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par Aurélien Noyer le 20 novembre 2012
Paru le 16 novembre 2012 (Season of Mist)
Les hasards de calendriers sont parfois taquins. Le mois de novembre 2012 voit le retour de Soundgarden, avec un album encensé comme il se doit, tant le groupe de Chris Cornell renoue avec une fougue que l’on pensait disparue. Pourtant, ce King Animal d’excellente facture trouve sur sa route un équidé qui n’entend pas se soumettre à son règne.
Bien sûr, il est peu probable (malheureusement) que Cheval de Troie, malgré les velléités d’entrisme manifestées par son titre, côtoie les chiffres de vente de King Animal... mais qui s’arrête encore à ce genre de considérations quand les Normands de Last Bärons livrent là un album presque parfait où chaque chanson, aussi accrocheuse soit-elle, mérite qu’on la réécoute et qu’on en savoure les subtilités ?
Je jouerais presque les pédants en faisant remarquer que la qualité de l’album ne peut être une surprise pour quiconque avait écouté leur très bon premier album, Elephantyasis. Mais ne connaissant moi-même le groupe que depuis quelques semaines, je me contenterai de profiter de l’occasion pour vanter un album qui n’a pas beaucoup quitté ma playlist ces derniers temps... avant de revenir à ce fameux Cheval de Troie.
Tout le monde connaît le couplet d’auto-dénigrement que les fans de rock français ont l’habitude d’entonner dès qu’on parle de musique rock en France. Il paraîtrait ainsi qu’il ne peut y avoir de bon rock en France. À l’écoute de Cheval de Troie, il semblerait que Last Bärons ont parfaitement compris les raisons de l’échec du rock en France et ont trouvé une solution. Dès Nomad Soul, il est évident que le grunge est une référence explicite du groupe : Julien Soler reprend le phrasé tendu de Eddie Vedder alors que le riff principal est emprunté au Heart-Shaped Box de Nirvana. Pour autant, à aucun moment le groupe ne tente de se faire passer pour un groupe des années 90 à Seattle. Une telle entreprise serait vouée à l’échec, tant il est vain d’essayer d’imiter des groupes dont la musique était nourrie d’une expérience située à 6000 km et 20 ans de celle des membres de Last Bärons.
Donc plutôt que jouer un ersatz de grunge, ceux-ci imprègnent leur musique d’un certain recul et d’un certain esprit de déconstruction en plaçant judicieusement des arrangements inattendus, des riffs légèrement arythmiques, quelques dissonances. Si, ce faisant, ils s’aventurent sur les terres d’un autre musicien des 90s (nommément le Mike Patton de Faith No More et de Mr Bungle), cela leur réussit parfaitement.
Grâce à la distance qu’ils maintiennent entre le grunge originel et leur musique, ils peuvent emprunter l’esthétique et la puissance sonore de celui-ci sans passer pour des imitateurs à côté de la plaque. Quant à l’esprit torturé généralement associé au grunge, il est ici remplacé par une approche résolument plus technique dans laquelle les musiciens français excellent depuis quelques années [1].
Très concrètement, cette orientation se traduit par des titres comme Hidden Sun qui navigue avec une aisance peu commune entre les arrangements à violons, les rythmes funky et le riff puissant, jusqu’à se payer une petite séquence "musique de cocktail hawaïenne". Mais le soin apporté à l’équilibre de l’album apparaît comme une évidence dès le titre suivant. Un album constitué entièrement de titres aussi tordus que Hidden Sun aurait été vite vain et The Violent Kind montre que Laurent Tostain et Ludovic Landeau, respectivement bassiste et batteur, savent intégrer quelques astuces rythmiques sans se départir d’un sens aigu de la construction quand il s’agit de la jouer heavy.
Pour rendre totalement justice à l’album, il faudrait presque citer les morceaux un par un tant chacun apporte son quota d’inventivité au travers d’un gimmick, d’un rythme ou d’un riff imparable, concocté par les guitaristes Damien Landeau et David Mazeline sous l’influence du Josh Homme des grands jours. Si vous voulez savoir à quoi je fais référence, écoutez directement Going To Varzi. Tout au long de l’album, la créativité du groupe vient enrichir le background grunge qui sous-tend les compositions et donne sa cohérence à l’album. Faire l’inventaire de chaque chanson serait un tel exercice aussi rébarbatif pour moi que pour le lecteur, mais il convient de préciser qu’il est rare de tomber des albums qui, comme Cheval de Troie, peuvent aussi bien s’écouter d’une traite que chanson par chanson [2].
Ce niveau d’excellence, Cheval de Troie le doit également à la qualité de sa production, qui montre que les Français ont désormais rattrapé leur retard dans ce domaine. Non seulement le mixage de l’album est impeccable, mais la production accompagne chaque idée du groupe avec appoint et participe complètement à la réussite du disque. Une telle richesse sonore n’est pas seulement due à l’évolution technologique qui a permis à des groupes relativement confidentiels d’avoir accès à un son de qualité, elle révèle l’émergence de musiciens et de producteurs qui maîtrisent parfaitement cette composante essentielle d’un album.
À partir de là, que peut-on rajouter ? Avec Cheval de Troie, ça fait deux albums excellents signés par Last Bärons, lesquels semblent en bonne compagnie au sein de la Klonosphère et sont en prime distribués par Season Of Mist, le label de Klone, Kylesa, The Dillinger Escape Plan, Morbid Angel, Saint Vitus. Il est difficile de ne pas se réjouir d’une telle dynamique au niveau de la scène rock et metal française... surtout quand celle-ci produit des albums de la trempe de Cheval de Troie.
[1] Je pense évidemment à leurs camarades de la Klonosphère (Klone, Trepalium, Hacride, etc.) et, bien sûr, à Gojira.
[2] On exclura peut-être le premier titre, Shaman’s Warning Song, qui remplit parfaitement son office de chanson d’introduction mais n’est pas passionnante à écouter isolée du reste de l’album, et l’interlude From Beyond.
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