Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Psymanu le 28 février 2006
paru en janvier 2006 (V2 Records)
Mark Lanegan, la grosse voix abyssale et rugueuse des Screaming Trees puis des Queens Of The Stone Age, et Isobel Campbell, la violoniste au timbre doux et plein de miel des Belle & Sebastian. En voila une idée bizarre, parce qu’on les voyait au moins sur deux planètes différentes éloignées de plusieurs années-lumières. Bon, le coup a déjà été tenté à plusieurs reprises dans l’histoire de la musique populaire, et même une improbable rencontre entre Nick Cave et Kylie Minogue avait fait très bon effet, donc on se dit que ça ne peut pas être totalement raté. Et puis, deux pedigrees absolument immaculés empreints d’une respectabilité (pour ce que ça peut bien vouloir dire) totale qui se rencontrent et collaborent, ça oblige au moins à jeter une oreille curieuse. Dont acte, avec ce Ballad Of The Broken Seas entièrement composé par la belle, à l’exception d’une reprise de Hank Williams.
Voix d’outre-tombe, dès Deus Ibi Est on est soulagé de constater que Lanegan est plus lui-même que jamais. Isobel le soutient par ses chœurs susurrés, elle est une nymphe qui danse autour d’un vieux lion fatigué qui, elle le sait bien, ne la mordra plus. La bestiole assoupie, elle s’offre Black Mountain, pour elle seule, mélodie sautillante. Puis, soudain, la nuit tombe. Le vieux cow-boy ouvre ses yeux fiévreux, plein d’inquiétude tend une main tremblante et demande « where have you been my darlin’ ? ». Les vieux démons du blues et de la country sont bien sur invoqués, et The False Husband ne fait insulte à aucun d’eux. Peut-être est-ce justement ce qui peut être reproché à l’expérience, nous y reviendrons. Ballad Of The Broken Seas, le morceau-titre, est une jolie bluette. Pour une fois, Lanegan est à contre-emploi, prend soin de ne mettre aucune aspérité même dans ses montées, afin de préserver le velouté de la composition. Revolver est dans une veine similaire. Les deux duettistes y chantent de concert. Il est intéressant de constater que leurs timbres sont si antagonistes qu’ils pourraient hurler ensemble sans qu’aucun n’éclipse jamais l’autre, chacun campant fermement sur l’assise toute personnelle que lui procure son organe. Ô joie, la reprise de Ramblin’ Man tient toutes ses promesses. Personne ne chante mieux dans ce registre que Lanegan. Campbell y ajoute son couplet, en espiègle commentatrice, mais n’ébranlera pas le Screaming Tree dans ce qu’il fait de meilleur. (Do You Wanna) Come Walk With Me est amusante parce que Mark y sonne enjoué sans se départir de son timbre de Johnny Cash agonisant. Et ça dérange un peu le cliché qu’on a de lui, de l’entendre fredonner ce genre de petite comptine, et l’on en vient à prier, un peu honteusement, pour qu’il ne soit jamais plus aussi heureux.
Mais c’est oublier un peu vite que Lanegan n’a comme brides musicales que celles qu’une certaine critique autant que ses propres fans lui ont fabriquées, et que ses participations à divers projets éclectiques font mentir chaque jour davantage. Isobel est à nouveau seule au micro sur Saturday’s Gone, qu’elle murmure de sa voix neutre, comme une brise de vent dans nos cheveux. S’ensuit un instrumental, assez impersonnel pris à part du disque, It’s Hard To Kill A Bad Thing qui n’apporte pas grand-chose si ce n’est une pause pour briser toute éventuelle monotonie. Dispensable. Moins dispensable est Honey Child What Can I Do ?, même si sa production est peut-être trop FM pour parvenir à sortir du lot. Elle possède néanmoins le même charme immédiat que le morceau-titre, et en cela peut constituer une bonne porte d’entrée dans l’univers de Lanegan autant que de Campbell pour ceux qui n’en connaîtraient rien. Dusty Wreth, un autre instrumental, est magique, quant à lui. A la fois très doux et très inquiétant, tel qu’on aurait voulu tout le disque, finalement. Ce dernier est clos par un The Circus Is Leaving Town très folk, vociféré par Mark Lanegan, comme on aime tant l’entendre faire.
Que faut-il retenir de Ballad Of The Broken Seas, projet aussi inattendu que générateur d’attentes ? Si l’on sent que c’est bien Isobel qui mène l’aventure, elle se met toutefois totalement au service du charisme rocailleux de son chanteur d’un soir. L’ensemble est agréable, très agréable. Mais voila, ne l’est-il pas un peu trop ? On sait la passion de Campbell pour Gainsbourg et ses sucrettes toujours aussi subversives que bien emballées. On sait aussi depuis Bubblegum à quel point Lanegan peut conserver son mystère et son danger même dans les écrins les plus somptueux. Or, il y a peu de tout cela dans cet album. Le joli est peut-être trop privilégié, au détriment du propos, ou du sous-jacent. À se montrer trop brillant, l’on perd peut être trop ces zones d’ombres qui font le charme de tant de disques. Néanmoins, hors de question de parler ici de demi-teinte, on prend plaisir à écouter de bout en bout cet essai qui, on en serait ravi, en appellera peut être d’autres.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |