agressive que ses productions. Et à défaut d’être touchante, cette sorte de post-hardcore est passionnante dans ses partis pris radicaux. Mais on était loin de se douter que leur passage sur scène réservait des moments aussi drôles. Et oui, malgré une image d’ascètes rigoureux et d’amishs du son, Shellac est « drôle » ! Tout le contraire de Zone Libre, groupe français assurant la première partie.

Au vu du matériel rudimentaire présent sur scène, on s’était présumé en première partie un groupe jeune et adepte de Shellac. Mais quelle surprise de découvrir de Zone Libre est en fait un projet de Serge Teyssot-Gay, en stand-by (?) guitaristique pour Noir Désir. Avec Marc Sens (guitare) et Cyril Bilbeaud (ex batteur du groupe Sloy), il nous délivre un rock instrumental plutôt sans concessions mais malheureusement assez poseur. Passé les phases de délires guitaristiques vite gonflants, le groupe s’emballe sur des rythmiques plus entraînantes, mais où la priorité n’est pas la progression d’accords mais un son qui tourne et où les deux guitares se répondent à l’aide de deux ou trois notes répétées. Dans le genre déconstruit, on peut difficilement aller plus loin. Le tout donne l’occasion à Serge, pieds nus, de réaliser quelques sauts de cabri dont il a le secret. Pourtant le tout sent un peu trop la volonté farouche d’être hors norme, tout en s’écoutant jouer et le tout sans un sourire. On ne sera pas fâché de les voir quitter la scène.

Changement de matériel donc et c’est là que commence le show Shellac. Car le groupe va venir lui-même installer son matériel, à la frontière entre le vrai (il faut bien que quelqu’un l’installe) et la représentation. Il faut voir Steve Albini, petites lunettes sur une tête de petit nerveux timide, arriver sur scène en bleu de travail griffé du logo de son studio Electrical Audio, déplacer un ampli préhistorique plus grand que lui et accorder sa guitare sans un regard pour la salle. Vient ensuite le batteur, à l’allure d’autiste voûté, qui place sa batterie au millimètre, confirmant, si besoin était, cette réputation de geeks. Seul le bassiste semble décontracté et arrive avec une bonhomie sympathique pour s’installer. Ce refus de starification fait profession de foi va jusqu’à une mise en place égalitaire sur scène, les trois acolytes se plaçant en rang, bien en avant de la scène.

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Steve Albini tout en voix.
©Lorène Lenoir

Puis Albini peut enlever son bleu puisque vient l’heure de jouer. Et ça Shellac sait aussi le faire et même très bien. Les potards à fond, le groupe part au quart de tour et envoie de violentes attaques sonores à l’audience, sans ménagement. Les morceaux de leur trois albums, ainsi que de leur quatrième Excellent Italian Greyhound à venir, passent, avec leurs structures singulières, leur côté répétitif et imprévisible, avec un science du break assez poussée. La six-cordes d’Albini ne peut pas être plus sèche et grinçante, Weston déroule ses accords de basse comme si c’était une guitare et le bouillonnant Trainer massacre ses fûts avec une belle efficacité et des baguettes tenues à l’envers. Le son bien en avant, c’est lui qui cimente le groupe, qui tient le rythme quand Albini laisse tomber l’instrument pour déclamer ses textes sarcastiques, qui assure le spectacle avec ses mouvements amples et son martelage de cymbales, aidé tout de même par ses acolytes qui dans une hilarante chorégraphie synchronisée les stoppent à plusieurs reprises avec leurs mains.

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Tood Trainer, batteur facétieux.
©Lorène Lenoir

En fait, un concert de Shellac peut basculer dans le happening comique à tout moment. Dans un mélange d’improvisation et de blagues préparées, le groupe se lance à certains moments dans une sorte de three men show, entre démarrage de morceaux volontairement raté (« Someone can count to four ? »), ou autres breaks chorégraphiés où Albini remonte son bras et se remet en place les lunettes, mais...au ralenti ! On a aussi le droit à un beau moment surréaliste lorsque sur Wingwalker, les trois se mettent à faire l’avion, les bras écartés, la jambe levée et penchés en avant, au son des « Look at me, I’m a plane ! » de Steve Albini. Taylor ira même se placer en haut de ses enceintes en faisant le clown avec une cymbale. Enfin, quand Steve a besoin de se réaccorder, Bob Weston vient à la rescousse et fait patienter la foule en lui accordant quelques questions dont les réponses seront évidemment cinglantes. Ainsi à « Quel type d’ampli utilisez vous ? » la réplique est sans appel : « You’re a geek ! ». Mais ce petit numéro ne semble pas être au goût de tout le monde et on commence à entendre quelques « Fuck You ! » auxquels Bob répondra avec classe « Hum, maybe later, I’m busy right now. ». Et quand une personne demandera au groupe de jouer, Albini s’empresse de redéfinir ce qu’est un concert de Shellac : « Well, it’s part of the show. If you want to hear some instruments, you could listen to records, but here it’s like a little extra ! ». Ca a le mérite d’être clair.

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Shellac à l’assaut des premiers rangs.
©Lorène Lenoir

Derrière cette attitude désinvolte, ce cynisme apparent et cette manière de singer les attitudes de rock stars se cachent, bien entendu, trois passionnés, capable d’émotions, même les plus extrêmes. En témoigne Prayer to God, lamentation vengeresse d’un homme largué par sa bien-aimée :

To the one true God above :
here is my prayer -
not the first you’ve heard, but the first I wrote.
(not the first, but the others were a long time ago).
There are two people here, and I want you to kill them.

En live, cette chanson, leur plus mélodique, est d’une rage peu commune. Et quand sur le dernier morceau The Watch Song, c’est avec un sourire de jubilation, de gamin qui s’éclate, qu’Albini invitera deux chanceux du premier rang à venir avec eux fracasser les cymbales dans un final hilarant et assourdissant. Enfin, ces faux méchants, mais vrais nerds rangeront aussitôt leur matériel et discuteront chaleureusement avec les fans.

Et on aura vu Steve Albini de près !



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Setlist :
 
A Minute
Squirrel Song
My Black Ass
Paco
Copper
Be Prepared
Canada
Prayer To God
Ghosts
The End Of Radio
This Is A Picture
Killers
Billiard Player Song
Wingwalker
Steady As She Goes
Crow
Watch Song