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par Psymanu le 31 octobre 2006
paru en octobre 1981 (Island Records)
Qui se souvient du vieux U2 ? Du U2 des tout débuts, celui d’avant la mégalo, les stades avec écran géant et les grandes croisades politico-humanitaires ? Celui qui se prenait déja très au sérieux mais avec une énergie juvénile que les outrages du temps n’avaient pas encore rendue pathétique ? Il nous manque, un peu. Et lorsqu’en rangeant nos étagères, on retombe sur cet October-là, le souvenir d’une enfance à se contorsionner devant son miroir au son de Gloria nous revient, alors on souffle un coup sur la pochette, on pose le disque sur la platine, "juste vite fait puis on se remet au boulot", mais on ne s’y remet pas, on reste assis par terre, les yeux dans le vague mais un petit rictus dessiné sur le visage, dans un brouillard de nostalgie. La magie opère, encore.
U2 venait de sortir un disque surprise, Boy, qui sans déchaîner les foules s’était taillé un beau petit succès plus que d’estime, grâce notamment à I Will Follow, un titre un peu crétin mais plein de bonnes choses dedans, dont une forme de simplicité enfantine, encore, qui savait doucement ouvrir chaque oreille pour s’y lover durablement. Juste avant, il y avait eu 11 O’Clock Tick Tock, leur premier single pour Island, produit par Martin Hannet, celui de Joy Division, excusez du peu. Arrive alors le moment d’enregistrer le fameux "toujours difficile deuxième album". Et ça commence par une tuile de taille : Bono se fait chourrave ses textes par des fans peu scrupuleux au cours d’une tournée américaine. Peu importe, il en écrit d’autres, tant bien que mal, et ce qu’il ne couche pas sur papier et bien, il l’improvisera. À la baguette, toujours Steve Lillywhite (également entendu chez XTC et Talking Heads).
Étrange entame que celle de Gloria : Bono, au loin, sa voix semble de plus en plus proche, comme s’il hurlait en courant à notre rencontre. Une batterie coup de massue, les notes d’une guitare cristalline, il y a tout cela qui vient à nous puis nous emporte sur son passage, "one, two, three, four !", en vlan ! attrapons le meilleur riff de toute la carrière du groupe dans les dents que notre sourire radieux offre aux enceintes. Superbe morceau (aux paroles bien illuminées mais peu importe) que U2 saura magnifier encore en live, comme en atteste la version vitaminée figurant sur Under A Blood Red Sky . "I try to sing this song, I... I try to stand up...", tout ça, lui il n’y arrive peut être pas mais nous on aurait tort de se gêner. Une des grandes qualités du groupe à ce stade de sa carrière, c’est cette impression de facilité qui transparait au travers de la musique : I Fall Down, c’est fait avec presque rien, une petite intro toute bête au piano d’une seule main, hop, un accord frotté par-ci, par-là sur une gratte acoustique, une ligne de basse bien en avant mais d’une grande simplicité, un peu d’électricité aussi, on mélange le tout, on le fait exploser sur les refrains, et le tour est joué. Le "son U2" est déjà là, "à son meilleur" oserait-on dire, mais pas trop fort pour ne pas se payer la honte devant ceux qui ne jurent que par ce que le groupe composera plus tard dans les années 80. Et puis il y a ce morceau intriguant, glacial : I Threw I Brick Through A Window, au texte schizophrène, introspectif, sur une musique minimaliste qui laisse beaucoup de place au vide et au vertige. Un titre fort, injustement ignoré ou bien oublié.
Puisqu’il faut bien réchauffer l’atmosphère ensuite, et si possible dans la foi indéfectible de trois des quatre membres de U2 (Adam Clayton ayant toujours affirmé sa singularité dans le domaine), le disque se poursuit sur Rejoice, qui donne la part belle à la guitare de The Edge, toujours peu démonstratif techniquement, mais avec cette science du son qui illumine chacune de ses performances. Il faut mentionner l’attaque brute de Larry Mullen Jr sur ses fûts, qui peut laisser libre cours à ses roulements et autres feux d’artifices hérités des fanfares militaires. Fire est, comme son nom l’indique, un morceau brûlant par sa densité ainsi que par ses sonorités, dont on s’empressera d’oublier les paroles un peu naïves et répétitives pour ne retenir que la rythmique entraînante et entêtante. On retient plus volontier Tomorrow, une chanson qui prend toute sa dimension lorsque l’on sait qu’elle est dédiée à la mère de Bono, qu’il eut le malheur de perdre très tôt. "Outside, somebody’s outside, somebody’s knocking at the door, there’s a black car parked, at the side of the road, don’t go to the door, don’t go to the door...", le chanteur interroge, supplie du bout du lèvres, pudiquement, puis, lorsque les mots ne viennent plus, balbutie, puis hurle au vent sa douleur. Et tant qu’on est au plus bas, autant toucher le fond, avec cette petite merveille inachevée que constitue October, sorte de petit impromptu automnal, avec tout ce gris et ces feuilles mortes qui tombent du piano de The Edge. Magnifiquement plombant.
Si l’album avait su s’arrêter là, il n’y aurait pas eu grand chose à redire, mais juste à applaudir. Hélas, il comporte encore quatre titres dont l’intérêt est faible. Admettons, à la limite, With A Shoot, qui annonce par ses sonorités le War à venir. Mais Stranger In A Strange Land, non, ça ne vole pas haut, une simple alternance de phases apaisées et frénétiques. Scarlet est un morceau instrumental (oui, bon, Bono dit "rejoice" de temps en temps, mais c’est tout) qui voudrait planer mais qui ne décolle décidément pas. Enfin Is That All ?, question dont on attend impatiemment une réponse positive, rappelle un peu The Electric Co, mais comme il y a déja eu un The Electric Co et bien ça ne sert à rien.
October est un album bancal, inégal, on le dit parfois "de transition" puisqu’il fait le lien entre le premier essai du groupe et son premier chef d’oeuvre. Pour les raisons énoncées plus haut, il fut écrit dans la précipitation, contient quelques expérimentations dispensables, d’accord. Mais il fait partie de ces disques dont le charme se révèle paradoxalement sous les assauts du temps, ce temps qui rend mignons les défauts de jeunesse, qui gomme les carences, et qui glorifie le reste. October n’est de loin pas leur meilleur disque, mais il est de ceux sur lesquels on reviendra toujours.
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