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Couldn't Stand The Weather

Couldn’t Stand The Weather

Stevie Ray Vaughan And Double Trouble

par Simon Perdrillat le 30 mai 2011

paru en 1984 (Epic/Legacy)

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Aujourd’hui encore, SRV, disparu en 1990, est considéré comme un grand bluesman et un géant de la guitare électrique. Sa maîtrise technique, la musicalité et la sensibilité dont il savait faire preuve dans son jeu de guitare et son talent de compositeur continuent de fasciner des générations de musiciens et de mélomanes.

Pendant sa trop courte carrière – SRV obtint un contrat avec une maison de disques à 29 ans et mourut dans un accident d’hélicoptère six ans plus tard - il enregistra cinq albums studio. Quatre avec son groupe Double Trouble et un avec son frère Jimmie (guitariste des Fabulous Thunderbirds), Family Style (1990). Avec le premier, Texas Flood (1983), il remit le blues-rock au goût du jour quand le genre agonisait et n’était plus écouté du grand public. Les albums suivants allaient confirmer le talent de SRV, qui s’affirmait en tant que compositeur, arrivait à se détacher de certaines influences, celles de Albert King et de Jimi Hendrix en particulier, et abordait une plus grande variété de genres musicaux.

Enfin, SRV est un des rares musiciens des années 80 dont l’œuvre a résisté au passage du temps. Pendant cette décennie catastrophique pour le blues et les musiques populaires en général, ses disques étaient comme une bouffée d’air frais pour les amateurs éclairés du genre.

Couldn’t Stand The Weather est le deuxième album de SRV avec son groupe Double Trouble [1], un trio avec le batteur Chris Layton et le bassiste Tommy Shannon. SRV aborde dans cet opus des genres musicaux plus variés que dans le précédent ; le blues domine toujours, mais il y a aussi du rock (la reprise de Voodoo Child (Slight Return) de Jimi Hendrix), du jazz (Stang’s Swang) et le morceau titre est sous influence soul-funk.

Comme pour chaque albums de SRV, il y a plusieurs reprises, ici quatre avec The Things (That) I Used To Do de Guitar Slim, Voodoo Child, Cold Shot de W.C. Clark et Tin Pan Alley de Bob Geddins, ces deux derniers étant des bluesmen texans. Pour anticiper les remarques qui pourraient naître dans l’esprit des lecteurs, je me permets de préciser que ces reprises sont suffisamment éloignées des versions originales pour qu’on ne puisse pas taxer SRV de manque d’imagination. SRV extrapole ces titres ; ainsi la version originale de Tin Pan Alley dure trois minutes mais lui l’a étirée jusqu’à neuf minutes en brodant des solos de guitare. Il change aussi leur ambiance : The Things…, qui est à l’origine un blues laid-back, est ici transformé en un morceau tonique. Il faut aussi noter le fait que les reprises sont courantes dans le blues (les bluesmen ne passent pas leurs journées à se faire des procès pour plagiat, eux !) et ne sont pas mal vues que comme cela peut-être le cas dans le rock. Seul Voodoo Child est proche de l’original mais il constitue en fait le grand hommage du Texan à son idole qu’il essaie de dépasser dans son style.

Une chose frappe à l’écoute de ce disque : la maîtrise technique polyvalente de SRV. Scuttle Buttin’ est un instrumental blues-rock joué à un tempo très rapide, la dextérité dont fait preuve SRV est incroyable. A l’inverse, Tin Pan Alley est joué à un tempo extrêmement lent, ce qui est peut-être encore plus difficile car cela exige une très grande maîtrise du rythme, et là encore, l’interprétation est un modèle du genre.

Dans le titre Couldn’t Stand The Weather, SRV montre qu’il sait produire un groove imparable. Bien sûr, dans plusieurs titres SRV laisse libre cours à son « Texas Blues » : ces riffs saccadés joués avec son violent coup de médiator et ces solos remplis de breaks imprévisibles. Pour les guitaristes, il faut savoir que SRV s’accorde généralement un demi-ton plus bas que l’accordage standard, ce qui lui permet d’utiliser un jeu de cordes à fort tirant (du 13-58) sans que l’instrument ne devienne injouable et que la pression exercée sur le manche ne risque de le déformer. C’est cette caractéristique et son coup de médiator de bûcheron qui lui procurent cette attaque puissante, à l’instar de Dick Dale. Mais la technique de SRV ne doit pas faire perdre de vue l’essentiel, c’est-à-dire la qualité de la musique proposée ici.

Attardons-nous maintenant sur le morceau-titre de ce disque qui est l’un des plus réussis. On notera que Jimmie Vaughan [2] s’occupe des parties de guitares « secondaires » en retrait de SRV. Sa présence rend ce morceau plus complexe que les autres au niveau de la structure car ses parties rythmiques s’imbriquent avec celles de son frère. Ce titre est construit sur l’alternance de deux climats : l’un lyrique, passionné, on l’appellera « climat A », l’autre énergique et funky, le « climatB ».

Le frangin.

Les 20 premières secondes d’introduction appartiennent au « climat A », la partie instrumentale qui suit au « B ». Au passage, appréciez les superbes et nombreuses variations de SRV autour du riff principal. Dans la partie où SRV chante, le « B » est installé pendant les couplets, relayé par le « A » au moment des refrains. Refrains dans l’esprit car les paroles ne se répètent pas : « Sweet as sugar love won’t wash away… » et « Changes come before we can grow… ». Le solo de guitare qui intervient à 2’47" se divise lui aussi en deux parties nettes. La première est flamboyante, la seconde est lyrique. Enfin, le riff principal revient et le morceau se conclut avec les trilles de SRV. Cette alternance de climats illustre bien les paroles de la chanson qui évoquent une relation amoureuse instable.

Dans ce titre, l’influence de Jimi Hendrix est évidente : le riff principal rappelle sensiblement son travail dans l’album Band of Gypsies ; quand au solo, comment ne pas penser à Hendrix étant donnée l’utilisation de la pédale wah-wah ? Toutefois SRV conserve un style propre, il ne s’arrête pas au langage de son idole, et ce solo, avec son envolée, compte parmi ses plus beaux.

Plusieurs morceaux de cet album méritent une attention particulière. Dans The Things (That)…, SRV offre un autre solo majeur, influencé par Albert King. SRV a d’ailleurs donné une version magnifique de ce titre lors de son concert au Carnegie Hall (New York) en 1984, accompagné de la section de cuivres du big band Roomful of Blues et de Dr.John au clavier. Les fans s’accordent généralement pour dire que ce live est son meilleur dans la discographie officielle. Quant à Voodoo Child (Slight Return), c’était un pari risqué. Jimi Hendrix est un des musiciens dont les titres sont les plus difficiles à reprendre car leur construction est essentiellement basée sur des parties de guitare que personne n’arrive à égaler. Eric Clapton dans sa période Derek and the Dominos s’était royalement gaufré en reprenant Little Wing.

Comme nous l’avons vu précédemment, SRV reprend Voodoo Child en restant assez proche de la version originale mais il invente de nouveaux solos de guitare et joue d’une manière plus bluesy que le créateur du titre. En fait, SRV respecte la structure et l’esprit du morceau tout en y imprimant sa personnalité. Il a aussi compris la démarche de Jimi Hendrix, qui ne jouait jamais deux fois de la même manière et réinterprétait constamment ses titre en concert. SRV a sans doute dû entendre des lives de Hendrix car tout comme lui, il rejoue l’intro à la fin du morceau, ce qui n’est pas le cas dans la version studio.

Tin Pan Alley mérite aussi mention. La version figurant dans l’album est un première prise, SRV a essayé d’en faire d’autres sans arriver à retrouver le feeling blues et l’inspiration qui l’avaient traversé. La guitare de SRV est un délice, on peut apprécier pleinement son toucher car il joue lentement et avec un son clair. C’est ce genre de performance qui a dû imposer SRV aux amateurs de blues les plus exigeants.

Enfin, quelques mots sur Stang’s Swang qui clôture ce disque. C’est un titre de jazz, on peut donc entendre un dialogue instrumental entre SRV et un saxophoniste. SRV joue ici dans un style rappelant Kenny Burrell, grand guitariste de jazz connu pour son travail dans les années 50 et 60 qu’il citait parmi les musiciens l’ayant influencé (il reprendra en studio son Chitlins con Carne qui apparaît dans l’album posthume The Sky Is Crying). Ce titre permet aussi de prendre la mesure de la polyvalence de SRV ; s’il n’était pas mort si jeune, il aurait sûrement pu enregistrer un excellent album de jazz.

Depuis quelques années, SRV est un musicien controversé dans certains forums de musique. Quelques spécialistes affirment qu’il est surestimé car, après tout, il n’a pas du tout innové dans le blues et la guitare électrique. Il est évident que SRV n’est pas révolutionnaire, mais le critiquer pour cette raison n’a pas beaucoup de sens : il avait un style personnel, un véritable feeling et son apport au blues est considérable. Plusieurs bluesmen ont pu être révolutionnaires (Buddy Guy et Johnny Guitar Watson, pour ne citer qu’eux) mais le blues n’est pas et n’a jamais été essentiellement avant-gardiste, ce qu’il recherche avant tout n’est pas formel, c’est l’expression des sentiments, en particulier du désespoir (« être un bluesman, c’est être noir deux fois » - B.B. King). Et à l’écoute des disques de SRV, on ne peut nier qu’il était un authentique bluesman.



[1le nom du groupe fait référence au célèbre morceau éponyme d’Otis Rush.

[2frère de SRV et guitariste également, comme indiqué précédemment. Il Joue aussi discrètement dans The Things (That) I Used To Do.

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