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par Simon Perdrillat le 13 avril 2011
Depuis quelques années le vinyle est revenu à la mode. Les statistiques le montrent : par exemple, aux Etats-Unis leur chiffre de vente était estimé à 990 000 exemplaires en 2007, puis à 1 880 000 en 2008 et 2 500 000 en 2009. Mais ce phénomène peut aussi être constaté dans la vie quotidienne : on remarque que les magasins Fnac et Virgin proposent quelques vinyles dans un coin de leur rayon disques (généralement les grands classiques), ce qui n’était pas le cas avant ; on peut aussi remarquer l’apparition dans les grandes villes de petits disquaires indépendants spécialisés dans leur vente.
Le regain de popularité de ce support s’explique facilement quand on y réfléchit : dans une ère où on peut télécharger gratuitement à peu près toute la musique que l’on veut, ou l’écouter en ligne sur plusieurs sites Internet, de nombreux amateurs de musique arrivent à cette conclusion : « Quitte à acheter un album, autant que ça en vaille le coup ». Justement, le vinyle en vaut le coup : il offre un son plus riche et plus agréable que celui du disque compact. Et puis un album vinyle, c’est aussi un bel objet, on peut contempler sa pochette, s’en servir pour décorer sa chambre, etc.
La renaissance du vinyle s’explique aussi par le fait que de nombreux mélomanes retrouvent le goût de l’objet, et pour certains d’entre eux le goût du rare, et donc de la recherche, de la « quête ». Car il est souvent difficile de se procurer en vinyle un album qui ne soit pas un classique, et il peut être introuvable même sur les sites Internet d’achat en ligne (ce qui n’est jamais le cas avec les disques compacts). Il faut donc le chercher dans les boutiques spécialisées, fouiller dans les bacs, traîner sur ebay ou dans les vide-greniers. Sans aller jusqu’à se rendre aux Puces le dimanche à 7h du matin pour traquer une édition originale du Anthem of the Sun du Grateful Dead, on devient quand même un peu collectionneur soi-même. La difficulté à se procurer l’objet convoité, le plaisir qu’on éprouve une fois celui-ci trouvé, peuvent être gratifiants. Et du même coup, le vinyle en question revêt un attrait spécial.
Le terme technique exact pour désigner le vinyle est « disque microsillon ». Le vinyle est le nom du matériau avec lequel celui-ci est fabriqué le plus souvent. Il y a globalement trois grandes catégories de vinyles :
En 1979, le disque compact est inventé. Présenté comme supérieur à tout point de vue au disque microsillon, il va entraîner sa quasi disparition durant la seconde moitié des années 80. Le vinyle a en effet survécu pendant cette époque, mais de façon marginale, car il est l’instrument de prédilection du DJ (il permet le scratching ; il est plus aisé à manipuler, la vitesse de lecture peut être réglée…) et continuait à être vendu dans des magasins spécialisés.
A la question « Lequel du vinyle ou du disque compact possède le meilleur son ? », une grande majorité d’audiophiles répondra sans hésitation : le vinyle [2]. Il offre un son ample, plus précis dans les aigus et beaucoup plus présent dans les basses [3]. Les partisans de la grande galette noire vantent aussi la chaleur de sa sonorité, par rapport à celle du disque compact qui est « électrisée », et souvent considérée comme moins agréable et stressante pour une longue écoute [4].
Lorsqu’on disserte sur les qualités du vinyle, on en vient inévitablement à parler de son inconvénient majeur : l’usure. Précisons que, contrairement à un cliché répandu de nos jours, un vinyle ne s’use pas si vite que cela (si on en prend soin). C’est à partir d’une centaine d’écoutes environ que la détérioration commence ; alors, progressivement, le son devient plus confus, les aigus s’écrasent jusqu’à l’insupportable [5]. Il est important de comprendre que les caractéristiques du vinyle ont déterminé pendant des décennies la manière de penser un album, en particulier à cause de la séparation de l’enregistrement sur deux faces. Si de nombreux albums des années 60-70 perdent de leur cohérence en disque compact, c’est précisément pour cette raison là.
De la naissance du rock jusqu’à la fin de la première moitié des années 60, les albums sont composés d’une simple succession de morceaux, souvent disparates, et les groupes (ainsi que leurs collaborateurs) se soucient peu de l’organisation des différentes plages par rapport aux faces ; les choix sont pragmatiques (« Hé Bob, A Hard Rain dure 6 mn 47, pour qu’elle tienne dans la face A, faudrait virer une autre chanson ! »). Mais à partir des années 65-66, l’album commence à être pensé dans sa globalité et donc conçu avec une logique par rapport aux deux faces. Prenons comme exemple l’album Sticky Fingers des Rolling Stones, sorti en 1971. Les deux faces du vinyle ont chacune un rock saignant en guise de premier titre (Brown Sugar, Bitch), se poursuivent avec une plage plus calme (Sway, I Got The Blues) puis avec une ballade (Wild Horses, Sister Morphine) et un titre entraînant (Can’t You Hear Me Knocking, Dead Flowers). You Gotta Move achève la face A dans une tonalité humoristique (le morceau parodie le blues des pionniers), alors que Moonlight Mile clôt la face B en apothéose.
Comme on peut le constater, l’album est vraiment homogène en 33 tours, grâce à l’équilibre entre les faces, presque symétriques. On sent qu’un vrai travail a été fait dans ce but. Certains artistes iront jusqu’à mettre à profit l’organisation par face pour diviser symboliquement leur album en deux parties. Ainsi, dans le classique Songs of Love and Hate de Leonard Cohen, la face A contient les chansons sur la haine, la face B celles sur l’amour. Évidemment, les performances des vinyles fixent aussi la durée maximale d’une plage, entre 21 et 27 minutes sur un 33 tours 30 centimètres (l’équivalent d’une face entière) et de nombreux groupes, en particulier de rock progressif, composeront des morceaux de cette durée.
La pochette d’un vinyle 30 cm est, comme on l’a vu, un bel objet - du moins la plupart du temps. Ses dimensions permettent une illustration plus riche, plus « visuelle », plus forte. Cela explique pourquoi, durant la seconde moitié des années 60 jusqu’à l’abandon du vinyle, un nombre non négligeable d’artistes reconnus ont créé des couvertures de pochettes : des dessinateurs de bande dessinée tels que Robert Crumb (Cheap Thrills, Big Brother And The Holding Company), Moebius (pour des albums pirates de Jimi Hendrix), des photographes tels que Robert Mapplethorpe (Horses, Patti Smith, Marquee Moon, Television), William Eggleston (Radio City, Big Star) ou Norman Seeff (Exile on Main St., Rolling Stones), des artistes du Pop Art comme Andy Warhol (premier album du Velvet Underground, Sticky Fingers des Stones : sur la pochette de ce disque il y avait une véritable braguette en métal, qui a malheureusement disparu des récentes rééditions 33 tours) ou Richard Hamilton (double album blanc des Beatles).
Les pochettes des 33 tours permettaient toutes les excentricités. Dans celle de l’album School’s Out de Alice Cooper, la couverture représentant le dessus d’un bureau d’écolier, couvert de graffitis, se rabattait vers le haut. On trouvait à l’intérieur le vinyle enveloppé dans une culotte de fillette. Ainsi, les albums comme celui-ci était des œuvres d’art à part entière, en vinyle. Enfin, n’oublions pas de dire que certains albums vinyles n’ayant pas eu de succès en leur temps n’ont jamais été reportés en CD.
Le CD présente également des avantages. Les maisons de disques, dans une démarche commerciale, rééditent les albums qui ont eu un certain succès. Remasterisations, ajout de titres bonus, de CD-ROM / DVD documentaires, sans parler des changements de packaging et du contenu des livrets, tout y passe, pour le meilleur et pour le pire. Commençons donc par le meilleur. Le report d’albums permet souvent de mettre de l’ordre dans la discographie d’un groupe, de la remettre à plat. Un album, pendant les années 60, sortait souvent dans des éditions différentes selon les pays (éditions américaine, anglaise, japonaise…) et dont le choix des pistes différait parfois notablement. Pour compliquer la chose, les singles et leur face B n’étaient souvent pas disponibles dans l’album, afin d’amener les fans à les acheter. Il pouvait même arriver qu’il y ait une version différente d’un titre selon l’édition (comme c’est le cas avec le morceau Red House de Jimi Hendrix : il y a la « U.K. version » et la « U.S. version », dont l’intro et la fin du titre diffèrent). Le report en disque compact permet ainsi de compléter un album, grâce à sa durée plus longue que le vinyle. Ce n’est malheureusement pas toujours réalisé : les premiers albums des Rolling Stones continuent à être vendus dans plusieurs éditions. Les titres ajoutés en bonus constituent aussi un avantage appréciable du CD, et quand bien même ils peuvent être anecdotiques, ils n’enlèvent rien à l’album original. Par exemple, la réédition CD datant de 1995 de l’album Who’s Next des Who est indispensable pour les fans du groupe : en effet, les titres ajoutés à la fin sont du même niveau que ceux de l’album original ! De la même manière, la « Legacy Edition » du troisième album de Santana (le groupe) sortie en 2006 est un modèle de réédition. Il y a, dans le deuxième disque, le seul live officiel du groupe fait en 1971. La remasterisation est aussi un plus en soi : qui se plaindra d’avoir un album avec un son nettoyé et plus fidèle à l’enregistrement initial ?
Mais les rééditions ont leurs défauts et inconvénients. En fait, si elles sont de bonnes initiatives en soi, le problème vient de la stratégie commerciale qui accompagne la démarche. Prenons comme exemple le remasterisation des albums des Beatles en 2009. Les slogans publicitaires insistaient sur l’excellence de ces nouvelles versions. Cependant, ce n’est qu’avec un matériel audio haut de gamme qu’il est possible de se rendre compte de la différence de son entre l’ancienne version CD et le version remastérisée (en stéréo, car la réédition mono présente de réelles différences), et cette distinction est infime. L’auteur de cet article s’est un jour amusé à écouter sur sa chaîne Hi-Fi Abbey Road dans son édition CD datant de 1987, puis celle remastérisée. Les oreilles bien en face des tweeters, il n’a pas remarqué beaucoup de différences… Il va sans dire que la grande majorité des gens qui ont acheté à nouveau les albums des Beatles, pour les écouter sur un poste courant, dans leur voiture ou avec un baladeur, ont été bernés par les slogans publicitaires.
La question des albums augmentés de bonus ou réédités en éditions Deluxe peut aussi poser problème. Celle de l’album Fire And Water de Free (réalisée en 2008) représentait une initiative intéressante pour les fans du groupe. Mais les titres ajoutés dans le premier disque et présents dans le second sont en réalité anecdotiques pour la plupart des gens : il n’y a pas de morceaux inédits, seulement des prises alternatives, des mixages différents et des versions d’essai. Quant aux versions live, elles sont interprétées par le groupe de manière quasi-identique aux titres enregistrés en studio. Leur intérêt est donc surtout historique. Or, dans les magasins Fnac et Virgin, aujourd’hui il n’y a plus que cette édition qui est disponible.
Le disque compact et le vinyle représentent pour les artistes deux manières de concevoir la musique. S’il est vrai que Jack White, avec son label Third Man Records à Nashville, enregistre ses groupes dans un studio d’où les albums ne sortent qu’en vinyles, Frank Zappa, lui, disait préférer le CD ; et c’est exclusivement pour ce support qu’il a remixé plusieurs de ses albums dans les années 80 afin d’en présenter des versions plus abouties. En ce qui concerne les amateurs de musique, l’intérêt pour les vinyles n’est-il pas aussi causé par un effet de nostalgie pour des années mythiques ? Et peut-être, pour certains, par une recherche de la marginalité ou par une forme de snobisme ? Pour ma part, c’est après avoir vu le film C.R.A.Z.Y (Jean-Marc Vallée, 2005), dans lequel les vinyles sont très présents à l’image, que j’ai eu envie de tenter le coup.
Voir aussi notre série Disquaires sans frontières ici : http://www.inside-rock.fr/-Portraits-Divers-
[1] 56 minutes est le record absolu de durée sur un 33 tours de 30 centimètres, il est détenu par l’album A Wizard, A True Star de Todd Rundgren
[2] Il faut noter qu’il existe des exceptions comme le prouve cet article : http://www.surlering.com/article/article.php/article/le-vinyle-est-de-retour-alleluia
[3] pour cette raison, les albums de Funk sortis à l’époque du vinyle souffrent particulièrement du report en disque compact, les fréquences basses ayant une importance fondamentale dans ce genre musical. Cela explique en partie pourquoi les inconditionnels de cette musique sont si attachés au vinyle.
[4] Ce qui est écrit dans ce paragraphe concerne uniquement le disque compact conventionnel, et non les CD « spéciaux » (Blu-spec CD, SHM CD, DSD-CD, SACD). Ceux-ci ont un meilleur son, notamment le SACD. Ils n’ont pas été inclus dans la comparaison opposant le vinyle au disque compact du fait de leur importance mineure : très peu d’albums ont été édités dans ces formats (la concurrence du téléchargement gratuit est trop grande).
[5] Les vinyles résistant le mieux à l’usure sont les « 180 grammes », qui sont assez épais.
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