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mercredi 15 avril 2015
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par Béatrice le 20 février 2006
paru le 13 février 2006 (Saddle Creek)
Tout commence avec le sifflement encore calme du vent qui annonce la tempête... et effectivement, cet album est une bourrasque, dont on ressort secoué, éprouvé, mais en aucun cas indemne. Le genre de disque sauvage qui prend aux tripes dès la première écoute, transporte, surprend, mais demande un certain temps avant de se laisser apprivoiser. Une oeuvre totalement anachronique, et on ne peut plus éloignée de son époque et de son monde. Et dès le premier titre, Las Cruces Jail, on sait qu’on est tombé sur un groupe qui ne laisse pas de place au sentimentalisme et à la concession, et qui a la ferme intention de ne pas épargner l’imprudent auditeur qui a osé poser le disque sur la platine... " That’s twenty-one fell by my gun, with bullets in their brains, just need one more to match my age...". Récit d’une évasion désespérée, qui semble sorti tout droit de la mythologie du Far West, il annonce la couleur... Chroniques désabusées et sans complaisance d’une certaine Amérique abandonnée et privée de tout espoir, ces neuf chansons sont autant d’invitations à un voyage dans les paysages les plus arides et impitoyables du continent américain...
Les deux lascars qui en sont à l’origine, qui ne doivent même pas atteindre le demi-siècle à eux deux, viennent de San Francisco ; à les entendre, on les croirait sortis du fin fond de la brousse américaine, errant quelque part entre le Rio Grande et la Vallée de la Mort à la recherche d’histoires à transmettre... Musicalement, ils s’en tiennent à l’essentiel, l’instrumentation étant principalement constituée d’arpèges sur une guitare électrique, d’harmonica et de batterie (seuls une trompette, un trombone et un violoncelle se risquent à s’immiscer quelques minutes sur le disque). La voix, rêche, sèche, souvent fiévreuse, allant parfois jusqu’à cracher les mots avec toute la violence qu’ils portent, ajoute encore au sentiment de fatalité qui imprègne le disque. On pense parfois au blues des Black Keys, parfois au folk de Bright Eyes dans ses moments les plus sombres, parfois même à un Damien Rice qui laisserait libre cours à tous ses démons, souvent à un Bob Dylan cramé par le soleil et sali par la poussière... Ou alors on ne pense plus du tout, tétanisé par la puissance qu’arrivent à concentrer les deux musiciens dans un rythme, une mélodie, une intonation et quelques mots bien sentis... Blues, folk, country se mêlent jusqu’à ne plus ressembler à eux-mêmes, et à construire un territoire musical inconnu et pas encore défriché, semblant vieux comme le monde et pourtant terriblement nouveau, comme quelque chose qu’on connaît depuis toujours sans jamais lui avoir véritablement fait face. Et on écoute, avec une fascination presque morbide, Chelsea Jackson débiter ses histoires de détenus préparant leur fuite, d’errances solitaires sous le soleil cuisant du désert, de malédictions et de courses contre la mort, sans relâcher son attention une seule seconde. Las Cruces Jail et Steady Rollin’ sont aussi entraînants que cruels ; à Some Slender Rest, testament fiévreux d’un homme à l’agonie, succède Long Summer Day, confession désespérée et enragée d’un noir exploité qui rappelle la Ballad Of Hollis Brown de Bob Dylan dans une version rurale : "All I’ve ever known is poor. Owe my skin to the country store. Don’t own my walls, my roofs my door, and he tells me I’m free" ; une sorte de religiosité païenne se dégage de The Prodigal Son, de l’apocalyptique Threnody ou du prophétique Waves Of Grain, qui s’apparente à un pamphlet médiéval tout en semblant cruellement actuel. Et malgré la violence des textes et l’âpreté de la voix, les mélodies sont bel et bien présentes et marquent tout autant que le reste, retenant l’oreille et imprimant ces complaintes dans l’esprit. Cet ensemble consistant, même s’il captive immédiatement, ne s’appréhende bien sûr pas en une seule écoute, et exige du temps et de la patience de la part de l’auditeur avant de révéler toute sa richesse et sa capacité à transcender les formats classiques de chansons et d’album. Le genre de disques rares qui évoquent tellement de choses qu’on aimerait en écrire des pages et des pages, tout en sachant bien qu’on ne parlera jamais aussi bien que la musique...
Atypique et inclassable, paraissant sortir de nulle part, le duo parvient à créer un univers hanté et fascinant, loin de tout territoire balisé, et que ce qui s’y risqueront n’oublieront pas de sitôt. Rares sont les groupes qui accouchent d’une musique aussi dangereuse, s’aventurent sur des terrains aussi risqués et peu défrichés, et parviennent en quelques années d’existence et deux albums à se créer une identité aussi consistante et solide... Alors oui, ce groupe est grand, certainement parmi les plus grands, et livre un album aussi inoubliable qu’inattendu , à côté duquel on serait bien mal avisé de passer.
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