Livres, BD
The People's Music

The People’s Music

Ian MacDonald

par Aurélien Noyer le 20 septembre 2011

4,5

Paru le 3 juin 2003 (Pimlico), non édité en français

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Oubliez Hunter S. Thompson, Lester Bangs, Nick Tosches ou Nick Kent. C’est impératif ! C’est urgent ! Et lisez Ian MacDonald, vite ! Non pas qu’il soit meilleur que ces illustres rock critics, mais son approche radicalement différente de la critique rock révèle à quel point l’influence de ces grands noms est devenue hégémonique, engendrant des héritiers indignes d’eux, attirés par l’apparente facilité de l’extrême subjectivité de leur écriture. Mais passer du particulier à l’universel, révéler les secrets d’une chanson de 2min 30 en ne se basant que sur son expérience personnelle nécessite un regard particulièrement acéré et une écriture extrêmement pertinente, à défaut de quoi on tombe vite dans le déballage complaisant d’anecdotes personnelles.

Dans l’introduction de son recueil The People’s Music, Ian MacDonald se démarque radicalement de cette approche. Évoquant sans les citer les auteurs précédents, il écrit « this book, however, is not cut from the same cloth, its approach being more analytical and comparative, less intimately involved with the details of lived reality. This is as much a warning to those looking for something else as it is a definition for its own sake. If you’re seeking virtuoso rebel lifestyle reportage, this isn’t the book for you. »

Et à la lecture des 29 articles (publiés dans Uncut, Mojo ou Arena), émerge effectivement ce qu’on peut raisonnablement appeler une méthode, une façon d’appréhender la pop-music (dans sa définition la plus large, révélée par le titre du recueil) et de traiter le sujet.

Si elle n’est pas exempte d’avis personnels et de biais critiques (notamment le présupposé assumé par l’auteur que la musique populaire a atteint son zénith artistique à la fin des années 60), cette démarche tranche vis-à-vis de la rock-critic habituelle en se concentrant sur une chose : la musique elle-même. Cela peut sembler trivial, voire tautologique. Mais en lisant The People’s Music, on s’aperçoit à quel point la musique passe souvent au second plan dans la rock-critic, délaissée au profil de considérations contextuelles. Parler du Jefferson Airplane implique alors de décrire extensivement la scène hippie de San Francisco ; un article sur Jimi Hendrix ne saurait se passer de l’anecdote sur la rencontre entre Hendrix et Clapton ou d’une remarque sur son perfectionnisme en studio ; le Bowie de Station To Station se limitant souvent à un cocaïnomane frénétique, composant des paroles en pilotage automatique et laissant le soin à ses musiciens de façonner un album cohérent.

À ces clichés qui, sans être totalement faux, ne constituent qu’une partie de la vérité d’un mouvement musical et social multi-dimensionnel, Ian MacDonald ajoute une vision où le contextuel est assujetti à la musique et où s’il sert d’explication, il ne sert jamais de justification ou de légitimation. Par exemple, dans son article sur le Jefferson Airplane, il n’hésite pas à déboulonner la statue du meilleur groupe hippie en ouvrant le premier paragraphe sur une citation d’un musicien anglais (non-nommé) qui définissait l’acid-rock californien par « country blues at deafening volume »… et Ian MacDonald de clôturer ce même premier paragraphe en parlant de Surrealistic Pillow : « It’s a perfectly horrible noise. » L’auteur s’attache alors à pointer les faiblesses du groupe en termes de musique et de paroles. De la même façon que, dans un autre article, il met le doigt sur la paresse de Marvin Gaye, le décrivant comme un génie doué mais souvent passif, laissant derrière lui de nombreux projets abandonnés ou à moitié terminés.

Si certains de ces articles sont sans concessions (mais toujours argumentés) dans leur aspect critique (Cream en prend également pour son grade), Ian MacDonald n’en est pas moins rigoureux dans ses éloges, qu’elles concernent des artistes unanimement reconnus (Miles Davis, Love, The Band, Steely Dan) ou un peu plus oubliés (Spirit, John Fahey, Randy Newman, Laura Nyro). L’article sur l’album Gaucho de Steely Dan est un exemple parfait d’érudition utilisée à bon escient, chaque anecdote servant à expliquer tel ou tel aspect de l’album.

Et puis, il y a les articles à vocation plus syncrétiques, visant à éclairer un aspect méconnu d’un artiste en échappant à la stricte chronique de disque ou à l’article biographique forcément simplificateur. Dans les meilleurs exemples (qu’ils concernent Bob Dylan, le Lennon américain post-Beatles ou David Bowie période Station To Station), il livre des éclairages incroyablement originaux mais toujours basés sur une solide érudition et, encore et toujours, des références à ce qui importe le plus pour Ian MacDonald : l’œuvre de l’artiste. On mesure d’ailleurs la réussite de ces articles orientés sur un seul aspect de l’artiste traité en les comparant avec les deux articles plus généraux proposés dans ce recueil : celui sur les Rolling Stones apparaît comme trop généralisateur et relativement plat, et celui tentant de résoudre l’énigme Nick Drake est à l’inverse beaucoup trop ambitieux et échoue à synthétiser la personnalité complexe du chanteur… mais livre tout de même une belle interprétation magique et gnostique de son œuvre.
Un petit mot, enfin, sur l’article éponyme… The People’s Music tente d’expliquer comment on est passé depuis les années 60 à une musique populaire (créé par des musiciens professionnels pour avoir du succès) à une musique du peuple (créé par des amateurs à destination de leurs pairs), ceci expliquant selon l’auteur la détérioration flagrante de la qualité musicale en un demi-siècle.

Hautement polémique, l’article n’en montre pas moins un véritable recul dans l’analyse de la pop-music (ainsi qu’un véritable recul dans l’analyse des façons d’analyser la pop-music, ce qui s’avère essentiel pour traiter le sujet) et si l’on peut ne pas partager les conclusions de l’auteur, si lui-même se défend dans l’introduction du recueil de vouloir établir une sorte de Théorie d’Unification de la Pop (« There’s no grand theory entailed in this anthology ; rather, it takes the form of snapshots of a phenomenon taken from a single outlook. […] There is no definitive viewpoint on pop/rock – only individual angles and private agendas. »), Ian MacDonald présente avec ce livre ce qui se rapproche le plus d’une véritable méthode critique adaptée à la pop-music et aux phénomènes associés.

The People’s Music stands or falls by whether it provokes new thoughts or feelings, and its success in doing so is up to the reader to decide, écrit-il en cloture de l’introduction… En refermant les 257 pages de ces 29 articles, on peut dire qu’il y réussit parfaitement !



Vos commentaires

  • Le 20 septembre 2011 à 23:06, par Thibault En réponse à : The People’s Music

    Je propose de placer Inside Rock sous le patronage des très saints Spider Jerusalem, Ian MacDonald, J. Jonah Jameson et George Abitbol.
  • Le 21 septembre 2011 à 00:17, par Béatrice En réponse à : The People’s Music

    Dans ce que j’ai lu jusque là j’ai quand même l’impression qu’il mélange un peu trop facilement interprétations biographiques voire psychologiques et analyse des oeuvres, du coup je suis pas encore totalement convaincue de la rigueur de sa méthode. Ca me fait plus réfléchir sur ses interprétations que sur la musique en question finalement. Mais je vais continuer !

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