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par Aurélien Noyer le 5 juin 2007
paru le 6 mars 1968 (Columbia)
1968 a dû être une année éprouvante pour les rock-critics. Après la sortie du fameux Sgt Pepper’s dont nous célébrons en ce moment le 40ème anniversaire, chacun voulait innover, expérimenter, ouvrir de nouvelles directions dans la musique. Malheureusement, la plupart sonnaient juste comme des suiveurs et ne proposaient qu’un fouillis plus ou moins psychédélique qui, à l’époque, devait paraître "inventif" et qui, maintenant, semble tout simplement une pâle copie des Beatles. Heureusement, parmi ces aventuriers, certains avaient réellement quelque chose à dire.
The United States Of America étaient indubitablement un de ces groupes-là. Si sur le fond, ils se rapprochaient d’une certaine forme de pop psychédélique, voire de soft-rock à la Zombies, Sagittarius ou autres Beach Boys période Pet Sounds, la forme tranchait radicalement avec la concurrence. Première originalité : on trouve sur leur seul et unique album un orgue, un violon électrique, un clavecin, des percussions, une basse, mais pas de guitares... Et premier tour de force : ça ne s’entend pas. Je veux dire par là qu’à aucun moment, on ne perçoit de vide ou de sonorité électronique palliant l’absence de six-cordes. Là où les groupes de pop synthétique du début des années 80 jouaient sur les synthés et l’électronique pour remplacer les guitares et espéraient sonner moderne, The United States Of America parviennent à créer des arrangements où tous les instruments semblent trouver leur place naturellement. Au final, lorsque les Soft Cell et autres Eurythmics sont terriblement datés et ridicules, The United States Of America, s’ils sont bien le reflet de leur époque par certains aspects, restent parfaitement écoutables et presque modernes.
La raison de cette modernité, il faut la chercher dans les deux plus grandes qualités de The United States Of America : un songwriting excellent et une utilisation de l’électronique particulièrement intelligente. Les chansons dûes au clavier Joseph Byrd (piano, orgue, clavecin électrique, orgue de Barbarie) et à la chanteuse Dorothy Moskowitz oscillent entre pop éthérée (Cloud Song, Where Is Yesterday), soul électrique (Hard Coming Love) et rock dandy (The Garden of Earthly Delights, Coming Down ou comment résumer toute l’œuvre de Belle & Sebastian trente ans avant), sans compter ce violon country sur I Won’t Leave My Wooden Wife for You, Sugar ou ses cordes beatlesiennes sur Stranded In Time. Tout ceci étant agrémenté de samples étranges : une fanfare d’orchestre sur The American Metaphysical Circus, un choeur grégorien chantant l’Agnus Dei en intro de Where Is Yesterday, bruits de cartoons et fanfare militaire sur la bizarre I Won’t Leave My Wooden Wife for You, Sugar, etc...
D’ailleurs, ces samples, bien que déjà très novateurs pour l’époque de par leur nombre et leur variété, ne sont qu’une partie de l’arsenal technologique du groupe. On compte parmi les instruments utilisés pour enregistrer ce disque un des tous premiers modèles de batterie électronique, même si on n’entend pas ce son cassant et froid caractéristique des batteries électroniques de mauvaise qualité qui pulluleront dans les eighties. On trouve également tout un tas d’effets électroniques divers et variés. Et plutôt que de s’appuyer sur ces effets, d’en faire un gimmick redondant et au final inutile, The United States Of America ont opté pour une utilisation en finesse, l’électronique ne servant qu’à agrémenter les compositions, à insuffler un souffle de futurisme à une chanson assez classique. En un sens, ils ont utilisé cette technologie de la même manière que les meilleurs groupes actuels : pour créer des ambiances, des écrins pour leurs compositions plutôt que de mettre ces effets en avant comme gage de modernité (ce qui produit généralement l’effet inverse, la chanson devenant ringarde au bout de quelques mois).
À l’époque, une telle utilisation était révolutionnaire. Car d’un côté, il y avait les tenants de la pop classique très réticents à utiliser ces nouveaux outils et de l’autre on trouvait les émules de Pierre Henry et de son tube Psyche Rock, partisans d’une musique entièrement synthétique. Entre les deux, The United States Of America furent sans doute les seuls à accorder si bien les deux écoles. Pour finir, on notera que l’album compte son propre Revolution 9, enregistré et sorti plusieurs mois avant celui des Beatles : une piste nommée The American Way Of Love constituée entièrement de samples des morceaux de l’albums avec un "How much fun it’s been" répété en boucle dont on se demande s’il n’aurait pas inspiré un certain "number nine"...
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