Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Brice Tollemer le 24 février 2009
Paru le 30 juillet 1996 (Columbia).
Il est des moments rares dans la vie d’un groupe où un concert saura parfaitement retranscrire et résumer à lui seul l’histoire de ladite formation. Des instants précieux où telle mélodie, tel refrain fredonné, tel échange de regards suffisent à complètement comprendre la trajectoire itinérante, à mieux saisir l’émotion du moment, à mieux appréhender la spécificité propre d’un contexte, dont l’intemporalité échappe à tout entendement rationnel. Nous somme le 10 avril 1996. Layne Staley, Jerry Cantrell, Mike Inez et Sean Kinney prennent place au sein du Majestic Theatre de la Brooklyn Academy of Music. Comme Pearl Jam quatre années plus tôt, comme Nirvana trois ans auparavant, Alice In Chains se prête à l’exercice de l’Unplugged pour le compte de MTV. Et dans la lignée de ces illustres prédécesseurs, le groupe de Seattle va livrer une performance remarquable, une prestation acoustique de l’ordre du sublime.
C’est la première fois depuis deux ans qu’Alice In Chains remonte sur scène. Après pratiquement dix années d’existence, trois albums et des EP somptueux comme Sap et Jar Of Flies, c’est un évènement de voir le groupe réuni à nouveau. Les rumeurs sur la décrépitude physique de Layne Staley et de son addiction à l’héroïne avaient alors pris le pas sur l’actualité musicale de la formation. Le chanteur n’était plus que l’ombre de lui-même, mort-vivant errant dans les méandres de l’auto-destruction. "Je me rappelle avoir vu Staley en 1995, se souvient Mark Arm, le chanteur de Mudhoney. Il avait complètement changé, il était tout vert ; j’en ai eu l’estomac tout retourné, c’était comme voir quelqu’un sur une voie mortelle que vous ne pouvez stopper". Néanmoins, le jour de l’enregistrement de cet Unplugged, Layne Staley est bel et bien là. Le teint livide, lunettes de soleil certes. Mais sa présence illumine la scène. Ange déchu du grunge, beaucoup d’observateurs doutent de sa capacité à assurer un concert entier. Ces doutes sont définitivement levés dès les premières paroles de « Nutshell » :
We chase misprinted liesWe face the path of timeAnd yet I fightAnd yet I fightThis battle all aloneNo one to cry toNo place to call home
Le groupe enchaîne ensuite avec un « Brother » merveilleux de dépouillement et de beauté fragilisante. « No Excuses » vient compléter ce tryptique introductif, pioché dans Jar Of Flies et Sap. Juste avant « Sludge Factory », Mike Inez joue les premières notes d’Enter Sandman, en hommage aux quatre membres de Metallica présents lors de ce show. Trois titres de Dirt, le deuxième album, sont alors proposés à un public réduit mais conscient d’assister à un moment intense de gravité et d’émotion. « Down In A Hole » démontre dans le chant la complicité et le soutien de Jerry Cantrell à Layne Staley, dont son interprétation dans cette chanson, comme dans « Angry Chair » et « Rooster » est tout à fait saisissante. « Heaven Beside You », « Frogs » et « Over Now » de l’album éponyme, le Three Legged Dog complètent le tableau, ainsi que « Would ? », sans doute le single le plus connu d’Alice In Chains, et sans doute aussi peut-être le morceau le plus anecdotique de cet Unplugged. Unplugged qui s’achève par « Killer Is Me », chanson inédite qui conclut superbement cette prestation acoustique :
So the sunShines upon meI’m havin funThe killer is me
C’est la fin de la route pour Alice In Chains. Layne Staley apparaît pour la dernière fois au micro le 3 juin 1996 à Kansas City. Quelques mois plus tard, sa petite amie décède d’une endocardite infectieuse causée par la drogue. Le chanteur s’enfonce alors définitivement dans la dépression et dans l’héroïne. On ne le reverra plus jamais. Il est retrouvé mort le 20 avril 2002. "La came est une équation cellulaire qui enseigne à l’utilisateur des faits d’une valeur générale, écrivait William Burroughs dans Junky. J’ai énormément appris en utilisant la came ; j’ai vu la vie mesurée dans des gouttes de solution de morphine. J’ai vécu la privation atroce du sevrage et le plaisir du soulagement lorsque les cellules assoiffées de came boivent à la seringue. Tout plaisir n’est peut-être que dans le soulagement. J’ai appris le stoïcisme cellulaire que la came enseigne à l’utilisateur. J’ai vu une cellule de prison pleine de drogués malades, silencieux et immobiles dans leur misère individuelle. Ils savaient la vanité de se plaindre ou de bouger. Ils savaient que, fondamentalement, personne ne peut aider personne. Personne ne possède de clé, de secret qu’il pourrait vous révéler".
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |