Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Emmanuel Chirache le 19 octobre 2010
Paru en novembre 1969 aux Etats-Unis et en février 1970 en Angleterre (Mercury/Vertigo)
An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down : "Un vieil imperméable ne vous laissera jamais tomber". Voilà un titre sobre, clair, plein de bon sens. Un adage qui se vérifie aisément, il suffirait d’interroger l’inspecteur Columbo pour savoir qu’en effet, rien de plus fidèle qu’un vieil imperméable. Cette phrase, qui se situe donc quelque part entre le sublime et la nullité absolue, n’a hélas pas convaincu la maison de disques américaine, puisque Mercury lui substitua un The Rod Stewart Album plus compréhensible, histoire de trancher dans le médiocre. Du coup, les Américains furent également privés de l’illustration originale de l’album, remplacée par un monochrome imitant le Beggars Banquet des Rolling Stones. La pochette anglaise représente quant à elle un vieillard moustachu qui court en imperméable près d’un bois, tenant par la main un enfant. Charmante image bucolique qui ne laisse pas d’intriguer le spectateur, même si aujourd’hui forêt + imperméable + enfant = pédophile. La photo est signée Marcus Keef, à qui l’on doit quelque-unes des plus belles couvertures des années 70, notamment celle du premier Black Sabbath, celle de The Man Who Sold The World de David Bowie, et surtout celle de Gasoline Alley du même Rod Stewart, une vraie splendeur.
Lorsque le disque sort en Grande-Bretagne en 1970, Rod Stewart commence à peine son ascension vers la gloire. En effet, tout au long des sixties le chanteur tentera de percer au sein de différents groupes, The Ray Davies Quartet, Jimmy Powell & the Five Dimensions, The Steampacket, Shotgun Express... sans succès. Des échecs qui lui permettront malgré tout de se constituer un beau carnet d’adresses et de continuer à espérer. Bref, Rod rôde toujours dans les coulisses du Swinging London en cette année 1967, à l’affût d’une opportunité qui lui offrirait la reconnaissance qu’il attend. Ce sera finalement le Jeff Beck Group, où il est engagé comme chanteur et fait la rencontre décisive du bassiste Ronnie Wood, son futur compagnon de route comme guitariste des Faces et comme musicien de sessions pour sa carrière solo. Grâce aux albums Truth (1968) puis Beck-Ola (1969), Rod Stewart se voit donc couvrir d’éloges dithyrambiques dans la presse et accompagne le groupe pour une série de concerts aux États-Unis. Peu avant de sortir un premier disque avec les Faces, entre deux tournées avec Jeff Beck, il profite de sa lancée pour enregistrer tout seul ce An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down. Huit morceaux de blues, de rock et de folk dévastateurs.
Les reprises constituent la moitié du répertoire et il faut avouer que le garçon resplendit dans cet exercice. L’album débute par la meilleure version jamais entendue du Street Fighting Man des Rolling Stones, une relecture bluesy et énervée dans laquelle la basse de Wood et la slide-guitare de Martin Quittenton font des miracles. Le morceau se clôt sur une transition hallucinante vers le thème de We Love You des mêmes Stones, admirablement joué par le pianiste des Faces, Ian McLagan. Au menu des covers, on trouve aussi le standard folk Man Of Constant Sorrow, douce ballade acoustique, mais surtout Handbags Ang Gladrags, merveilleuse chanson écrite par Mike d’Abo alors qu’il était le nouveau chanteur de Manfred Mann, et qui valut à Chris Farlowe un modeste mais mémorable hit chez Immediate, le label de Andrew Oldham (le monde était petit dans le pop-rock britannique de l’époque !). Réarrangé pour Rod Stewart par d’Abo en personne, Handbags And Gladrags s’insinue parfaitement dans l’univers vocal du chanteur, assez proche de celui de Farlowe. Enfin, Dirty Old Town est adaptée d’un morceau de Ewan McColl qui dépeint une ville de l’Angleterre du Nord, industrielle et malpropre. Il s’agit ici d’un petit chef d’œuvre de blues working-class, mêlant habilement au réalisme social des paroles une musique légère et pleine de sérénité, relevée par une touche d’orgue et d’harmonica.
Si Rod Stewart ne sonne jamais aussi bien que lorsqu’il transcende la production des autres, ses compositions originales forcent toutefois le respect. À commencer par le monstrueux Blind Prayer, feu d’artifices de sons et improbable jam entre des guitaristes en état de grâce qui harmonisent parfaitement électricité et acoustique. La voix de Stewart y atteint des sommets vertigineux, inégalés depuis. Plus boogie-woogie, la chanson-titre séduira les aficionados du genre, tandis que l’excellent I Wouldn’t Ever Change A Thing est l’occasion idéale pour Keith Emerson d’épater la galerie aux claviers. Sans oublier ce final majestueux qui enchaîne sur l’introduction démentielle de Cindy’s Lament, une minute entière de trouvailles diverses et variées, grandes orgues encore, batterie surpuissante, cris rauques de Rod The Mod puis calme avant la tempête. Et puis il y a ce son inouï qui parcourt l’album et que personne n’est capable de produire dans le blues-rock de l’époque, ni Creedence Clearwater Revival, ni Janis Joplin, ni les Allman Brothers, ni les Ten Years After, ni même Canned Heat, Cream ou les Fleetwood Mac.
Seuls les Stones étaient parvenus à une telle qualité avec leur Beggars Banquet de 1968, un disque qui n’a pas seulement inspiré la pochette américaine de An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down, mais qui a surtout procuré une énergie, un état d’esprit, un modèle à Rod Stewart. En allant jusqu’à reprendre leur morceau qui s’approche le plus d’une mentalité révolutionnaire, Street Fighting Man, le chanteur des Faces nous rappelle qu’il fait du blues de prolo, de la chanson authentiquement populaire, bien loin de ses futures errances commerciales. Musicalement, il insuffle au rock une subtilité acoustique nonpareille et au blues une vitalité peu commune. Le résultat est inestimable, aussi frais qu’au premier jour, et il s’écoute comme on refuserait de remiser au grenier un imperméable qui a bien vécu, mais dont on éprouverait chaque jour la ténacité en le portant avec une confiance et un bonheur indéfectibles.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |