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Vitalogy

Vitalogy

Pearl Jam

par Brice Tollemer le 8 décembre 2009

paru le 6 décembre 1994 (Epic / Sony Music)

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À la fin de l’année 1994, Pearl Jam livre son troisième album, intitulé Vitalogy, en référence à un ouvrage psycho-médical datant du XIXème siècle. Le livret accompagnant le disque reprend ainsi les différents thèmes de cette « encyclopédie de la santé et du bien être », thèmes révélateurs de l’Amérique de cette période. Le mal-être, en 1994, Pearl Jam y est en plein dedans. Après le colossal succès de ses deux premiers opus (Ten et VS), le groupe de Seattle semble traverser une crise existentielle. Pearl Jam, le groupe que tout le monde se plaît à détester est à peu près accusé de tout et n’importe quoi. Mégalomanie du chanteur, face commerciale du grunge, les observateurs musicaux rivalisent de bêtise sentencieuse quand ils évoquent le groupe. Et la sortie de Vitalogy intervient dans un contexte troublé...Refus de la promotion, mise en scène par les médias d’une rivalité fantasmée avec Nirvana, suicide de Kurt Cobain, Eddie Vedder et ses camarades n’ont pas envie de plaisanter. D’ailleurs, bien que la plupart des morceaux aient été composés avant le suicide du leader de Nirvana, il n’en reste pas moins que la présence de « Immortality » est une coïncidence troublante. « Je pense qu’il y a certains éléments dans les paroles qui peuvent répondre à certaines de vos questions, précise à ce sujet Eddie Vedder, ou vous aider à comprendre les pressions de quelqu’un qui se trouve sur un train parallèle… ».

« L’enregistrement de Vitalogy fut un peu tendu » résume poliment Brendan O’Brien. Les rapports entre les différents membres deviennent plus délicats, en raison d’un manque évident de communication. Et d’un changement de statut au sein de la formation : « Vitalogy fut le premier album où c’était Eddie qui prenait les décisions finales, explique Stone Gossard. Ce fut pour moi un disque très difficile à faire, car cela signifiait que je devais accepter une perte de contrôle ». Les difficultés s’ajoutent alors les unes aux autres : la place de Dave Abbruzesse au sein de Pearl Jam devient de plus en plus sujette à caution et Mike McCready commence sévèrement à lutter contre ses addictions à l’alcool et à l’héroïne. Mais comme si tout cet amas d’obstacles ne suffisait pas, le groupe se lance alors dans une bataille terrible, longue et épuisante.

Ainsi, le 1er mars 1994, Pearl Jam annonce son intention de maintenir les prix des tickets de concerts lors de sa prochaine tournée d’été à moins de vingt dollars. Par ce geste, le groupe entend dénoncer les pratiques du géant de la billetterie américain, Ticketmaster, qui profite de sa position de monopole pour pratiquer des tarifs exorbitants en établissant des charges onéreuses sur le prix des tickets. Quelques semaines plus tard, la formation informe qu’elle tournera sans Ticketmaster. L’affaire prend alors des proportions incroyables et la presse s’en empare. Le 6 mai, le groupe annonce que sa tournée est annulée, faute d’avoir pu obtenir des salles susceptibles de l’accueillir. Le ministère de la Justice commence alors à s’intéresser à l’affaire et demande à Pearl Jam un rapport sur cet incident. Le groupe s’exécute et indique que non seulement Ticketmaster est coupable d’abus de position dominante mais qu’en outre l’entreprise aurait fait pression de manière illégale sur les promoteurs de concerts afin que Pearl Jam ne puisse jouer dans la plupart des villes. La crise atteint son paroxysme le 30 juin lorsque Stone Gossard et Jeff Ament témoignent devant la sous-commission de l’Information, de la Justice, des Transports et de l’Agriculture du Congrès Américain… Pearl Jam est dans l’œil du cyclone et pendant les affaires, la crise continue. Le 1er août, il est gentiment demandé à Dave Abbruzzese de quitter le groupe ; c’est Jack Irons qui le remplacera désormais à la batterie. « Il y avait irrémédiablement une différence de philosophie avec Dave, précise Kelly Curtis, le manager du groupe. Sur les vues politiques, sur le droit à l’avortement, sur le port des armes, ce genre de choses. C’est à dire les responsabilités qu’exigeaient le fait d’être membre de Pearl Jam et le message qui était envoyé ».

Vitalogy arrive finalement dans les bacs le 6 décembre 1994. Une atmosphère pesante et malsaine règne tout au long du disque. Après un puissant « Last Exit », « Spin The Black Circle » réaffirme l’amour du groupe pour le vinyle, puisqu’il convient de préciser que le 33 tours de l’album était sorti deux semaines avant sa version CD, événement rarissime en cette période de règne absolu du compact-disc. Puis, « Not For You » rappelle que la musique appartient en premier lieu aux artistes et au public, et non aux majors du disque ou à leurs distributeurs. Le son des guitares de Mike Mc Cready et de Stone Gossard est époustouflant tout au long de cet album, aussi bien sur les morceaux bruts (« Whipping ») que sur les ballades (« Nothingman »). On trouve de tout dans ce disque : des petits intermèdes mystérieux (« Pry To », « Aye Davanita »), de l’expérimental (« Stupid Mop » et le kafkaien « Bugs ») et même un tube (« Better Man »). Et puis vient la merveille « Tremor Christ ». Morceau atypique mais tellement évocateur de ce que le groupe sait faire. Identitaire d’un véritable savoir-faire, ces quatre minutes recèlent en leur sein la fameuse thématique de Vedder quant à l’océan (« the smallest oceans still get...big, big waves ») et des riffs de guitares menés à la perfection. Le brûlant Corduroy exprime lui implicitement toute la quintessence de la rage pearljammienne quant à la mise en abyme du succès immédiat (« All the things that others want for me, can’t buy what I want because it’s free »). Enfin, que dire d’ « Immortality », qui résume à lui tout seul l’essence même de cet album, avec ses paroles désespérées (« Vacate is the word, vengeance has no place on me or her, cannot find the comfort in this world ») et son solo acoustique à la limite de la rupture. Rupture, c’est ce qu’accomplit Pearl Jam avec Vitalogy, car c’est à partir de ce moment là que le groupe change volontairement de statut, et se réfugiera par la suite dans une discrétion qui lui sied beaucoup mieux. « Qui m’aime me suive »…



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1 - Last Exit (2:54)
2 - Spin The Black Circle (2:47)
3 - Not For You (5:52)
4 - Tremor Christ (4:12)
5 - Nothingman (4:35)
6 - Whipping (2:34)
7 - Pry To (1:03)
8 - Corduroy (4:37)
9 - Bugs (2:44)
10 - Satan’s Bed (3:30)
11 - Better Man (4:28)
12 - Aye Davanita (2:57)
13 - Immortality (5:28)
14 - Stupid Mop (7:44)
 
Durée totale : 55:30

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