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Just Another Diamond Day

Just Another Diamond Day

Vashti Bunyan

par Béatrice le 16 décembre 2008

4,5

paru en 1970 (Philips)

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Les diamants sont rares. Ce n’était sûrement pas fait exprès, mais il en va de même des albums de Vashti Bunyan, qui s’est amusée (l’inconsciente ! ) dès son premier effort à se donner l’air ne pas prendre cette rareté au sérieux, l’intitulant « Just Another Diamond Day », comme si la pureté scintillante du diamant n’était tout compte fait pas si extraordinaire que ça. Qui se joue ainsi du pouvoir des gemmes s’expose à des représailles… Et Vashti Bunyan n’a pas fait exception ; la malédiction est tombée, invisible et impitoyable : les albums de Vashti Bunyan seront voués à demeurer plus rares que les diamants écossais, sur sept générations – à condition de ne pas briser de miroir. Un album en 1970. Silence d’une génération (trois décennies). Un album en 2005. C’est à peu près tout. Mais, la malédiction, en condamnant sa production musicale à la rareté et à la parcimonie, lui a ainsi garanti sa pureté et sa chatoyance. Rare, donc précieux, comme dirait le bon vieil Adam Smith, éminent spécialiste écossais de la notion. Cela n’explique apparemment pas la résurrection musicale de l’artiste, dont l’unique album, passé totalement inaperçu à sa sortie, est parvenu par on ne sait quel miracle à agiter les profondeurs à tel point qu’il a fini par se transformer en une de ces perles égarées dont personne ne sait rien, mais que quelques initiés sortis de nulle part passent des années à chercher, transmettant le secret à qui le mérite, le moment venu, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive de l’existence (non, pas une société secrète œuvrant à la mise en place d’un complot global visant à mettre au pouvoir les violons et les harpes celtiques) d’un panel d’aficionados suffisamment large et influent pour qu’il soit économiquement intéressant de redonner sa chance à la chanteuse… Oui, trente ans pour en arriver là, c’est long, mais le marché est parfois peu réactif et rarement visionnaire, n’en déplaise à ce cher vieil Adam Smith !

Assez parlé de la rareté de l’œuvre de Vashti ; passons maintenant à ce qui la rend si précieuse. Pour ça, autant commencer par le commencement, à savoir la Grande-Bretagne des années 60. Pas la Grande-Bretagne urbaine et électrifiée par l’urgence de la jeunesse des Beatles, des Rolling Stones, des Jam et du Swinging London, mais son pendant enraciné dans les vertes landes humides et balayées par le vent, qui s’évade en prenant son temps, et que se sont approprié Nick Drake, Donovan ou la Fairport Convention. Chez eux, on n’a pas peur de ne pas renier les ancêtres et de s’abreuver des instruments, harmonies et mélodies des chants traditionnels britanniques. On n’a pas peur de fuir la modernité vrombissante des métropoles en s’exilant dans des landes isolées ou des îles désolées, au contraire, on s’en nourrit. Forcément, composer et chanter en regardant l’immensité des océans, des plaines et des cieux, ou en admirant la sérénité des arbres et des roches, ça ne donne pas le même résultat que de s’engouffrer tête baissée dans l’excitation et l’agitation du progrès. Forcément, aussi, une des deux options est un peu plus à contre-courant que l’autre, ou du moins en peu moins en phase avec sa génération. Or, Vashti Bunyan n’a pas fait les choses à moitié, et, toute Londonienne qu’elle fût, a écrit un album aussi déconnecté du fourmillement de la ville qu’il était possible de le faire.

Accompagnée de son copain Robert, de sa jument Bess, de son chien Blue, et d’une caravane de bois vert, elle s’en est allée un an et demi errer dans les Hébrides Extérieures, ces îles situées à quelques kilomètres au Nord Ouest de l’Ecosse, où l’herbe est roussie par le vent et où pas un arbre ne pousse. A l’est, par-delà un bras de mer, les étendues désolées des Highlands ; à l’ouest, par-delà un océan large de plusieurs milliers de kilomètres, l’immensité des terres canadiennes. Sur place, il n’y a pas grand-chose, mis à part des cercles de pierres, quelques troupeaux de moutons, une poignées de hameaux modestes, une ou deux routes sur lesquelles circulent les bus scolaires et des ports d’où partent les Ferrys du Calédonien McBrayne… Mais il y a de la place, du vent et du temps, et largement assez de beauté vierge, sauvage et imperturbable pour inspirer une quinzaine de morceaux.

De retour à la civilisation, elle contacte Joe Boyd (responsable de la production, entre autres, de Five Leaves Left et de Bryter Layter), qui lui avait déjà proposé de l’enregistrer quelques années auparavant, et se lance sous son égide dans la réalisation d’un vrai album, sur la pochette duquel on la verra, en tenue champêtre, debout sur le porche d’une chaumière, dans la douce lumière d’un crépuscule nordique. Le contenu est d’une beauté aussi irréelle que pourrait s’y attendre quiconque a posé les pieds sur une des îles extérieures : il a la même fragilité, la même simplicité, la même sérénité, la même intemporalité que celles qui confèrent leur majesté aux paysages de ces îles loin de tout. Vashti Bunyan incarne un personnage à mi chemin entre la fée qui hante les plages et les collines à l’aube et au crépuscule, et la jeune paysanne qui reprend les chansons sans âge que lui ont transmises ses ancêtres. A la première, elle dérobe sa voix éthérée, tellement légère qu’elle s’en estompe presque elle-même, son insouciance sautillante et sa sagesse millénaire, sans lesquelles il est difficile de chanter la pluie, le vent et le soleil sans avoir l’air niais. A la seconde, elle emprunte ses mélodies venues de la nuit des temps, ses instruments de bois et de peau (violon, flûte, banjo et mandoline qui viennent assister les plus classiques piano et guitare), ses légendes à demi oubliées et sa mélancolie sereine. Riche de tout cela, elle en pare les espaces d’apparence infinie dont elle a ramené le souvenir dans ses bagages, et fabrique ainsi une carte postale musicale tout aussi saisissante que le lieu qu’elle est censée évoquer. Malgré quelques changements de rythmes, de la comptine sautillante (Jog Along Bess, Come Wind Come Rain) à la complainte éthérée et énigmatique (Iris’s Song For You, par exemple), en passant par l’ode aux éléments de rigueur (Hebridean Sun), l’ensemble reste d’une incroyable homogénéité, dans laquelle le calme et la fascination (presque) muette prévalent. Pour ne rien gâcher, Vashti Bunyan a une voix magnifique, aux confins du spectral et de l’angélique.

Le problème, c’est que les Hébrides extérieures, en dépit de leur incroyable splendeur et de leurs plages qui n’ont rien à envier à celles des Maldives (sauf, peut-être, quelques degrés Celsius), n’attirent pas grand monde. C’est d’ailleurs en partie ça qui fait leur magie. De la même façon, le premier album de Vashti Bunyan, celui qui parle des « jours de diamants » comme de quelque chose d’habituel, puisqu’ils sont monnaie courante dans l’endroit qui l’a inspiré, n’a jamais intéressé grand monde – ce qui n’empêche pas tous ceux qui se sont un peu penchés dessus de s’émerveiller à son égard et d’y trouver un oasis aux tourments de ce bas monde. Comme les îles sur lesquelles il est né, c’est un trésor insoupçonné, qui se garde et se préserve de lui-même… et qu’on est invité à admirer avec le respect qui lui est dû, c’est-à-dire religieusement et en silence, s’il vous plaît !



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Tracklisting :
 
1. Diamond Day (1’45’’)
2. Glow Worms (2’13’’)
3. Lily Pond (1’25’’)
4. Timothy Grub (3’22’’)
5. Where I Like To Stand (2’22’’)
6. Swallow Song (2’16’’)
7. Window Over The Bay (1’53’’)
8. Rose Hip November (2’26’’)
9. Come Wind Come Rain (2’07’’)
10. Hebridean Sun (1’12’’)
11. Rainbow River (3’23’’)
12. Trawlerman’s Song (1’56’’)
13. Jog Along Bess (3’26’’)
14. Iris’s Song For Us (1’26’’)
 
Durée totale : 31’27’’