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mercredi 15 avril 2015
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par Emmanuel Chirache le 10 novembre 2009
Paru le 8 octobre 2009 (Dixiefrog Records/Harmonia Mundi)
Vous le savez sans doute déjà, Inside Rock est un peu le sponsor officiel de Bjørn Berge. Le guitariste norvégien nous avait laissé sur un album live de haute facture, et l’on attendait sa nouvelle production studio avec impatience. L’impatience de ceux qui se demandent comment un artiste qui a réalisé neuf disques dans un genre aussi codifié que le blues peut encore se renouveler à quarante ans passés. la réponse est limpide : le changement dans la continuité, l’exploration de nouveaux territoires, la prise de risques. Car ce Fretwork surprendra par instants l’amateur de Bjørn Berge. Accrochez-vous à votre fauteuil, l’ami Bjørn ne se contente plus de faire virevolter ses onglets le long du manche avec la facilité déconcertante d’un magicien agitant ses cartes, il se met désormais à la mélodie. En fait, le scandinave s’est ici dédoublé, moitié folk délicat, moitié blues virtuose. Le moderne et le classique.
Deux visages donc, tout aussi intéressants l’un que l’autre malgré quelques ratés. Il y en a pour tous les goûts : à tous ceux qui aiment les blues traditionnels, Bjørn offre les reprises honnêtes de Drifting Blues de Charles Brown et du fameux Killing Floor de Howlin’ Wolf. Pour les amoureux des précédents albums du guitariste, ce dernier gratifie d’entrée d’un excellentissime Crazy Times, morceau énervé auquel le violoncelle d’Øyvind Staveland apporte une bonne dose de fraîcheur. A tel point qu’on se demande d’ailleurs si la chanson passera l’examen du live acoustique en solo... Dans le style instrumental et speedé qu’affectionne Bjørn Berge, on trouvera Fretwork, sympathique quoiqu’un peu éculé. Autre exercice prisé par le garçon, la cover plus contemporaine ici incarnée par le fantastique Zebra du John Butler Trio. Il faut dire qu’il existe entre ces deux aficionados de la slide-guitar une filiation si évidente qu’on s’étonne que l’hommage arrive aussi tard. Au final, la reprise est d’autant plus plaisante qu’elle se fond parfaitement dans l’univers de Bjørn Berge.
Mais la grande innovation du disque reste, nous l’avons dit, cet art de la ballade folk porté à un point de maîtrise rare. Depuis longtemps déjà, le guitariste s’était penché sur le genre, mais force est d’avouer qu’il s’agissait jusque là de son point faible. La plupart du temps, le résultat s’avérait hélas ennuyeux. D’ailleurs, You’re So Fine retombe dans ce petit travers, à un moindre degré Travelling Song. En revanche, quelle incroyable réussite sur These Streets, délicate mélodie folk composée dans une veine traditionnelle rehaussée par un violon qui vient compléter la guitare. Au chant, le viking nous étonne par les nuances de sa voix. Sans conteste l’un des grands moments de ce Fretwork. Même finesse avec Skijumper, dialogue envoûtant entre le violon et la douze cordes rythmé par le frottement du bottleneck sur les harmoniques et un simple battement du pied. On se réjouit également de l’écoute du superbe Endless, qui vient confirmer combien le guitariste est parvenu à maturation. Les fidèles reconnaîtront par ailleurs le parfait Mountain Boogie interprété si souvent en public, vieil air traditionnel norvégien joué habituellement avec un ancien instrument à cordes montagnard et admirablement revisité à la guitare. Le disque se clôt sur l’évocation d’une ville chère au cœur de Bjørn Berge, une ville où sa popularité ne s’est jamais démentie. Il s’agit bien sûr de Paris, refuge des bluesmen de tout pays, terre d’accueil des déracinés et siège social d’Inside Rock (oh ça va, on peut déconner).
Pour son dixième opus, Bjørn Berge signe donc une œuvre étonnante, brillante, adulte. Un récital plus posé qu’auparavant, plus profond sans doute, même si persiste heureusement tout ce qui fait le charme de son auteur : virtuosité, impétuosité, luminosité et pilosité. Oui, Bjørn se laisse de nouveau pousser les cheveux.
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