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par Thibault le 4 novembre 2008
Paru en novembre 1968 (Decca)
Avec son précédent album Bare Wires, John Mayall avait placé la barre haut. Ses ambitions jazz-rock l’avaient poussé à engager trois musiciens de plus, et les Bluesbreakers au complet formaient donc un septuor avec section de cuivres, guitaristes, sans compter l’équipe technique nécessaire… Trop de tâches à gérer pour le gentil plouc, euh, l’humble bluesman qu’est John Mayall. Las, il dissout le groupe à la mi-juillet 68, un petit mois après la sortie de l’album. Il ne garde que son soliste Mick Taylor ; Mayall sait qu’il tient là un prodige à ne pas lâcher, et dont le talent ne demande qu’à s’exprimer. De son côté, Taylor sait qu’il est à bonne école : c’est avec les Bluesbreakers qu’Eric Clapton et Peter Green ont véritablement lancé leurs carrières. Mayall veut avant tout revenir à des choses plus simples. Les textes de Bare Wires versaient dans le lyrisme et les pièces à rallonge, ceux de Blues From Laurel Canyon s’inspirent principalement de ses récents voyages aux USA. L’album commence par ces vers :
Ten hours in a plane - England left behindBack here in LA - Wonder what I’ll findSummertime, my plane is coming downI’m a wandering man and this is gonna be my town.
[1]
Tous les morceaux s’enchaînent sans réelle interruption et le disque se clôt sur Fly Tomorrow qui évoque de nouveaux départs.
Fly tomorrowGot to pack up my gearFly tomorrowNow my time is drawing nearFly tomorrow
[2]
Par ailleurs, Laurel Canyon est le nom du lieu où il séjourne quelques temps durant l’été. Mayall est séduit par l’endroit et par les gens qu’il y rencontre, notamment Frank Zappa pour qui il éprouve de l’admiration et qui lui inspire la chanson 2401, ainsi que Canned Heat, à qui il dédie la chanson The Bear [3]. Musicalement, l’influence de Canned Heat se retrouve dans le son très brut de l’album. En effet, celui-ci est composé en quelques jours, enregistré en deux dans des conditions proches du live, le rôle du producteur se résumant à prendre la prise au moment où John Mayall le décide. De fait, Blues From Laurel Canyon n’est pas un disque très abouti. Il s’agit de blues rock classique, assez scolaire même, mais très bien exécuté et qui présente quelques vrais intérêts. Mayall et Taylor sont une paire qui travaille ensemble depuis déjà deux albums, ils savent comment composer un morceau. Et si ce dernier n’a que dix-neuf ans, il fait preuve d’une très bonne maîtrise de sa Gibson LesPaul.
En effet, Taylor trouve un son sec et métallique, et joue de façon plus nerveuse. Sur l’excellent Ready To Ride, il utilise un bottleneck avec sa main gauche tout en grattant avec une baguette de batterie dans la main droite, obtenant ainsi un son plein de crunch et percutant. L’album commence et se termine dans deux solos au rasoir tout simplement magistraux où, en bon successeur de Clapton, Taylor joue avec le feedback et le sustain dans des spirales de notes vertigineuses. Malheureusement, les talents du futur Rolling Stones sont sous-exploités ; Mayall signant tous les morceaux, il ne laisse que peu de place aux interventions de son soliste. Comme à son habitude, il chante correctement et joue de l’orgue et de l’harmonica avec talent, on reconnaît sa marque de fabrique. A la batterie, Collin Allen montre toute son expérience en apportant une vraie énergie à chaque morceau. Il varie les frappes habilement, alterne entre tablas et batterie, son jeu tirant vraiment chaque chanson vers le haut. A la basse, Thompson fait ce que fait un débutant, il joue ce qu’on lui demande de faire et fout le camp... Le monsieur est sûrement devenu un musicien de studio de seconde zone, son style est inexistant.
Ce qui fait que Blues From Laurel Canyon est un album assez frustrant ; aucune mauvaise chanson, quelques unes excellentes (2401, Vacation, Ready To Ride, Fly Tomorrow et, dans une moindre mesure, The Bear), mais on garde dans la bouche un goût d’inachevé. Si le groupe avait davantage joué ensemble, s’il avait eu un vrai bassiste, s’il avait passé plus de temps à composer et à rechercher des idées, et si Mayall avait lâché la bride à Taylor, on aurait obtenu très vraisemblablement un excellent disque. Partie remise ? Non, car les Rolling Stones sont alors à la recherche d’un guitariste pour remplacer Brian Jones qui s’explose le caisson et les neurones dans la dope. Guitariste qu’ils vont trouver en la personne de Mick Taylor, qui commence à jouer avec Jagger et sa bande en juin 1969, laissant Mayall continuer sa carrière en solo, avec désormais un groupe à géométrie totalement variable derrière lui. Les deux hommes auront fait trois albums ensembles, Crusade, Bare Wires (le plus abouti) et ce Blues From Laurel Canyon, qui n’est avec le recul qu’une esquisse des chefs d’œuvres que laissera Taylor avec Keith Richards sur Sticky Fingers et Exil On Main St.
[1] Dix heures d’avion - L’Angleterre long derrière / De retour ici à LA - Je me demande ce que je vais trouver / C’est l’été, mon avion atterrit / Je suis un homme errant et ça va être ma ville
[2] En vol demain / Je dois emballer mon matos/ En vol demain/ Maintenant mon heure s’approche / En vol demain
[3] The Bear est le surnom du chanteur Bob Hite, en raison de sa corpulence.
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