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Ali Whitton

Ali Whitton

par Béatrice le 1er juillet 2008

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La guitare comme confesseur, ce n’est pas une idée vraiment nouvelle : l’histoire de l’instrument a été en partie écrite par des jeunes (et moins jeunes) mélancoliques parti chercher le réconfort auprès d’elle pour occuper leur ennui et panser leurs blessures sentimentales. Le secteur n’est guère en crise, et ne le sera sans doute pas de sitôt - même si, évidemment et comme partout, tout les confidents à guitares n’ont pas le même intérêt. Celui-ci a 25 ans, il nous vient d’Angleterre, et il a beau clamer que ce qu’il raconte n’a pas grand intérêt en intitulant son premier album A Failed Attempt At Something Worth Saying, il remue ciel et terre pour se faire entendre. Et il a bien raison, parce que ce qu’il dit, tout en n’étant ni révolutionnairement nouveau, ni dit de façon incroyablement novatrice, est bien loin d’être inintéressant. Parmi la masse des songwriters dépressifs qui se noient dans leur verres de bourbons tous les vendredi soir, ce jeune homme mal coiffé (comme tout folkeux mélancolique qui se respecte) et au jean rapé (là encore, comme tout folkeux mélancolique qui se respecte) a la présence, l’assurance, ou le je-ne-sais-quoi qui permet de se distinguer dans ce secteur où il est si facile de ressembler à tous les autres, et/ou à pas grand chose. Son album (disponible dans une poignée de disquaires parisiens indépendants et sur iTunes) le suggère fortement, ses prestations live, seul avec sa guitare et une chanteuse qui assure les choeurs, le confirme. Bref, à moins d’avoir une réaction épidermique à toute forme d’americana dépressive ou de songwriting intimiste, il est très facile de trouver qu’Ali Whitton, ben, même si on saurait pas trop dire pourquoi, c’est vachement bien !

Pour couronner le tout, le jeune homme a plus de chose à dire que la fausse modestie de son titre d’album ne le laisse penser. Venu passer un week-end à Paris, pour un marathon de concert digne de Metallica (trois concerts en une journée...), il en profite pour le prouver en se prêtant avec plaisir au jeu des questions-réponses.

Inside Rock : Commençons par les présentations... D’où sort Ali Whitton ?

Ali Whitton : Je suis né en Nouvelle-Zélande, mais j’ai déménagé en Angleterre quand j’étais tout petit ; j’ai grandi dans le nord de l’Angleterre, à la campagne, puis j’ai étudié à Leeds pendant quelque temps - c’est là que j’ai commencé à jouer. Maintenant, je vis à Londres, parce que c’est l’épicentre de la scène musicale, c’est "là où il faut être"...

IR : C’est ton premier album, ou tu avais déjà enregistré d’autres disques avant ?

A. W. : J’avais déjà enregistré, même si celui qui vient d’être publié est en quelque sorte "l’officiel", celui dont on parle comme de notre premier album. Les autres était plutôt une forme d’apprentissage pour moi, et tirés à très peu d’exemplaire, une centaine chacun.

IR : Depuis combien de temps joues-tu ?

A. W. : J’ai commencé à jouer il y a environ six ans. Je n’ai commencé la guitare qu’à 17 ans, et je n’ai commencé à écrire qu’à 19. J’ai 25 ans maintenant, donc oui, ça fait 6 ans que je fais ça sérieusement. Ca a beaucoup à voir avec le fait d’habiter à la campagne en fait. En Angleterre, il faut avoir 17 ans pour conduire, donc juste avant de pouvoir commencer à apprendre, je m’ennuyais un peu, et la télé ne m’intéressait pas vraiment. Du coup je me suis mis à jouer de la guitare, et à peu près au même moment je me suis plus intéressé à la musique - je veux dire, je m’intéressais déjà à la musique depuis le début de l’adolescence, j’en écoutais. Vers la même époque j’ai commencé à écrire un peu de poésie, et au bout d’un an les deux se sont plus ou moins connectés. Après il y a eu les groupes de lycée habituels - j’étais dans un très mauvais groupe au lycée, mais c’est pour eux que j’ai commencé à écrire, et puis une fois à Leeds je m’y suis mis plus indépendamment.

IR : Qu’est-ce que tu citerais comme influences principales ?

A. W. : Des singer-songwriters, particulièrement du passé. Pour le présent, je dirais Bright Eyes, Okkervil River, The Shins, Death Cab For Cutie un peu, ce genre d’americana ; Wilco , aussi. Et sinon, pour le passé, beaucoup de Bob Dylan, Simon & Garfunkel, James Taylor,ce genre de gens... c’est-à-dire des vieux singer-songwriters des années 60-70. C’est vraiment dommage, mais il n’y a rien en Angleterre qui m’aie jamais vraiment influencé... Mais malgré ça, je n’ai pas honte de chanter avec mon accent anglais, au contraire. Il y a pas mal de chanteurs anglais qui écoutent tellement de musique américaine qu’ils finissent par chanter avec un accent américain, et... j’aime pas trop ça, donc j’essaie de ne pas le faire.

IR : D’ailleurs, c’est vrai qu’en dépit de tes influences presque exclusivement américaine, ta musique sonne très britannique...

A. W. : En fait, ma mère écoutait beaucoup de musique folklorique anglaise, irlandaise et écossaise, donc c’est possible que de façon subliminale ou subconsciente, ça transperce par moment. Quand on a commencé à joué en groupe, c’était un violon et de l’acoustique et ça sonnait assez folk ; ces dernières années, au moment de l’enregistrement de l’album un peu, beaucoup après, je me suis mis à écouter beaucoup plus de country, mais avant ça c’était beaucoup plus folk. Maintenant c’est plus dans l’esprit de Gram Parson...

IR : Tu es déjà allé en Amérique ?

A. W. : Juste une fois, il y a à peu près trois ans. C’était avant que je me mette vraiment à la country et aussi à un moment où je n’avais pas encore trop confiance en moi... Bon et j’y suis allé pour les vacances, si j’y allais maintenant par contre, je voudrait vraiment jouer. J’attend d’avoir vendu assez d’albums pour pouvoir me permettre d’y retourner et d’y jouer mes chansons... mais Paris est un début - sortir de l’Angleterre !

IR : Tes chansons sonnent très spontanées, presque comme si tu les écrivaient au moment précis où tu les chantais... Comment t’y prends-tu pour les écrire ?

A. W. : Au départ... pour parler en termes de "est-ce que j’écris les paroles ou la musique en premier"... au départ donc, c’était un peu des deux, mais maintenant presque systématiquement, j’écris les paroles quand j’en ai envie, et après, je trouve un air et j’y ajoute des paroles, je trouve un texte qui colle - mais pas les deux en même temps. Mes textes sont toujours très très personnels, je me fait un peu peur en me me forçant à écrire des choses que je n’aimerait pas forcément que les gens entendent, et puis je développe un peu....

IR : C’est de l’écriture-confession, donc.

A. W. : Oui, clairement. je ne sais pas trop d’où ça me vient, et je pense que c’est une façon assez égoïste d’écrire en fait... Il y a beaucoup de gens qui écrivent des chansons politiques - mais je ne suis pas doué pour ça ; ensuite il y a ceux qui font des chansons-histoires, et j’aimerai être douée pour ça, c’est peut-être ce vers quoi je m’oriente... Mais la confession, ça ne me pose pas de problèmes ; c’est juste parce que c’est assez égoïste, c’est vraiment facile, parce que c’est fondé uniquement sur du réel. Et c’est juste une heureuse coïncidence que les gens s’y retrouve... qu’il y ait cette espèce de continuité parmi nous tous...

IR : Pour parler un peu de ton groupe, les BrokeRecordPlayers, à quel moment sont-ils intervenus ?

A. W. : Tout a commencé à Leeds. Au départ, je joué tout seul, puis j’ai trouvé le guitariste, qui est quelqu’un avec qui j’étais à l’école primaire, donc on a commencé à jouer un peu ensemble, puis avec une autre amie qui jouait du violon... J’essayais de rendre la musique un peu plus intéressante, parce qu’à l’époque je jouait beaucoup en acoustique dans des salles où tout le monde jouait en acoustique, et je voyais plein de singer-songwriters seuls avec leur guitare, à faire et refaire toujours la même chose... Et c’était franchement ennuyant ! Du coup, je me suis dit que je ne voulais pas tomber dans ce piège, et c’est pour ça que j’ai décider d’inclure plus d’instruments. Aussi, vers ce moment je devais avoir 22-23 ans, et la musique forte m’impressionnait pas mal ; mais je voulais combiner ça avec les paroles, donc je voulait d’abord mettre les textes en avant, pas forcément sur un fond bruyant, et faire vraiment monter le volume aussitôt que j’arrêtais de chanter. C’est pour ça qu’il y a certaines chansons sur l’album qui commencent très très calmement pour se conclure vraiment fort. Je voulais que le public se prenne une claque musicale en plus d’une due aux chansons - si tant est qu’ils s’en prenaient une des chansons (rires).

IR : Et tu prend en compte la présence du groupe quand tu écris ?

A. W. : A ce moment-là, oui ; maintenant plus que jamais, j’écris sciemment pour chanter en solo, donc je ne met pas de breaks pour des solo ou ce genre de chose, parce que je sais que je ne peux pas me le permettre pour l’instant, étant donné la situation avec le groupe l’an dernier... Sam [le chanteuse qui l’accompagne pour son escapade parisienne, ndlr] est très dévouée, mais tous ne le sont pas autant, et tout le monde avaient sa vie.... Et puis, si on avait été signé, même par une major, il n’aurait pas été réaliste d’espérer qu’il financent des tournées pour un groupe de sept musiciens directement, ils auraient juste payé pour deux ou trois personnes... Donc ça paraissait le plus logique de laisser le groupe de côté... et quand je pourrai les payer, je les récupérerai ! (rires) Mais ça me manque, clairement, j’aime jouer tout seul et j’aime jouer en groupe... Dans un monde idéal, je ferai comme Dylan dans les années 60, 45 minutes seul, 45 minutes avec un groupes.

IR : Logistiquement, ça se passe comment ? Tu es signé sur un label ou pas encore ?

A. W. : Non... En fait, on a enregistré l’album il y a en gros un an et demi, et je pensais naïvement qu’on pourrait en céder les droits, c’est-à-dire qu’on en aurait conservé la propriété, mais qu’on l’aurait donné à une maison de disque qui l’aurait venu, aurait pris sa part et nous aurait ensuite donné un peu d’argent en retour. Mais c’était naïf de croire que l’industrie du disque, particulièrement en Angleterre, serait ouverte à ça... Du coup, à Noël, soit un an après l’enregistrement, je me suis dit qu’il fallait que je le publie d’une façon ou d’une autre, alors j’ai payé le pressage d’un milliers de CD et je l’ai aussi mis sur iTunes - au moins, c’est disponible, et même si ça ne se vend pas aussi bien que s’il y avait du marketing derrière, au moins j’espère que ça va augmenter petit à petit... on verra...

IR : Tu comptes beaucoup sur Internet pour le diffuser, non ?

A. W. : Absolument, oui. Encore une fois, c’est vraiment assez égoïste.... J’ai un boulot à Londres, je fait de l’assistance téléphoniques, et entre deux appels, je fait ma promotion... ce qui n’est pas très bien (rire)... Je pense que Myspace a fait son temps, parce que ce n’est jamais que l’équivalent d’un pièce remplie de gens qui cirent tous en même temps... Mais Internet, ça reste un moyen de faire un peu de marketing pour presque rien. Et puis, c’est vrai que j’écoute beaucoup de musique sur mon iPod maintenant, et encore, je suis une de ces personnes un peu ringardes qui aiment avoir leurs CD, mais il y a plein de gens à qui c’est égal de ne pas les avoir...

IR : Tu as donc mis plusieurs nouvelles chansons en téléchargement libre sur ton site, et tu invites les gens à donner leur avis. C’est une façon d’inventer une sorte d’écriture ou de production un peu collaborative ?

A. W. : Oui, parce que c’est dernier temps, particulièrement sans le groupe, je n’ai personne pour réagir à ce que j’écris, personnes pour vérifier que c’est correct, et je veux quand même avoir une espèce de contrôle de qualité... C’est pour ça que je fais ça. J’écris mes chansons, et à partir de celles que les gens semblent aimer je peux avoir une idée de celles qui fonctionnent, et savoir lesquelles mettre sur mon prochain album quand je l’enregistrerai... Après, ceux qui n’ont aucun goût et qui aiment tout peuvent tout télécharger s’ils veulent ! (rire)

IR : Tu as eu des retours ?

A. W. : Un peu, oui, surtout via Lastfm, parce que ça permet de voir quelles chansons les gens écoutent le plus, ce qui est assez utile. C’est un peu ma stratégie maintenant - s’il y en a une. Je n’essaye pas vraiment de vendre l’album à mes concert, parce que je ne vais ne pas jouer de nouvelles chansons et je ne vais pas jouer uniquement ce qui est sur l’album... Je joue les nouvelles chansons qui sont sur mon site, et je dis qu’elles y sont en téléchargement gratuit sur Internet, et après, avec un peu de chance, les gens viendront plus aux concerts et ceux qui aiment vraiment finiront par acheter l’album... peut-être.

IR : Pour finir, comment as-tu trouvé ces dates à Paris ?

A. W. : C’est une longue histoire... Alain [manager officieux d’Ali en France, en quelque sorte, ndlr] suit ma musique via Internet depuis quelques années déjà, et quand l’album est sorti, il a pensé qu’il était temps d’essayer d’en distribuer quelques copies au moins à Paris.... Au départ, l’idée était de le mettre dans les cinémas indépendants, mais c’était trop cher pour moi, donc il a finalement trouvé d’autres magasins qui était d’accord pour le prendre à condition que je vienne en faire la promotion... Et aussi, à en juger par MySpace et LastFm, il y a pas mal de Français, et aussi d’Allemands et de Suédois qui aiment bien mes chansons... plus que les Anglais ; les Anglais ne sont pas très curieux, il faut vraiment que les médias leur disent d’écouter quelque chose pour qu’ils s’y intéressent... Donc j’essaierai de revenir à Paris, et peut-être de combiner ça au moins avec l’Allemagne, peut-être pas encore avec la Suède.

L’album d’Ali Whitton, A Failed Attempt At Something Worth Saying, est en écoute sur son site internet, aliwhitton.co.uk , où il est également permis de l’acheter.



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