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par Béatrice le 26 septembre 2006
paru en décembre 1969 (Harvest/EMI)
Il n’y a pas besoin d’y regarder de trop près pour se convaincre que la Grande-Bretagne de la fin des années soixante devait être un véritable paradis pour quiconque s’intéressait de près ou de loin au rock. Pas besoin non plus de trop se creuser la tête pour trouver des exemples de groupes ou d’albums pouvant appuyer cette thèse, ou une poignée de chansons pouvant rappeler qu’il y avait en effet de quoi se remplir les oreilles. Et il n’est pas nécessaire d’être un nostalgique incurable pour penser que l’effusion musicale y était sans aucun doute bien plus effervescente qu’elle ne l’est, pas loin de quarante ans après, au même endroit. Ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas chercher à se le prouver dès que l’occasion se présente, ou dès qu’on en a envie - parce qu’après tout, il est toujours agréable de se confirmer qu’on a raison, surtout quand c’est aussi facile que ça.
Pour se complaire dans la confirmation de cette géniale théorie révolutionnaire que, bien sûr, personne n’a jamais émise auparavant, on n’a que l’embarras du choix (postulat qui, d’ailleurs, est partie constituante de la théorie en question, mais ne nous égarons pas). Après tout, ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de perles qu’elles ne peuvent pas briller toutes avec autant d’éclat, même si elles ne sont pas toutes de la même couleur. Quelque part dans le coffre au trésor se cache d’ailleurs une très jolie petite perle, assez discrète malgré son éclat jaune vif. Elle s’appelle Joy Of A Toy, elle a été polie entre juillet et septembre 1969 par une joyeuse bande d’orfèvres menée par Kevin Ayers et réfugiée pour l’été dans un modeste studio londonien situé sur Abbey Road, et elle scintille avec une constance déconcertante, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse nuit.
Il faut avouer que c’est un drôle de polissage qu’on effectué le sieur Ayers et ses amis, et qu’il n’est pas fonciérement étonnant que cette perle soit incrustée d’éléments incongrus qui ne la rende que plus singulière et ravissante. Avec une insolence joyeusement excentrique et une insouciance faussement naïve, le maître d’oeuvre s’est emparé de thèmes modestes (une dame va se coucher et une fille s’amuse sur une balançoire pendant que le train ne cesse rouler) et les a délicatement travaillés au moyen de ce sens de l’absurde élégant et déroutant dont les Britanniques ont le secret. Une fois ces bases posées, la bande s’est armée d’autant d’instruments qu’il lui était possible de porter et s’est employée à orner de la façon la plus débridée, inventive et virtuose possible la chansons de velour du chanteur. À aucun moment, bien sûr, l’imagination délirante et l’humour décalé n’ont été laissés sur le bord de la route, parce que la vie est trop courte pour qu’on ne s’amuse pas, surtout quand on s’échine à créer des perles et qu’on en appelle une All This Crazy Gift Of Time. D’ailleurs, Kevin Ayers a l’air, sinon de se marrer franchement, au moins de sourire avec délectation à chaque fois que sa voix de bariton laisse s’échapper un mot - il a prévenu, dès le début, qu’il n’était pas ici pour s’enfoncer dans l’aigreur et la tristesse, et qu’on ferait bien d’en faire autant :
"Now you come and tell me that you’re sadBut you never talk about it when you’re gladYou criticise, and you shut your eyes...That’s too bad."
Le résultat de cette entreprise, forcément, se devait d’être tendrement déluré, si ce n’est plus. Dix morceaux, et, à l’exception d’un sautillant Joy Of A Toy Continued et d’un hymne psychédélique en malais (Oleh Oleh Bandu Bandong), autant de petites histoires aussi imprévisibles que délicieuses, dans la lignée des aventures d’une certaine Alice qui est justement surprise en train de porter sa robe la plus sexy au détour d’un couplet de Song For Insane Times. Par le biais d’une écriture poétique autant qu’absurde (au sens noble du terme bien entendu) et d’une instrumentation luxuriante et libérée, se crée immédiatement un univers délirant et incroyablement sympathique, où on aimerait bien rester, quand bien même ce serait dans un train pour Nulle Part qui refuse de s’arrêter avant d’y être arrivé, ou seulement dans un des rêves de Lady Rachel. Mais le joyeux troubadour qu’est Kevin Ayers étant par ailleurs très occupé, il ne peut pas écrire une chanson pour chaque personne qui voudrait trouver une petite place dans son disque où il y a déjà pas mal de monde ; alors, il se contente de nous abandonner sur un au-revoir un peu expéditif, en nous souhaitant un joyeux anniversaire collectif et explosif :
"Happy birthday to you allI hope you really have ball.And when you’re walking up the road,I hope you finally explode !"
Explosons donc allégrement, et tous en chœur s’il vous plaît, avant de remettre ça tout aussi allégrement.
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