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par Oh ! Deborah le 24 mai 2011
paru en 1981 (New Rose)
Il y a de ces personnages, qui, comme leurs albums, sont incontournables. Là, il s’agit d’un Californien né au Texas, aux origines mexicaines, françaises et indiennes, qui se barre à seize ans parcourir les États-Unis avec pour ambition : contempler la déchéance humaine. Bouleversé par les rednecks du sud et "les déserts puants d’alcooliques" comme Los Angeles, Jeffrey Lee Pierce décide de teindre sa tignasse d’un blond éblouissant et d’aller faire un tour à New York, où il se passe des choses excitantes. Il est alors rédacteur pour divers magazines, dont un fanzine pour Blondie (bientôt amis du Gun Club) et le mag "Slash" de L.A. Tout cela le pousse à monter un groupe. De retour à L.A, il rencontre le président du fan club des Ramones, Kid Congo Powers, à un concert de Pere Ubu ! (Inutile de qualifier le public du soit disant témoin de Jéovah d’énergumènes déambulant dans l’underground le plus glauque). Très vite, Jeffrey apprend la guitare à Kid qui partira chez les Cramps avant l’enregistrement de ce Fire Of Love, pour revenir dans le Gun Club en 1983. En attendant, Jeffrey a déniché d’autres sombres musiciens : Ward Dotson, Rob Ritter et Terry Graham. Un mythe est né. Un groupe qui s’inspire du blues pour mieux le détruire.
De ses voyages tristes, de l’alcool et des drogues consommées de façon inhumaine, Jeffrey ne s’en remettra jamais. Écrivant des chansons en forme d’invocations mystiques, il dépeint des amours brisés, des paysages décrépis : les démons sortis d’un western. Il les alimente de supplications poétiques et les chante comme personne, avec une sensibilité violente, sortie tout droit d’une âme grande et déchirée. Le voilà prisonnier d’un train noir ou devenu fantôme sur une autoroute. Hurlant She’s Like Heroin To Me, chantant pour Poison Ivy, égérie gothique des Cramps (For The Love Of Ivy, qu’il écrit avec Kid Congo), ou reprenant le Preaching The Blues (version dévastatrice) de Robert Johnson, la voix claire et limpide, qui ne faiblit jamais. La rythmique qui ne capitule pas, même dans les moments de relâche instrumentale.
It’s cloudy in the west, it looks like rainMy eyes are black holes and i’m burning awayYou slaughtered your loving manKilled him in his sleepThe blood and crying of your murderSimply stains your sheetsNow, you’re a ghost on the highwayYour gesture is meaninglessYou’re lost to the living menTrailing souls to the end
Fire Of Love sort à peine deux ans après la formation du groupe. Comme son chanteur-guitariste mort seul en 1996, il est passionné. Survolté, cru et féroce, Fire Of Love est la voix proclamée, extatique et puriste de celui qui donne tout. Une voix inouïe parce que bourrée de sens et d’infortunes. De mélancolie contagieuse. L’appel d’un homme qui s’est pris des coups par les "fantômes ignorants et bornés qui s’emmerdent". Rarement un disque aura été aussi endiablé que cette œuvre au son roots électrifié, composée par quelqu’un d’aussi possédé qu’un pionnier du blues qu’on aurait souillé.
Tout comme nombre d’artistes, Jeffrey vit sa décadence dans l’absolu mais semble le faire avec plus de conscience, et donc, de tristesse. Agenouillé, par terre, à un concert comptant quelques dizaines/centaines de personnes, il chante pour le monde entier. Ses cris perçants, incontrôlés et ses manies contrastent avec son regard fixe et froid. Celui qui semble déjà avoir tout vu. La musique du Gun Club est noire, dans tous les sens du terme. Avec une sensibilité mélodieuse et un chant qui éclate. Sex Beat en ouverture est certainement un des exemples les plus parfaits. We can fuck for ever, but you will never get my soul. Les autres morceaux laissent le calme bouillir sous les psaumes de Jeffrey avant leur explosion dans une tornade de guitare slide et coupante, de blues galvanisé, de rock débridé. Rarement la tension n’aura atteint sa chute à l’aide de moyens aussi simples et efficaces. L’adrénaline se voit anéantie.
En tant qu’une des plus importantes personnalités du rock, Jeffrey Lee fait preuve, avec son premier album, d’une démarche plutôt peu commune à l’époque, ainsi qu’au sein de sa discographie (il écrira plus tard de superbes ballades pop) : insuffler au blues une bonne dose de punk. Il se démarque ainsi de ses contemporains post punk et même de la scène psychobilly avec laquelle il ne partage pas grand chose finalement. Maudit et éternel, Fire Of Love est en flamme et ne s’éteindra jamais. Surtout pas en enfer.
Article publié pour la première fois le 13 mars 2007.
Vos commentaires
# Le 20 octobre 2013 à 20:30, par marc sastre En réponse à : Fire Of Love
pour info, un bouquin - en français - vient de sortir sur le Gun Club :
"Jeffrey Lee Pierce", de Marc Sastre
éditions Les Fondeurs De Briques
http://fondeursdebriques.perso.neuf.fr/argu-jeffrey.html
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