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mercredi 15 avril 2015
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par Psymanu le 4 avril 2006
paru en décembre 1992 (Barclay)
Au diable Aux Sombres Héros..., ça n’était pas eux, ça n’était pas ça, qu’ils voulaient dire, ou en tout cas pas ça n’était rien de ce que la masse avait cru piger. Rarement un groupe aura fait preuve d’une telle réaction épidermique et paranoïaque face au succès. Noir Désir, en réponse, avait envoyé bouler toute promo et balancé Du Ciment Sous Les Plaines en l’air, libre à chacun de le saisir au vol, ou de le laisser choir. On critique leur mauvaise humeur, on fustige leurs textes cryptés, eux s’en foutent, ou font mine de s’en moquer, et repartent se cramer sur scène. La rage au ventre. Le cercle de leur fan, lui, sait de quoi il retourne et crie « amen » partout sur leur passage. Trop d’alcool, trop de colère, les bordelais se rincent, se bousillent, et éclatent en quatre morceaux. Quelques mois, plus tard, reposés, ils se ressoudent et partent à l’assaut d’une réputation scénique que le groupe tarde à concrétiser en studio. Le grunge est là, on a droit à la violence, à nouveau : Noir Dez se paye le Ted Niceley de Fugazi, l’heure a sonné. Moins de n’importe quoi, plus de concentration durant l’enregistrement, c’est ce qu’il fallait pour se remettre sur les bons rails.
Here It Comes Slowly est une tarte magistrale, deux bons crans supérieurs à tout ce que le groupe a pu coucher sur bande auparavant. Un texte en anglais, qui se paye un FN (« Here it comes slowly [...] we can keep that beast away it still lays in its gore, we’ll never stand fascism anymore ») grimpant, chacun est au taquet sur son instrument, toute la fureur dont Noir Désir sait faire preuve en concert est là, enfin. Terminées les vocalises vibrantes, Cantat se met le feu au larynx, tente de percer la muraille dressée devant lui par Teyssot-Gay, Barthes (au jeu massif) et Vidalenc. À peine martelée la note finale, Denis roule ses tambours et enchaîne Ici Paris. Les paroles scandées font mouche, toujours politico-poétiques, le rythme est plus lent mais il règne une tension palpable, le riff tombe comme une guillotine. On freine un grand coup pour Oublié, pesant, on s’y sent comme pris de vertige sous un soleil de plomb, chancelant, on divague avec Bertrand. Ensuite, c’est Alice, un titre en plein délire, Cantat déclame, en appelle à Lewis Caroll, presque pour rire (« Alice a le doigt »), mais l’ensemble est majestueux. Serge y est à son top niveau, tisse de longues toiles puis les déchire d’un coup, épileptique. Et il est hors de question d’atterrir : One Trip / One Noise est un truc étrange, on ne comprend strictement rien à ce qui s’y dit, mais, pour peu que l’on consente à se laisser aller, les images, les sensations fusent, et l’on voyage. Un morceau phare, qui s’accommodera de toutes les évolutions du groupe lors des tournées à venir sans jamais perdre une once d’intensité, que le groupe s’en serve pour faire danser ou pour hypnotiser. Il est suivi de Tostaky.
Il faut dire quoi, à son sujet ? Que ce titre est monstrueux, pour commencer. Qu’il fit à lui seul aimer Noir Désir à des générations entières sans que, cette fois-ci, le groupe en rougisse un instant. Le riff est génial, filant, rapide, et surtout incroyablement rentre-dedans. Et puis il y a ce slogan, capable de déclancher une véritable hystérie dans le public, qui vous prend par le bas-ventre et vous propulse aux cieux : « Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien ». Des hectolitres de sueur ont été versés sur cette chanson définitive. Il faut souffler, c’est chose faite sur Marlène, un Boléro de Ravel sauce Noir Désir, un titre où Cantat consent enfin à chanter, tel un crooner agonisant, l’histoire d’une fille à soldats, on pourrait presque trouver ça léger, comparé à tout ce qui précède. Le groupe reprend Johnny Colère, de Nus, un appel à la révolte qui sonne atypique au sein du reste, mais sur lequel on peut pogoter, et gueuler quand même, donc on s’y retrouve. La bride est définitivement lâchée sur 7 Minutes, sorte de jam rageuse où chacun tente à son tour de faire plus de bruit que son voisin. Un morceau qu’on peut juger dispensable, mais qui fait un bien fou après une journée pourrie, comme s’il absorbait votre colère pour la recracher par les enceintes. Sober Song, c’est l’histoire d’un mec qui tente de décuver, supplie tous les dieux de l’aspirine, promets de ne plus jamais picoler. C’est donc lourd, chanté d’une voix d’outre-tombe, langue au palais, et particulièrement drôle. S’en suit une longue lettre d’insultes appelée It Spurts, encore plus hard, plus saturé que le morceau précédent, beuglé comme un métalleux par Cantat. On n’aimerait pas en être le destinataire tant le groupe file les jetons. Et puis, soudain, surgit un titre venu de nulle part, un peu dans l’esprit d’Alice, intitulé Lolita Nie En Bloc. Les mots se répandent, en un flot presque poussif, les Noir Dez montrent du doigt un ange qui passe, avant de l’abattre sauvagement d’une décharge électrique.
De toute la discographie de Noir Désir, Tostaky est le seul (quoique, Des Visages Des Figures...) à pouvoir prétendre trouver sa place sans dépareiller dans une discothèque anglophone. Il est en quelque sorte leur meilleur ambassadeur auprès de ceux qui croient que ces maudits français sont infoutus de faire du bon et gros rock. Il marque aussi un tournant, ou plutôt un décollage : il démontre les hauteurs stratosphériques que le groupe peut atteindre, qualitativement. Tambour battant, Noir Désir défendra ce monument lors de tournées marathon dont subsiste le témoignage Dies Irae : on y entend les Bordelais donner tout et plus encore. Tant et si bien que genou à terre, cordes vocales ruinées, il leur faudra baisser pavillon pour une durée qui fut longtemps indéterminée, alimentant les pires rumeurs. La suite ne sera que disques splendides, puis mauvais littérature. Peu importe : « tout est là ».
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