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mercredi 15 avril 2015
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par Béatrice le 13 juin 2006
paru le 20 février 1996 (Mute Records)
Dans la tradition musicale anglo-saxonne, le terme “murder ballad” désigne un type de chansons bien précis, qui raconte, comme on pouvait s’en douter, des histoires de meurtre souvent danns leur détails les plus morbides. La ballade en question est supposée décrire les circonstances qui ont amenées au meurtre, le lieu, et l’acte du meurtre lui-même, puis la fuite du meurtrier et son arrestation, avec souvent à la clé une morale. Toutefois, on en trouve également racontées du point de vue de la victime, ou encore du meurtrier lui-même.
Nick Cave expérimente ici le genre dans toutes les possibilités qu’il offre, s’inspirant souvent de récit ou chant traditionnels. Dans chaque chanson a lieu au moins une mort tragique, souvent plus, racontées sans pitié ni pudeur, tantôt d’un point de vue d’observateur détaché, plus souvent du point de vue de l’assassin lui-même, ou encore, sous forme d’un étrange dialogue entre victime et meurtrier. Indiscutablement, on pouvait difficilement imaginer meilleur chanteur que Nick Cave pour se genre d’entreprise aussi intéressante que dérangeante : sa voix grave et menaçante, sa narration précise et suffisamment romancée pour éviter que les histoires qu’il se plaît à raconter soient totalement insupportables, son ton impitoyable, se prêtent parfaitement à l’exercice. Il ressuscite donc un certain folklore traditionnel, narrant des aventures qui pourraient se dérouler à peu près n’importe où et à peu près n’importe quelle époque, renouvelant le genre des contes cruels. Nul besoin de préciser que le résultat s’avère assez dérangeant et plutôt malsain, encore plus quand on prend la peine d’écouter ou de lire les textes ; à la voix sombre de Nick Cave et à l’instrumentation souvent pesante et macabre viennent parfois s’ajouter des hurlements glaçants ou des sanglots désespérés.
Les ambiances oscillent entre la description de la cruauté dans sa violence la plus bestiale et avide de sang, la tristesse sombre et morne déguisée en hommage, le surnaturel inquiétant, et la menace de la folie ou du désespoir. Dans Song Of Joy, qui constitue peut-être la ballade meurtrière la plus “classique”, le narrateur à la recherche d’un foyer pour la nuit raconte en détail comment sa femme et ses trois filles lui ont été ôtées par un mystérieux tueur en série insaisissable, ce qui l’a poussé à quitter son foyer pour errer à travers le pays, à la recherche d’asiles ; au fil de la chanson, la voix de Nick Cave se fait de plus en plus menaçante et inquiétante, laissant penser qu’il ne serait aucunement digne de confiance et pourrait très bien être ce fameux tueur ... Le malaise s’approfondit avec Stagger Lee, adaptation d’un morceau traditionnel autour d’un meurtrier américain ayant réellement existé, et connu sous le nom de Stagger Lee ; la version de Nick Cave est franchement plus rude que les variantes traditionnelles, décrivant crûment les méfaits de Stagger Lee. Les deux duos présents sur l’album sont également directement inspirés de poèmes ou chants traditionnels : Henry Lee, duo glaçant avec PJ Harvey sur un jeune homme tué par une femme qu’il refuse d’aimer, contient des extraits d’un texte traditionnel. De la même façon, le duo avec Kylie Minogue Where The Wild Roses Grow, qui a été le plus gros succès commercial de Nick Cave, est inspiré d’une chanson traditionnelle, .... Willow... contant l’histoire d’un homme qui tue la femme qu’il convoite lors de leur première promenade ensemble. L’étrange Lovely Creature, sur une promenade irréelle avec une “créature adorable” et mystérieuse qui disparaît tout aussi mystérieusement, constitue probablement le titre le moins dur et le plus poétique de l’album ; et puis, après le duo avec Kylie Minogue, on monte d’un cran dans l’horreur, les chansons se font plus cruelles et les histoires plus crues. Certes, la désolée The Kindness Of Strangers ne semble pas encore trop malsaine, puisque le point de vue adopté y est celui d’un personnage extérieur, plaignant la victime “O poor Mary Bellows” et terminant par le conseil avisé de se méfier des inconnus, mais les autres morceaux sont impitoyables et parfois à la limite du supportable. On entend ainsi une jeune fille d’une quinzaine d’année, aux cheveux jaunes et aux yeux verts, ou “plutôt l’inverse”, qui s’amuse à massacrer uns à uns les habitant d’un village raconter son histoire, apparaissant à la fin à la fois démoniaque et démente, sur The Curse Of Millhaven, puis l’histoire de Crow Jane (personnage traditionnel du folklore américain) qui tue vingt hommes de la ville voisine. Enfin, l’apogée de l’atrocité est atteinte sur l’épique O’Malley’s Bar qui s’étend sur près d’un quart d’heure, et au cours de laquelle le narrateur décrit précisément le massacre qu’il commet dans un bar, tuant chaque client un à un... Exploration finale de la cruauté et de la folie humaine, de l’appétit morbide et de l’horreur vue à travers les yeux du bourreau, cette chanson est - forcément - pénible, et ne peut laisser indifférent dès lors qu’on s’arrête , ne serait-ce que pour deux strophes, sur les paroles.
Est-ce par ironie suprême ou une tentative pieuse d’apaiser et d’alléger l’ensemble ? Toujours est-il que l’album s’achève par un chœur presque mystique, invitant à “ se rappeler que la mort n’est pas la fin”, dans une reprise on ne peut plus à propos du Death Is Not The End de Bob Dylan...
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