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mercredi 15 avril 2015
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par Le Daim le 20 février 2007
Le second album de La Blanche, Disque D’Or, poursuit lentement mais sûrement son chemin vers certains sommets (voire des sommets certains) alors que le groupe, parfaitement rodé, continue inlassablement d’aller à la rencontre du public. Voici le compte-rendu du concert donné à Nancy le 1er février 2007... En résumé : une claque mémorable ! Et tant pis si on raconte que je fais encore dans l’excès ou le favoritisme...
La petite salle de spectacle de la MJC Pichon de Nancy, aux rangées de sièges bien tassés, ne semble guère appropriée aux concerts de rock. C’est pourtant bien là que La Blanche va jouer ce soir. J’investis discrètement les lieux vers 17h15, pile à l’heure de mon rendez-vous avec Eric La Blanche qui a accepté une interview avec votre cervidé chéri. Le bonhomme, facilement identifiable à son bouc bien taillé et au vertigineux espace qui sépare la plante de ses pieds du haut de sa tête [1], est tranquillement en train de lire le journal au beau milieu de la salle. Je jete un œil à la scène où se trouvent Gil Husson (guitare) et Stéphane Cargnino (batterie), occupés à faire la balance-son. Christophe Blanchet (guitare aussi) se trimballe dans les allées. Raphaële Murer (violoncelle) se tient au premier rang, rêveuse. Tout ce petit monde ne semble pas aussi stressé que l’ingé-son du groupe qui peste contre la difficulté d’effectuer des réglages corrects, enfermé qu’il est dans une cabine vitrée... Christophe me montre son ampli flambant-neuf : un VOX AC30 ; j’approuve... J’en profite pour jeter un œil au matériel disposé sur scène : guitares électriques, combo Trace-Elliot, entassement imposant de pédales d’effets à l’ancienne incluant des artefacts trés bizarres... Et une sorte de créature hybride sortie tout droit des romans de William Gibson : une batterie, en fait, mélangeant toms acoustiques, pads électroniques, sampleurs et autres processeurs à la fonction indéterminée... J’en conclu un peu bêtement que ça va cracher, mais aussi que ce sera très soigné ; bref, pas question pour le groupe d’abandonner la complexité des arrangements de ses albums au profit d’un déluge lo-fi de larsen et de distorsion punkisante.
J’entraîne Eric vers un bar éloigné pour l’interview. Une bonne heure se passe avant que nous soyions de retour. Le chanteur se précipite derrière son micro pour effectuer ses réglages de voix et disparaît aussitôt car il a rendez-vous dans les locaux d’une radio régionale... Peu après, les premiers spectateurs commencent à arriver. La plupart ne connaissent pas le groupe. Certains ont gagné des places en participant à un concours sur M6, d’autres sont tout simplement des abonnés de la MJC. Quelques uns ont déjà vaguement entendu parler de La Blanche, grâce au single Alcoolique et à son clip, parfois diffusés sur certaines radios ou télés. Le groupe n’est donc pas venu à la rencontre d’un public acquis, mais pour convaincre, convertir de nouveaux adeptes. Nous ne sommes pas à Paris où le groupe à ses habitudes mais dans une région où le public a la réputation d’être difficile voire un peu glacial.
20h. Le concert commence. La salle est presqu’à moitié remplie de spectateurs silencieux, qui n’ont donc qu’une trés vague idée de ce à quoi ils vont assister. On entendrait presque les mouches voler alors que le très sympathique Tcharlz, petit gars assurant la première partie de soirée, pénètre sur scène armé d’une simple guitare folk. Avec ses rouflaquettes et son costume frippé, il rappele Woody Guthrie. Il offre au public un spectacle de qualité, bien fourni en textes fins et drôles portés par des accords énergiques, parfois ponctués de notes d’harmonica : un bien rafraîchissant traitement à base de folk humoristique qui a le mérite de dérider un peu les gens. Personnellement, j’ai un immense respect pour les mecs qui font des acrobaties sans filet. Et il faut admettre que Tcharlz, avec ses bonnes chansons et son stock inépuisable de roulements oculaires hilarants, s’en est ce soir fort bien tiré.
20h30. La Blanche envahit la scène sans Eric, commençant par accorder les instruments et effectuer divers réglages dans une ambiance flottante. Derrière sa batterie cyberpunk Stéphane patiente, le sourire aux lèvres. L’objectif de mon appareil-photo se met soudain à renifler vers la droite... Je tente de le ramener à la raison, mais devant tant d’insistance et d’indiscipline je dois finalement abandonner mon projet de faire un cliché de Gil situé à l’opposé de la scène... J’enrage, pestant contre l’orgeuil légendaire des réflexs argentiques... "Mais bon dieu, qu’est-ce que tu as à me faire chier ????", murmuré-je. Il ne répond pas, ce qui était pour le moins prévisible, et continuer de tirer mon bras vers la droite. C’est alors que je comprends que mon Canon a des tendances fétichistes : Raphaèle, assise sur le côté, dans l’ombre, avec son violoncelle campé entre les jambes, est pieds nus ! Pendant toute la durée du concert je serai obligé de lutter contre ce boîtier psychopathe qui n’a qu’une obsession : sniffer, lêcher, mordre, dévorer la paire de pieds délicats de la musicienne...
Les réglages sont terminés... On entend le tac-tac-tac-tac des rayons d’une bicyclette, puis des arpèges de guitare électro-acoustique... Le violoncelle commence à chanter... Je reconnais l’introduction d’Adélaïde et me retrouve d’un coup plongé dans ma propre enfance, d’innombrables souvenirs de balades estivales avec les copains à travers ma campagne vosgienne... Je suis étonné que le concert débute par cette chanson très particulière, mais cette stupeur ne dure pas car déjà Eric apparaît, les yeux pétillants et le sourire ravageur. Je constate qu’il a troqué son jeans pour un pantalon classieux, et ses rangers pour une paire de souliers vernis, tout comme son frère Christophe. Le son est excellent : les basses sont goulayantes à souhait, les aigus chatouillent à peine les tympans, la balance est parfaitement équilibrée entre les instruments, et le volume global ni trop faible ni assourdissant. Tout est très clair, voilà qui est important quand il s’agit d’une musique riche en effets de toutes sortes. Je tourne la tête vers la cabine de mixage, lançant à l’ingénieur un sourire satisfait à travers la pénombre. Il ne peut pas le recevoir, mais qu’importe...
Ce qui s’est exactement passé ensuite, je ne saurais malheureusement le dire... J’ai perdu toute notion de temps et d’espace, j’en ai même oublié pourquoi j’étais là au point -monumentale erreur !- de ne même pas noter l’ordre des morceaux qui se sont succédés. Voilà des années que j’écoute ces chansons, et ce serait peu de dire que j’attendais avec impatience cette soirée. Ajoutez à cela la grande satisfaction d’avoir réussi une chouette interview en fin d’après-midi... J’étais en quelque sorte conditionné à recevoir cette musique, ces textes, comme s’ils avaient toujours fait partie de moi.
Fan, moi ??? Non mais... ! Vous rigolez ?! Je suis un critique-rock, moi, un professionnel ! On ne me la fait pas ! Que nenni !
Mais si, en fait... Et merde, j’assume... À ma décharge, je dirais cependant que tout dans ce spectacle était conçu pour pénétrer rapidement et profondément à la fois le coeur et l’esprit des spectateurs. J’ai regardé autour de moi, j’ai vu les yeux écarquillés et les sourires jusqu’aux oreilles de certaines personnes, dont quelques unes étaient carrément recroquevillées dans leurs sièges, en position fœtale... Complètement désincarnées, dérivant entre ici et un ailleurs lointainement intérieur. C’était également mon cas. Pendant ce temps, mon renifleur de pieds délicats a continué son délire, croquant ici ou là des bribes d’évènements, bavant de gourmandise jusqu’à terre face à un déluge de bonnes occasions. À l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais toujours pas ce que ses entrailles contiennent vraiment, la pellicule couleur de 800 ISO achetée pour l’occasion étant en cours de développement. Mais je crains le pire.
Je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus intéressant. Je devrais bien évidemment me limiter au factuel, comme tout bon journaliste le ferait... Mais je n’en ai pas envie (non plus). Eric a fait honneur à son héritage brelien en illustrant chaque phrase par un geste, un regard, une attitude corporelle parfaitement appropriés donnant d’avantage de couleur aux images esquissées par les mots et l’accompagnement musical [2]. Sa fameuse voix d’opéra a atteint des sommets d’expression et d’émotion. Il n’a visiblement pas eu besoin de chercher ses notes, sauf peut-être sur le tubesque Alcoolique dont l’interprétation fut selon moi un peu approximative , mais très convaincante tout de même. Je l’avoue, j’imaginais le bonhomme un peu moins adroit sur scène : la vérité est que son jeu m’a stupéfié car il ne ressemble à rien de ce que j’ai pu voir auparavant, et demeure en toutes circonstances très pertinent et spectaculaire. Pas de sauts périlleux ici, ni de plongeons dans le public, pas de jonglage avec le micro, pas d’exhibition pénienne... Rien de tout cela, car c’est bien à la grande tradition du cabaret qu’Eric La Blanche fait référence dans cette théâtralisation minutieuse des chansons. Mais, tout de même, on notera un pillage fort amusant et dieu merci volontairement caricatural des attitioudes de notre Dieu National du Stade, sur l’innénarable La Mort A Johnny. Lequel titre fut en outre l’occasion pour Eric de s’amuser un peu avec le public. Contre toute attente initiale, mais au bout du compte très naturellement, les gens confirmèrent qu’eux aussi en avaient ras-le-bol de subir le matraquage hallydien, et que la salle de la MJC Pichon n’avait rien à envier au Stade de France. Il me semble que le public était déjà conquis, dés le premier morceau, grâce à la chaleur de cette musique mais aussi au magnétisme de tout le groupe (et pas seulement d’Eric). J’ai été, quelques temps encore après ce concert, étonné qu’Eric n’ait pas plus largement exploité cet état de fait. Je suis en effet bien certain qu’il aurait pu faire du public tout ce qu’il voulait... Ce n’est que plus tard que j’ai compris les raisons de cette retenue : la réponse est contenue dans l’interview, il suffit de la lire. Ce spectacle privilégie chez le spectateur le travail de l’imagination, et non celui du corps. Le groupe doit maintenir en permanence une sorte de subtil équilibre entre le rock et la chanson. C’est une ouvrage de verre qui nécessite beaucoup de délicatesse et ne souffre d’aucun surdosage.
Il me faut également parler du travail étonnant de Stéphane, sorte de colonne vertébrale du groupe. La pieuvre ne se contente en effet pas de jouer avec une remarquable précision les parties rythmiques, il est également responsable de l’activation de tous les samples et autres touches électroniques qui donnent à la musique de La Blanche une grande partie de son intérêt. La qualité du mixage aidant, il était en fait très difficile de distinguer le naturel de l’artificiel, par exemple sur le final Les Canuts où les roulements des toms acoustiques se sont parfaitement mélangés au grondement de tambours militaires samplés.
Quant à Raphaële... Qu’écrire qui ne soit déjà galvaudé ? La présence féminine et envoûtante du groupe, oui, oui, d’accord, totalement d’accord. Belle à croquer dans sa robe légère et (hihi) transparente par endroits, elle ne se contente évidemment pas de jouer les fées vaporeuses pour le plaisir de ces messieurs. Le son profond du violoncelle, fort bien mis en valeur lors de ce concert, apporte à la musique du groupe une originalité et une ampleur émotionnelle énorme. Il est vrai qu’un clavier n’aurait pas fait mieux. La musicienne issue du classique joue tantôt des mélodies savoureuses (véritables riffs soutenant les compositions), tantôt des accords baroques, et ne dénigre pas flirter avec la musique contemporaine en évoquant par exemple le chant des oiseaux marins. Sur La Mienne, on a pu la voir construire un dialogue de séduction improvisé avec Gil, équipé d’un bottleneck qu’il faisait érotiquement glisser sur les cordes de sa guitare demi-caisse. Pas les derniers pour ce qui est de jouer la comédie, le couple éphémère ne s’est pas privé d’appuyer ces roucoulements de moults œillades enflammées et réciproques sous le regard attendri d’Eric La Blanche, resté en retrait.
Ne laissons pas en reste les deux guitaristes du groupe, sorte de couple de duettistes rappelant Keith & Ron. Les deux compères passent leur temps à échanger le plus naturellement du monde rythmiques et soli, parfois pendant un même morceau, au point de brouiller les pistes. Les pieds quasi-rivés sur leurs pédales, Christophe et Gil jonglent sans cesse avec les sons dans un seul objectif commun à tous les membres de la troupe : renforcer les ambiances, modeler des images. Et lorsqu’il faut balancer la grosse purée sonore, ils ne se font pas prier. La tempête s’est bel et bien déclenchée plusieurs fois pendant le concert sur des morceaux comme La Folle, Alcoolique ou l’ultime rappel Y’a Plus De Jeunesse, limite punk, où Eric se prend soudain pour un super-héros de dessin-animé japonais exhumé des années 80.
Après les dernières phrases des Canuts, chantées a-capella et sans sonorisation par tout le groupe, Gil a dit merci, le groupe a quitté la scène. Les lumières ont été rallumées, une musique d’ambiance lancée, les gens sont repartis chez eux le coeur plein de trucs ragaillardissants et -j’en suis sûr- conquis. Je me suis retrouvé là, comme un con, le doigt tout greffé au déclencheur de mon Canon à court de munitions depuis belle lurette... J’ai repris lentement conscience, je suis allé remercier le groupe, rouler une galoche au sonorisateur, on a bu un coup, mangé un morceau, bavardé de choses et d’autres comme entre amis... Enfin, j’ai regagné ma voiture à travers la nuit froide, me souvenant que j’avais dû retenir mes larmes à l’écoute d’Allongé Dans Un Pré En Automne... Ce soir-là.
[1] Parole de nain !
[2] Vous remarquerez comme moi que l’auteur de cet article, qui a également rédigé cette note, use et abuse sans le moindre scrupule des adverbes et même des superlatifs, ce qui est comme chacun sait totalement proscrit dans le milieu du journalisme... L’auteur tient à préciser qu’il n’est qu’un misérable cervidé et que par conséquent son cortex, bien que tout à fait apte à recevoir des émotions (comme le lecteur s’en apercevra plus tard), n’est pas suffisament développé pour assimiler et tenir compte des règles d’objectivité les plus élémentaires de la profession.
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