Concerts
The Veils

Paris (La Boule Noire)

The Veils

Le 28 octobre 2006

par Béatrice le 14 novembre 2006

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Cela faisait un petit moment que les Veils n’avaient pas mis les pieds sur une scène de Paris. Deux ans, sept mois et un jour très exactement. Eut égard à la maigre densité du public lors de leur dernier passage, on peut comprendre qu’ils aient privilégié les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne, où l’accueil qu’on leur réserve s’avère souvent un peu plus chaleureux (pas très difficile, remarquez). Mais vient un moment où, l’album enregistré et publié, la seule chose qu’il reste à faire à un groupe fatigué des studios est de sillonner les autoroutes et les chemins de fer (ou de l’air) et de balayer au passage la poussière des planches des scènes à chaque étape. Les Veils ayant consacré une année à plancher sur Nux Vomica, le temps est venu pour eux de grimper dans la caravane et de colporter leur remède miraculeux à coup d’incantations sulfureuses et de murmures susurrés comme autant de secrets funestes. Et les voilà donc partis, arrachés aux terres insulaires et échoués sur le vieux continent, avec pour mission de le traverser (plus ou moins) en diagonale en quelques semaines.

Tout cartographe avisé vous le dira, il est difficile de partir de Hollande ou d’Italie et de se diriger vers l’Espagne sans poser un orteil sur le sol français. Le quintet a donc pris soin d’entrecouper son périple d’une poignée d’étapes hexagonales ; et voilà comment il se retrouve sur un boulevard du XVIIIe arrondissement de Paris au crépuscule d’un mois d’octobre qui n’en fini pas de rendre son dernier soupir, alors même qu’Anton Newcombe le maudit et ses sbires se cament quelques numéros plus bas, tout voués qu’ils sont à porter éternellement le deuil de Brian Jones.

Les Veils ont élu domicile à la Boule Noire, enclave au murs ornés de fresques tourmentées creusée dans les entrailles de sa grande sœur la Cigale. Il est 19h30, la nuit s’avance à grand pas, le public, qui s’amoncelle beaucoup plus lentement, est pour l’instant plus que clairsemé, et les Veils sont partis manger, laissant (de mauvais gré, espérons-le) à un groupe français du nom d’Abesse, qui aurait mieux fait de ne jamais quitter sa station de métro éponyme (d’autant plus qu’elle est en ce moment fermée, ce qui aurait limité les doléances) le soin de faire le cirque pour occuper les pèlerins qui ont eu le malheur d’arriver trop tôt. Fort heureusement personne ne fuit, la salle aurait même l’air de se remplir, et puis, ils étaient tellement drôles, après tout (involontairement, peut-être, mais pas moins drôles). Les roadies s’affairent, signe qu’après cette gentille récréation les choses sérieuses s’apprêtent à commencer, puisque tout est dans le contraste, que l’eau chaude est encore plus brûlante après une averse glaciale, que le noir est plus sombre quand il est à côté du blanc et tout ce fatras, même si les Veils n’auraient pas été moins bons après une première partie digne de ce nom (ou pas de première partie du tout).

Les voici donc, nos troubadours tourmentés, rescapés des flots d’on ne sait trop quel océan et naufragés sur une scène. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont bien changé depuis leur dernière visite - il eut été difficile qu’il en fût autrement, seul un des Veils millésime 2004 ayant survécu à la tempête, ce qui n’était pas si grave, puisque c’était le capitaine, qui s’est empressé de recruter un nouvel équipage et de larguer les amarres. Un claviériste, un batteur, un guitariste, une grande liane au visage masqué par des cheveux rebelles à la basse, et Finn Andrews, silhouette filiforme et yeux de cristal, qui a abandonné foulard, rimmel et bottes en peau de serpent pour adopter un feutre noir et un costume gris. La voix d’Edith Piaf s’élève dans l’obscurité, chantant qu’elle ne regrette rien ; le temps pour les Veils de s’armer de leurs instruments respectif, et la machine est lancée, d’un Nux Vomica aussi tourbillonnant et infernal que son avatar gravé. On n’arrête pas un chanteur en transe, et il faut à peine quelques secondes à celui-ci pour y rentrer ; le groupe ne peut guère que l’accompagner, le soutenir et l’entraîner ce qu’il fait à merveille, bien plus soudé et en symbiose que ce n’était le cas avant le changement de personnel (ce qui laisse présager que cette mouture des Veils durera plus longtemps que la précédente). Transpirant la concentration, le quintet enchaîne les titres du dernier album, qui se voient transcendés par l’énergie d’un chanteur intégralement possédé par les démons qui hantent sa musique, à tel point qu’on pourrait presque envisager d’appeler un exorciste, si seulement ce n’était pas d’une beauté renversante et d’une intensité foudroyante. Parce qu’en l’occurrence, il n’y a pas grand chose à faire, à part rester cloué sur place, sidéré devant ce monument de notes et de mouvements, solide comme un bloc de granit et ténu comme une corde effilée et prête à rompre, sur laquelle la voix joue les funambules, oscillant dans un équilibre précaire à la lisière de l’élévation et de l’effondrement. Finn Andrews martyrise sa voix, encore plus que sur disque, la tordant et la lacérant, la filtrant parfois via un vocodeur dont elle n’a pas besoin pour être déchirante et subjuguante, et sont visage autant que son corps se tordent , se fondant aux méandres et aux sinuosités de chansons entre pop déviante et blues épique.
Captivante sur les irrésistibles Birthday Present, Calliope ! ou Advice For Young Mothers To Be, la performance atteint des sommets d’intensité dès lors que se font entendre les premières notes de morceaux plus nerveux - rappelant que considérer les Veils comme un simple groupe de pop serait une méprise franchement réductrice.
La tension est palpable sur l’impitoyable Jesus For The Jugular, dont la rythmique martiale et impérieuse s’impose à un public contraint à remuer la tête avec une régularité métronomique, chaque accord de guitare sonnant comme un coup de pied renversant une à une les pensées parasites. Maintenant que Finn Andrews a hypnotisé son public en lui déversant d’entrée quatre de ses chansons les plus imposantes, maintenant qu’il évolue en terrain définitivement conquis, libre à lui et à son groupe de se faire plaisir - ne se privant de faire quelques piqûres de rappel, en injectant la véhémence d’un Pan ou d’un Not Yet. Ils sont de toutes façon partis, entraînant le public avec eux sans lui demander son reste, et on ne les arrêtera plus tant qu’ils n’auront pas décidé que la fin est venu. Please don’t stop me, siffle d’ailleurs Finn Andrews entre ses dents, au cours d’une reprise se State Trooper de Bruce Springsteen - même si nul besoin n’était de donner à cette requête des airs de supplication, car qui aurait bien pu songer à l’arrêter ?

Entre deux chansons du dernier opus, Finn Andrews réveille des fantômes translucide du premier album, morceaux cristallins au lyrisme fragile et poignant. Le piano se fait alors plus doux, les arpèges plus scintillant, le rythme plus discret, et la voix se noue de mélancolie nostalgique - à la fois plus entraînant et plus tristes, de la délicate The Tide That Left And Never Came Back jusqu’à l’envoûtante Lavinia qui s’élève en une volute de fumée encensée et à la lumineuse autant que torturée The Wild Son. Et puis, soudainement, arrive Not Yet, et quelques minutes après, la scène est désertée. Not Yet, on ne saurait être plus pertinent. Les Veils ont peut être changé, ils n’ont pas perdu leur habitude de quitter la scène après une dizaine de chansons. Point positif, ils ont par contre acquis celle de livrer des rappels digne de ce nom - le public leur en aurait beaucoup voulu s’ils ne l’avait pas fait, car il a beau être dispersé, il n’en est pas moins conquis et enthousiaste.

Les cinq reviennent donc passer une nuit sur terre, puis Finn Andrews verse une larmes ou deux à l’ombre des branches tombantes, où instruments et voix s’apaisent, caressants - mais pas pour longtemps, car le temps d’essuyer ses yeux humides et de remercier le public en le gratifiant d’un large sourire, et Finn Andrews se jette à bras ouvert dans le fiévreux More Heat Than Light, morceau électrifiant et halluciné du premier album, livré dans une version un peu moins dépouillée mais qui ne manque pas de rallumer l’étincelle de folie qui brille au fond des yeux du chanteur, qui termine le concert en martelant convulsivement le clavier. Cela se sera achevé au moins aussi brutalement que cela aura démarré, et il n’est même pas 22h. Mais après tout, comme disait Neil Young, “It’s better to burn out than to fade away” - et les Veils ont bel et bien délivré une performance enflammée, même s’ils ne se sont heureusement pas littéralement consumés.



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom