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mercredi 15 avril 2015
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par Béatrice le 13 décembre 2005
On parle beaucoup du “renouveau anglais” dans le rock aujourd’hui, au point parfois d’oublier qu’outre-atlantique, la créativité musicale est tout aussi (sinon plus) bouillonnante... La preuve ce soir, avec deux groupes indépendants américains, qui développent, dans deux registres très différents, une musique tellement personnelle et si éloignée de toute mode qu’on peine à leur trouver des équivalents : d’un côté, Two Gallants, jeune duo aux orientations blues et folk, qui livre des chansons d’une puissance impressionnante, brutes et sans compromis ; de l’autre, The Decemberists, sorte de troubadours des temps modernes, qui redonnent ses lettres de noblesse à une conception théâtrale de la musique...
Two Gallants entament donc la soirée, devant une salle remplie d’au moins autant d’anglophones que de Parisiens... Encore presque inconnu en France, le duo s’apprête à sortir son deuxième album, What The Toll Tells, en février, sur le label Saddle Creek (qui abrite notamment Bright Eyes, Cursive et The Faint). L’essentiel du public les découvre avec ce set et force est de constater que la réaction sera assez unanime - dans le bon sens. En effet, le duo ne déçoit pas les espérances qu’on pouvait avoir après avoir entendu quelques uns de leurs enregistrements : ils commencent par une série d’arpèges qui va bien durer une ou deux minutes (ce qui n’est pas vraiment commun) et qui déjà laisse entrevoir l’intensité qui va se dégager de leur prestation. La voix, assez spéciale, peut déplaire, la longueur des chansons (7-8 minutes en moyenne, ce qui ne leur permettra pas d’en jouer plus d’une demi-douzaine) déconcerter, toujours est-il qu’un tel groupe ne laisse pas indifférent. Leurs textes sont durs, sans concession et abordent des thèmes plutôt rares dans la musique actuelle (la misère, l’évasion du pénitencier, les crimes, tout ça ne respire pas la gaieté...) et contribuent à rendre leur œuvre intemporelle, comme ancrée dans l’Amérique encore sauvage du temps des pionniers. Autant d’éléments qui pourraient constituer de sérieux obstacles au succès du groupe, seulement, voilà, Adam Stephen et Tyson Vogel dégagent à eux deux au moins autant d’énergie que beaucoup de groupes comptant plus de membres et n’ont absolument rien à envier d’autres duos en vogues, White Stripes, Kills ou Black Keys... Ils sont totalement plongés dans leur musique et la puissance qu’ils dégagent ne peut que captiver ; d’ailleurs, la plupart des chansons font véritablement l’effet de claques, dont on ne se remet pas facilement, particulièrement l’enragée Nothing To You, pamphlet sur la déception amoureuse. Le seul bémol qu’on puisse émettre est la piètre qualité du son, qui empêche parfois de profiter totalement de la musique et de vraiment s’en imprégner (mais ça, c’est pas vraiment leur faute)... Cependant, ce défaut disparaîtra sur le dernier titre, pour lequel le chanteur délaissera sa guitare électrique pour une acoustique... Récit de l’évasion d’un prisonnier, absolument stupéfiant, ce titre suffirait presque à justifier le déplacement. Le public ne s’y trompe pas, et, comme le dira un spectateur anglais, résumant parfaitement la prestation, “They were just awesome” !
Changement complet d’ambiance avec la tête d’affiche qui n’aura absolument pas à rougir de l’exceptionnelle qualité de sa première partie, bien au contraire... The Decemberists œuvrent dans un registre nettement plus enjoué, construisant leurs chansons comme autant de contes et de petites histoires fantaisistes et s’approchant parfois plus du café-théâtre que du rock à proprement parler... Des instruments (contrebasse, accordéon, violon, banjo,...) aux habits, tout chez eux rappelle qu’ils ne sont pas un groupe de rock indépendant américain parmi d’autres, mais qu’ils ont bien une personnalité très marquée...
Rares sont les groupes dont les performances sont excellentes dès la première chanson, c’est pourtant ce qui va se passer ici ; aussitôt les premiers vers de Shanty For The Arethusa chantés, on est catapulté dans leur univers, qu’on ne quittera pas pendant deux heures ; les chansons (essentiellement tirées de leurs deux derniers albums) se suivent mais ne se ressemblent pas.
Et, non contents de livrer un set de qualité, les six musiciens se montrent d’une générosité et d’une proximité impressionnantes, faisant entrer le public dans le spectacle ; bavards invétérés, ils passent pas mal de temps à parler de choses et d’autres [1] et à se livrer à des rituels pour le moins farfelus ; à titre d’exemple, dès que l’un d’entre eux se risque à faire une mauvaise blague, expliqueront-ils, il doit taper dans les mains des spectateurs des premiers rangs, pendant que les autres improvisent derrière. Les improvisations d’ailleurs sont nombreuses, montrant que ce sont non seulement d’excellents musiciens, mais qu’en plus ils sont ravis d’être sur cette scène ce soir, et ajoutant à l’imprévu du show (car on peut bien là parler de véritable show). Sur la fin, le concert va encore gagner en qualité et en originalité ; au milieu de The Chimbley Sweep, le groupe se lance dans une véritable performance théâtrale : chanteur et guitariste se livrent à une joute d’on-ne-sait-pas-trop-quoi (qui réussira à avoir l’air le plus ridicule avec sa guitare ?), puis chacun des membres du groupe fera mine de s’effondrer endormi, alors que le chanteur demandera au public de se baisser lui aussi.... avant que la chanson ne reprenne et que tout le monde se relève.
Le groupe a tellement conquis la salle qu’il se verra contraint de revenir pour un rappel encore plus ébouriffant, de deux titres : une reprise de Mr.Blue Sky du Electric Light Orchestra, puis une version magistrale de The Mariner’s Revenge Song. Cette chanson, déjà exceptionnelle sur l’album (véritable épopée au cours de laquelle un jeune homme recherche l’homme qui a maltraité sa mère pour se venger, et le retrouve sur un bateau qui se fait avaler par une baleine, pour faire court et simple), synthétise tous les éléments qui ont fait de ce concert un moment exceptionnel. Là encore, le groupe demande au public de participer, cette fois “en hurlant comme si vous vous faisiez avaler par une baleine quand Chris (le guitariste) vous donnera le signal”, ce que tout le monde fera avec joie...
[1] Petite précision que le chanteur Colin Meloy aurait probablement apprécié qu’on fasse, tant il l’a répété au cours du concert : il était président du Club de Français de son lycée.
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