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par Efgé le 22 avril 2008
Paru le 8 avril 2008 (4AD / Naïve)
Les sœurs Deal sont de retour. Ou pas : ce sont plutôt nous qui sommes de retour, sur le mode back to the future. En 1993, voire en 1988. Peu après cette époque, on s’est d’abord égarés à suivre une grande gigasse blonde qui hurlait, l’air désespéré, que ça sentait un peu trop le teen spirit, et tout ça nous a menés jusqu’à une autre grande gigasse brune, à bandes rouges, qui a provoqué une révolution en démontrant à la face du monde que ProTools n’était pas forcément indispensable pour enregistrer un disque. Elles, les sœurs Deal, avec leurs bonnes vieilles chemises de bûcheron, n’ont pas bougé d’un poil, peinardes. Pourquoi se fatiguer quand on est at the right place, at the right time ? Leur actualité (la parution d’une nouvelle galette, Mountain Battles, six ans après leur dernier opus, Title TK) n’est qu’un événement fortuit dans leur quotidien, un accident heureux (pour paraphraser dEUS, je crois). Kim et Kelley Deal ont leur propre espace-temps.
Certes, depuis 2002, la grande Kim a dû un tout petit peu forcer sa nature, emportée par l’ouragan qu’a provoqué la reformation des Pixies. Mais cela n’a pas encouragé la multimillionnaire qu’elle est peut-être devenue à changer quoi que ce soit à son mode de fonctionnement, à ses goûts ou à ses envies. Ni, d’ailleurs à la faire appréhender, avec un début de crainte, ce qu’un « retour de vieilles gloires » signifierait en 2008, alors que leur précédent effort (terme mal choisi concernant les Breeders) a surtout connu un succès d’estime : seraient-elles has been, auraient-elles encore quelque chose de novateur à proposer ? Comment intéresser l’auditeur gavé de revival wock’n’wall et qui était encore en culottes courtes à l’époque de Cannonball ? Bof, toutes ces questions existentielles, ça leur passe un peu au-dessus de la tête : Kim et Kelley puisent toujours dans les mêmes bonnes vieilles recettes - un combo solide, une section rythmique carrée, des mélodies efficaces qui entremêlent et enlacent plutôt deux fois qu’une leurs voix (étonnamment bien conservées), and that’s it. Rock’n’roll, baby.
C’est ainsi qu’à l’écoute de l’album, qu’on croirait enregistré un dimanche après-midi dans un garage, après le barbecue et une fois sortie la Buick, on se retrouve vingt ans en arrière – le miracle étant que le disque ne sonne absolument pas déjà vu. Car le pré carré qu’elles ont déjà foulé une bonne centaine de fois, Kim et Kelley l’arpentent encore avec un tel plaisir, une telle sincérité, une telle naïveté, que ce retour aux sources ne sent jamais le formol. Le morceau initial, Overglazed, est une sorte de longue chevauchée épique que n’auraient pas reniée les Who, et transforme Kim en prêtresse amazone. Bang On, le premier extrait, avec sa batterie martiale et groovy, est un retour au rock, brutal, primaire, et sensuel à la fois : tout ce qui fait les Breeders, en quelque sorte, et dont s’inspirent maintenant une palanquée d’artistes, des Kills à The Gossip. Pas de doute, les mamans du vrai « girl power » sont de retour. Sur German Studies, on se croirait carrément revenu au temps de Last Splash. Les morceaux, en moyenne, excèdent rarement les trois minutes : la marque Steve Albini, aux commandes derrière les manettes (ah oui, au fait, je le dis vite fait en passant, histoire de pas me faire gronder : à mon humble avis, le disque sonne très Pixies).
Rien à voir cependant avec le gros rock qui tâche que Frank Black s’est parfois permis avec les mécréants Catholics. Le groupe ouvre à plusieurs reprises les fenêtres, et se laisse aller à une certaine expérimentation (certes, du genre de celles qu’on s’autorisait en 1988, mais quand même), comme sur Night Of Joy et ses harmonies orientalisantes, dont on trouve l’écho dans les rythmiques d’Istanbul, ou le minimaliste Spark. Mais c’est quand le tempo se ralentit que le disque atteint ses sommets, comme sur We’re Gonna Rise, qui marie à perfection la tendresse du chant de Kim Deal et la sourde tension de guitares prêtes à infuser leur venin, ou encore le slow (si, si, un slow, mélo et surf-music à souhait) Regalame Esta Noche. Le magnifique Here No More nous emmène sur les terrains de la country, tandis que Mountain Battles est carrément contemplatif. Même les vieilles routardes ont le blues.
Une bonne surprise, décidément, que ce Mountain Battles : non seulement les Breeders sont au meilleur de leur forme dans ce qu’elles maîtrisent le mieux, mais elles parviennent même, totalement décomplexées, à nous surprendre. On imagine l’atmosphère apaisée, affranchie des contraintes de l’industrie du disque, dans laquelle s’est passée l’élaboration de l’album – des conditions inespérées, lorsqu’on connaît le passé tumultueux du groupe. Pourtant, au détour d’une interview des deux frangines, on apprend que l’écriture et l’enregistrement ont été maintes fois interrompus, notamment parce que Kim et Kelley devaient s’occuper de leur mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Les deux sœurs doivent être de bonnes infirmières : avec Mountain Battles, la mémoire nous est revenue.
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