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par Psymanu le 27 février 2007
En 2007, ça fait quoi d’aller voir Jacques Higelin à Toulouse, nous et notre vingtaine d’années bien passée ? Ben, ça fait une grosse sensation de jeunesse pour pas un rond. Enfin, si, quand même, il a fallu payer sa place. À quelques minutes de la première partie, et à l’exception de trois à quatre marmots bien forcés de suivre leurs parents, je suis encore le plus jeune de la salle. Bon, ça se tasse peu après, parce qu’il faut savoir qu’un jeune, c’est pas discipliné, c’est même à ça qu’on le reconnaît, donc ça arrive toujours un peu à la bourre. N’empêche, ça fait bizarre. C’est peut-être ça, le « choc des générations », comme on l’appelle. Plus trop jeune, OK, mais pas moisi, ou pas encore, le public. Et vas-y que ça crie, que ça tape du pied, que ça imite des animaux pour appeler l’idole. C’est souvent un peu bobo, mais ça reste cool, un fan d’Higelin. Sauf mon voisin d’à côté, qui lui n’a pas l’air cool du tout, la quarantaine, costard cravate genre VRP, le corps agité de soubresauts et autres tics nerveux, avec sa femme toute d’austérité vêtue. Sa gueule est à l’avenant. Si ça se trouve, ce mec était un rebelle, gamin. J’en suis presque sûr. Puis il a abdiqué. Et là, il vient là pour se rappeler, sa révolte n’est plus qu’anxiété, et sur son siège on dirait qu’il a le trac, qu’il a peur de se rendre compte de ce qu’il est devenu en écoutant un gars d’enfer avec qui il a tant de souvenirs mais qui lui n’a pas changé.
La première partie, c’est Manu Galure, un p’tit gars tout hirsute seul avec son piano que je ne connaissais pas mais qui m’a bien plu. Notamment parce que sa première chanson dit en gros qu’il a vingt ans et qu’il vous emmerde, vous qui ne pouvez plus en dire autant. Vu le contexte, ça tombe pile poil. Et qu’il soit si bien reçu rajoute à la chaleur de la Halle Aux Grains. Il a même essayé de faire reprendre le fameux ver par ceux de 20 ans, ce qui donne bien sûr quasiment un silence de mort dans la salle, lui permettant de vanner le public, qui fait semblant de s’offusquer, et c’était drôle donc tout le monde s’est bien marré. Drôle, il l’est souvent d’ailleurs, autant que poétique. Sa dernière chanson, jouée en rappel (et c’est pas si courant, une première partie rappelée), un morceau qui le met dans la peau du pianiste d’un Titanic qui sombre, il l’introduit par un petit laïus anticipant sur ce que les gens diront de lui le lendemain, avec l’immanquable allusion à la nouvelle scène francophone, et là encore c’est tellement bien vu et plein d’humour qu’on n’aurait pas craché sur un nouveau rappel. Mais il se fait tard, et on veut Jacques Higelin.
Et il se pointe, enfin. Pas tireur de couverture à lui pour deux sous, il commence par présenter sa fine équipe, un par un, en oubliant ou écorchant la plupart des noms, notamment celui du jeune batteur, peut-être le cadet de la Halle Aux Grains tellement il a l’air d’un gamin. Mais on sent de la passion dans la façon dont Higelin les introduit, on se doute qu’ils ne doivent pas être manchots, et ils auront le loisir de le prouver, même si le boss ne leur passe rien et n’hésite pas à les engueuler pour peu qu’ils déraillent, ou pire, crime de lèse majesté, ne l’attendent pas. C’est qu’il est franco de porc, Jacques. C’est ça, les poètes. Tantôt emporté, tantôt doucement rêveur, d’une inconstance absolue mais toujours vrai, jamais avare d’un bon mot (« le sexagénaire génère le sexe », ce genre de chose), chacun plus haut que le précédent, sans jamais sonner ni mégalo ni démago. D’ailleurs, Cigarette est prétexte à une longue tirade qui débute par l’inévitable allusion aux nouvelles lois régissant le tabagisme public pour finir en véritable programme électoral présidentiel, lui face aux autres, ces candidats plein d’apparences face à Higelin, qui prône le vrai, la vie (faut le voir prononcer « la vie », son poing rageur fendant l’air d’un uppercut, gorge déployée).
Spontanéité, le maître mot. Ne jamais chercher le parfait, garder la fraîcheur. Il ne connaît pas encore bien les textes de ses nouvelles chansons ? Qu’importe, il ne fera pas semblant, l’avoue sans fard, chausse ses petites lunettes de vieux monsieur et se fait amener un pupitre avec les paroles, tente de ne pas trop lire, se gourre mille fois sur Prise De Bec, la massacre proprement, on a l’impression d’assister à une répétition et pourtant on n’échangerait pas ces instants pour tous le meilleur professionnalisme du monde. On est avec lui, même quand il galère, « lorsque parfois c’est moi qui suis pas à la hauteur, mais c’est comme ça, c’est la vie » (voir plus haut, pour comprendre ce mot dans sa bouche, dans son corps). Les grands classiques y passent, la Lettre À L’Ennemi Public Numéro Un, Denise, qu’il commence par réciter à capella, démonstration de virtuosité orale. Tenez, d’ailleurs, c’est à ce moment-là, en ne percutant pas immédiatement, en ne reconnaissant pas tout de suite les paroles que je me suis rendu compte à quel point il n’existe pas de frontière, ou si mince, entre son art et sa façon naturelle de s’exprimer.
Il est Higelin le poète à chaque instant, pas uniquement lorsqu’il interprète ou compose. Il parle comme il chante, chante comme il parle, son concert tout entier est un poème surréaliste, à aucun moment ses pieds, et les notre, par voie de conséquence, ne touchent Terre, à aucun instant la normalité ou la platitude n’est ne serait-ce qu’effleurée. Amor Doloroso, quoi qu’en manque de rodage, se taille une place de choix dans la setlist, et c’est tant mieux : ses chansons résistent et l’emportent à l’épreuve du live, trouvent une chaleur supplémentaire dans l’intimité créée entre Higelin et son public. Ce sont aussi des chansons totalement adaptée à sa voix que le temps a rendu encore plus blues, son timbre encore plus rocailleux (il va bientôt rattraper son fils à ce jeu-là). Une voix étonnante en ceci que l’on la sent tellement usée qu’on se dit qu’il ne parviendra jamais à atteindre certaines notes un peu trop hautes. Mais si, finalement, parce que Jacques Higelin a vingt ans dans sa tête, il le croit avec une telle violence, que son corps et ses cordes vocales n’ont pas d’autre choix que de suivre. Sa voix possède autant de puissance que ses mots, sa voix est invulnérable, quel que soit le traitement pourtant souvent de choc qu’il lui fait subir.
Il y eut Tombé Du Ciel, bien sûr, il y eut Champagne !, entre autre. Des hymnes même pas entamés par les écoutes successives et excessives, chacun ramenant l’auditeur à des tranches de vie où ils prirent toute leur saveur. Irrésistiblement, y a tout qui remonte, et mon voisin à costard, à droite, régresse, les yeux toujours plus brillants là où je n’avais vu qu’un regard morne, faut le voir s’agiter chaque instant davantage, vibrer, toujours plus enfantin, comme il fut, comme il sait encore se montrer, donnant de la voix, applaudissant à tout rompre. Il fait plaisir, se fait plaisir, il prend son pied, il n’y a plus que lui et Jacques, comme avant dans sa piaule et son vieux tourne-disque, enfin j’imagine, et c’est pour tout le monde pareil. Osmose.
Le concert prend fin après deux rappels, sur Tête En L’Air, tout le monde chante, lessivé mais heureux. Entre temps, éternel militant, Higelin a fait venir et parler des membres du collectif Les Enfant De Don Quichotte. C’est tout lui. On plane, OK, mais on ne perd pas le monde de vue, faut jamais lâcher l’affaire, on peut toujours mieux faire, on le doit, à nous, et aux générations futures. On ne lui dira pas, parce qu’il n’est pas homme à se satisfaire de flatteries, mais Jacques Higelin, quel mec. Un prince, rien moins. Promis, on se reverra, et on rêvera, à nouveau.
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