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par Brice Tollemer le 29 mai 2007
paru le 10 novembre 1992 (Epic / Sony Music)
« Les Rage n’ont pas inventé le rap-métal, mais ce sont eux qui l’ont utilisé au mieux ». Le leader des Deftones Chino Moreno résume parfaitement ce qu’étaient les Rage Against The Machine. Une alliance parfaite, une symbiose impeccable entre les racines hip-hop et les fondements métal. L’origine des deux têtes pensantes du groupe représente finement l’essence même de la formation. Zach De La Rocha est un chicano pur-jus qui a été baigné durant son adolescence à la fois par le punk et par les balbutiements du hip-hop. Tom Morello, d’origine kenyane par son père, a été bercé par les Clash et est titulaire d’une thèse obtenue dans la prestigieuse université d’Harvard, sur l’apartheid en Afrique du Sud. Tout est là. Un soir de 1991 à Los Angeles, le guitariste tombe sur De La Rocha en train de rapper dans un club. La machine Rage est lancée.
Le premier album des Rage Against The Machine voit ainsi le jour à la fin de l’année 1992. D’emblée, la pochette est pour ainsi dire révélatrice de l’état d’esprit du groupe. Elle représente en effet Thích Quảng Ðức, un bonze vietnamien, né en 1897, célèbre pour s’être immolé par le feu le 11 juin 1963 à Saïgon, en signe de protestation contre la répression anti-bouddhiste ordonnée par le président catholique Diệm, soutenu par les États-Unis. La photographie de cet événement a fait le tour du monde et suscité l’émoi de la communauté internationale. En outre, la légende veut que son cœur ait résisté aux flammes et soit conservé dans un reliquaire. Le geste de Thích Quảng Ðức a été par la suite repris par d’autres bonzes, que le gouvernement vietnamien considérait comme étant manipulés par les communistes du Nord Viêt-Nam. Le choix de cette photo renvoie donc à plusieurs aspects de l’imaginaire collectif propre à la contestation américaine. Ainsi, aux États-Unis, la guerre du Viêt-Nam a été à la fois le creuset et le point de départ d’une certaine idée de la révolte politique, de la subversion. Cette période troublée fait toujours resurgir d’une part l’idée d’une fracture entre une certaine partie de la jeunesse du pays et ses classes dirigeantes et, d’autre part, la révélation flagrante de la dangerosité de l’impérialisme américain. Le choix de cette image, violente et symbolique, pour un premier album est emblématique de la marque de fabrique du groupe. Les Rage seront par la suite indéniablement liés à cette photo, à cette immolation d’un homme, donnant sa vie pour dénoncer un climat d’oppression.
La composition des morceaux est ainsi née de la parfaite harmonie entre l’écriture de Zach et les aspirations politiques de Morello. Le guitariste se rappelle : « Le déclic est venu quand j’ai parcouru le livre de poèmes et d’écrits de Zach. C’était comme si j’avais trouvé un frère idéologique. Ce n’était pas juste des paragraphes à propos de Mao et du Paraguay, c’était plus que cela, c’était de le bonne poésie » . Et qui décoche à tout va.
« Believin’ all the lies that they’re tellin’ yaBuyin’ all the products that they’re sellin’ yaThey say jump and ya say how highYa brain-deadYa gotta fuckin’ bullet in ya head »
Ici, l’ennemi (thème récurrent dans le premier album) est facilement identifiable, bien qu’il soit pluriel. Ce sont les médias, le gouvernement, les industriels. La victime, le citoyen américain neurasthénique, qui se laisse tranquillement dévorer par la « machine ». Qui gobe tous les mensonges énoncés à travers la presse ou la télévision. Qui se laisse conditionner par la publicité. Et qui obéit au doigt et à l’œil, lobotomisé par le discours ambiant. C’est l’un des principaux créneaux développé par le groupe au cours des années. La manipulation, la désinformation sont le fruit de l’accord tacite fait entre les médias, le gouvernement et les puissances financières et capitalistes. La définition de l’ennemi est encore plus explicite dans Know Your Enemy :
« Yes I know my enemiesThey’re the teachers who taught me to fight meCompromise, conformity, assimilation, submissionIgnorance, hypocrisy, brutality, the eliteAll of which are American dreams »
Nous retrouvons dans ce passage une plus grande contestation, qui englobe bien plus largement les tares présumés de la société américaine. Sont ainsi dénoncés pêle-mêle la conformité, la soumission, l’ignorance, l’hypocrisie ou bien encore les élites, éléments intrinsèques de la fondation du soi-disant rêve américain
Paradoxalement, il convient quand même de signaler que c’est la chanson la plus simplement écrite qui a été (et qui est toujours) le plus gros succès du groupe. Killing In The Name est en effet à Rage Against The Machine ce que Smells Like Teen Spirit est à Nirvana : un tube planétaire, qui associe inextricablement le son et les paroles du morceau à la nature du groupe. Il est à ce propos terriblement singulier que Killing In The Name soit la seule composition de l’album où les paroles ne soient pas reproduites in extenso dans le livret accompagnant le disque. D’ailleurs, l’idée principale est résumée à elle seule en une ligne : « Some of those that work forces are the same that burn crosses ». Ici, ceux qui brûlent les croix, ce sont bien évidemment les membres du Ku Klux Klan. Dont certains feraient aussi partie des administrations ou du gouvernement. L’autre phrase qui est aussi célèbre que la chanson « Fuck you, I won’t do what you tell me » résume quant à elle la quintessence même de l’idéologie et la force du groupe.
Pour un coup d’essai, cet album est un coup de maître. Et le fait que Maynard James Keenan de Tool vienne poser impeccablement sa voix sur Know Your Enemy vient parachever s’il en était besoin un des disques les plus marquants des années 1990. Le jeu de Tom Morello est complètement atypique, le phrasé de Zack De La Rocha l’est tout autant et la structure rythmique immédiatement identifiable. Une bombe.
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