The 60s band that stopped the war in Vietnam... Voilà comment Country Joe And The Fish se définissent en première page de leur site web. La modestie ne semble donc pas être leur fort ... Mais si la mégalomanie est souvent accompagnée d’un certain talent, ici, elle l’est d’un talent certain.

Revenons sur ce groupe mythique. En 1964, Joe McDonald, dont les parents, gauchistes convaincus, le prénommèrent en l’honneur de Joseph Staline, retourne à la vie active, c’est-à-dire à Berkeley University, après s’être engagé dans l’armée à 18 ans. Berkeley à l’époque est un lieu particulièrement propice à toutes formes d’activisme (soutien à Cuba, manifestations pour la liberté de parole, puis bien sûr, les sixties progressant, contre la guerre du Viêt-Nam). C’est là que va se former ce groupe, assez peu organisé, encore moins hiérarchisé, fortement orienté à gauche (il fut question à un moment de le nommer « Country Mao And The Fish ») et décidemment opposé au pouvoir de Lyndon Johnson, en 1965.

I Feel Like I’m Fixin To Die, deuxième opus du groupe va sortir en 67, année de l’acid rock s’il en est : Forever Changes de Love, Sgt. Pepper’s des Beatles ou Surrealistic Pillow des Jefferson Airplane, les chefs-d’œuvre s’y succèdent. Entre 1965 et 67, les Fish ont beaucoup joué et ont signé chez Vanguard (le label de Joan Baez). Ils ont sorti un remarqué premier album, Electric Music For The Mind And Body en janvier de la même année.

Leur chanson la plus célèbre, qui figure sur l’album homonyme de la fin de 67, n’a pas, malgré son succès auprès des fans du groupe, été publiée sur ce premier album. Considéré comme trop agressive et engagée par Vanguard (non sans raison, cf. extrait ci-dessous), le succès public du premier album va enfin permettre sa sortie.

Well, come on mothers throughout the land,

Pack your boys off to Vietnam.

Come on fathers, don’t hesitate

Send ’em off before it’s too late.

Be the first one on your block

To have your boy come home in a box.

Le succès de cette chanson, notamment après Woodstock, où elle devint un réel cri de ralliement anti-guerre, a eu tendance à éclipser les autres titres de cet album, sur lesquels pourtant on gagne à s’attarder.

En effet, cet album est truffé d’ambiances et d’inspirations différentes, véritable panorama de tout (ou presque) ce qui se fait en 1967. Le fond tant que la forme est constamment mouvant. Les Fish commencent politique, à travers le légendaire Fish Cheer (dans sa première version « fish » et non « fuck », virage politiquement incorrect qui sera pris l’été suivant)Feel Like I’m Fixin’ To Die Rag (qui se finit sur une rafale de mitraillette...) et Bomb Song :

Yeah, I said please, Please, don’t drop, Don’t drop that h-bomb on me.

Ils enclenchent par la suite un passage franchement malsain à travers l’Acid Commercial, pub country incitant à la consommation de LSD :

Eat flowers and kiss babies

L.S.D. For you and me !

Leurs chansons sonnent ainsi parfois country, mais souvent très rock, un rock classique pour Rock Coast Blues qui devient décidemment psychédélique pour les grands moments de l’album, que sont Pat Song, Janis ou l’envoûtant Who Am I... Dans ces chansons psychédéliques, surtout Pat Song, on est frappé par l’instrumentalisation très Pink Floyd (toutes proportions gardées), tandis que les textes eux, par leur bizarre et macabre rappellent tant Love que Jefferson Airplane (on entend dans l’ovniesque Magoo un passage digne d’un Arthur Lee) :

The stars are so big and the earth is so small ;

Stay as you are,

stay as you are

life before death

Hantant, amusant, prenant, léger, ce second opus des Fish touche-à-tout, qui les portera au sommet de leur gloire mérite bien le succès qu’il connu en son temps.

Ainsi cet album réussi le pari pourtant bien difficile de mêler politique et introspection, country et rock psychédélique dans une même oeuvre et que celle-ci se tienne. Il n’a pour cette raison, et bien d’autres encore, sa place aux côtés de ces très grands albums du rock qui firent l’année 67.