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par Oh ! Deborah le 7 juin 2011
Avec le temps, Mark E. Smith a acquis le plus magnifique des statuts : celui d’être adoré et détesté, d’être inconnu et reconnu par une foule d’artistes, et surtout, celui qui permet d’avoir un public restreint mais assidu aux quatre coins du monde. Et puis Mark E. Smith est un gars bien, car il se fout de son statut. Il enchaîne les albums (28 à ce jour, excellents ou médiocres, sans prendre garde à la critique qu’il conchie) et les concerts, chaotiques depuis trente ans. Ce trouble-fête était à la Villette Sonique à Paris mardi dernier, à l‘occasion de la sortie du nouvel album de The Fall, Your Future Our Clutter. Chez lui, rien n’a changé.
Avant cela, le groupe Cheveu, présenté comme une révélation expé française, qui prépare le terrain ce soir. D’ailleurs, quasi tous les groupes du Festival de La Villette semblent avoir été minutieusement choisis pour leur caractère expérimental, ce qui constitue un bon tremplin et un certain équilibre par rapport aux évènements de Rock en Seine, par exemple. Les mots sont scandés et décuplés en échos, et même lorsqu’ils sont en français ils s’accordent brillamment (c’est assez rare pour le souligner), avec le climat oppressant de leur électro-punk. J’ai essentiellement obtenu l’effet voulu sur trois morceaux. Ensuite, un groupe de filles japonaises, intitulé OOIOO, ont fait feu de toutes leurs festivités vocales, quoique leurs incessantes ruptures mélodiques ne prennent plus sur la longueur. Et comme je me destine aux gradins le plus souvent quand je me fais chier, leur absence se fait sentir.
Après quelques efforts de patience, je me traîne vers les premiers rangs, face à un écran projetant une vidéo qui mêle un Prince et un Jacques Brel désarticulés voire ridicules, sur une musique anxiogène. Kill your idols comme dirait l’autre, enfin surtout une des nôtres (rires sarcastiques de Smith derrière le rideau). Arrivent ensuite les membres de The Fall pour un instrumental uniquement, le chanteur se faisant longuement désirer. Ainsi son apparition s’accompagne d’un immense soulagement, de multiples sourires et surtout de rires incontrôlés. A cela, des explications. D’abord parce que la salle, quelque peu impersonnelle, ainsi que l’attente interminable de voir le monsieur, font que le public ici présent se voit immédiatement rassuré. En effet, rien de tel que de retrouver notre briscard et poète légendaire en costume gris du dimanche, sa trogne atypique, ainsi que ses éternelles locutions sardoniques et méprisantes. Ça ne peut que nous réconforter. Ensuite, quelque chose de frappant me vient comme une évidence (je n’avais jamais vu The Fall), le charisme du chanteur. Malgré ses 54 ans bien tassés, sa négligence et sa démarche avachie, MES arrive à tout faire passer, y compris le fait de nous balancer certains de ses morceaux les plus inaccessibles voire moyens dans la tronche (faut pas rêver non plus, il n’en a d’ailleurs jamais été question avec The Fall), sauvés par quelques classiques comme Muzorewi’s Daughter ou Psykick Dancehall Trois ou quatre micros parsèment la scène au cas où il en perde (ou en jette un, on ne sait pas trop) au milieu d’une phrase. Parfois, il en tient deux, au cas où on l’entendrait mal. Égal à lui-même, il va et vient tranquillement vers ses musiciens, appuie au hasard sur le clavier tout en gueulant son sprechgesang sibyllin, augmente les amplis selon sa convenance, vire des cymbales de la batterie, se casse de scène, revient l’air piteux. Drôle de routine ! Le public se contente donc d’abord de mesurer cette sensation d’être dans un nid cacophonique douillet. De la joie pure et simple, un repos incommensurable pour nos oreilles que de recevoir ces dérouillées vrombissantes pendant plus d’une heure.
Autre chose de frappant, le genoux de mon voisin. En partie demandeurs de petits câlins inhérents à la fosse (nous parlions récemment de celle-ci sur Inside), le public va se diviser en deux parties distinctes, car un noyau de pogoteurs plutôt dévastateur va se mettre à enfler uniquement sur la droite. Donc juste devant la scène, on a, sur la gauche, des gens plantés là tranquilles, et à droite, notre équipée sauvage, d’où une fille seins nus fait irruption sur scène (pour la part restante du public qui souffre, car y’en a toujours une, je pense qu’ils ont été renvoyés chez leurs mères). Plutôt schématique quand on sait que le public fidèle à The Fall se compose très précisément d’esthètes et de punks (voire certainement des deux à la fois, puisque l’un n’empêche pas l’autre), que la musique et les paroles de Mark E. Smith forment un archétype anarchique et littéraire. La situation en deviendra comique avec une asymétrie parfaite qui fera d’ailleurs bien marrer la claviériste et femme de MES (placée sur la droite), avant qu’elle ne lance un "Is anybody theeeeeeeere ?" introduisant Psykick Dancehall. La folie souterraine ne sera que plus belle après ça, en savourant ce son granuleux, basse en avant, ces mélodies moites de derrière les fagots. Plus on avance, plus on déambule sur une cadence boiteuse et lancinante. Quant à la fosse, je ne choisirai pas mon camp (même si imaginer ce genre de concert sans que personne ne se vautre me semble improbable et mort pour le groupe), et resterai aux frontières du bordel... mais peu importe, je suis dans un tunnel.
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