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mercredi 15 avril 2015
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par Milner le 6 mars 2007
paru le 26 février 2007 (B-Unique Records / Polydor)
Cinq gueules de cinq spécimens, type étudiants en lettres modernes des années deux milles, aux regards sévères, à l’exception d’un clin d’œil et d’un sourire en coin. Image contrastée avec le titre de l’album, le genre de slogans qui dénote une certaine proximité avec un public, engendre une frénésie, une admiration, presque une adulation. Kaiser Chiefs est le premier à avoir percé en France des groupes britanniques que l’on pourrait appeler rock-néo-britpop, les groupes de l’après Pulp-Blur-Supergrass. En effet, ils empruntent à leurs illustres prédécesseurs l’attachement aux archétypes de la pop music, aux structures simples et débordantes d’énergie.
Depuis quelque temps, il semblait clair qu’il y avait comme un retour d’effet de mode. « Du rock ! » crie la jeunesse. Surgissant du fond du West Yorkshire, cinq jeunes insolents ont réussi à séduire en quelques mois médias et public britanniques, à tel point qu’ils sont des valeurs sûres du nouveau millénaire. Comme Muse ou bien du niveau de Arctic Monkeys ? Kaiser Chiefs, c’est toute l’Angleterre : prétentieuse, arrogante, désinvolte et attachante. Une musique pour les esprits naïfs, les mêmes thèmes rabâchés à longueur de chansons, intellos s’abstenir. Ces chers loiners avaient sournoisement balancé en 2005 un Employment d’où on osait à peine retenir I Predict A Riot. Un peu les Supergrass du Nord de l’Angleterre, un peu Blur aussi, surtout dans Everyday I Love You Less And Less, morceau putassier aux couleurs de la britpop des années 1990.
Beaucoup de raisons de s’offusquer pour ceux qui ne peuvent mettre un disque sur la platine sans se munir d’un dictionnaire du rock. Beaucoup de raisons de s’éclater aussi pour ceux qui prennent la musique comme elle vient, qui prennent Kaiser Chiefs pour ce qu’ils sont : des petites teignes qui accrochent à la perfection. Finalement, bien prétentieux qui oserait préjuger du déclin des âmes en devenir. La bande à Ricky Wilson a retenu une chose des glorieux aînés qui les ont précédé : un bon album ne peut se concevoir qu’avec de bonnes chansons, un point c’est tout. Totalement incapables de concevoir un album comme une œuvre à part entière mais terriblement doués pour le remplir en morceaux aguicheurs. Et à cet égard, Yours Truly, Angry Mob se révèle une astucieuse galette dans l’esprit continuateur des artisans de la pop music des années 1960 à nos jours.
Alors, justement, Ruby est une sorte de ska/pop introduit par un riff de guitare étouffée, agrémenté d’un piano facétieux et d’un refrain/tube qui fait mouche. Le single idéal, en somme. Mais, résumer les douze titres de l’album à ce morceau inaugural serait exactement comme comparer Dr Strangelove de Stanley Kubrick à un court-métrage : dangereux et erroné. Parce que les Chiefs proposent bien plus qu’un simple ensemble de chansons à faire danser les ours en peluche. Il y a ce The Angry Mob qui s’immobilise à la troisième minute pour lancer une partie du slogan de la pochette et qui rappelle les efforts louables de Sham 69. Il faut dire qu’on distingue ici des références en alu brossé : écouter Highroyds et I Can Do It Without You en songeant au Supergrass de Life On Other Planets ou à Franz Ferdinand (eh oui, déjà !) façon Walk Away. Et bien, allez savoir si c’est grâce à la participation de Stephen Street à la production pour la seconde fois mais les Kaiser sont carrément devenus empereurs, on peut même les voir ricaner de ça au fond de la classe, tel ces cancres qui jubilent en attendant la sonnerie.
Car oui, force est de constater que ce deuxième album marque une évolution majeure dans la discographie du groupe. Album intéressant car la diversification y glisse des articulations et des pauses (Love’s Not A Competition (But I’m Winning), Learnt My Lesson Well). La partie de la recette du succès de Employment (guitares hurlantes d’Andrew White et schémas rythmiques débrouillards) est dignement représentée dans des titres comme Heat Dies Down, Thank You Very Much, Retirement (humour anglais, quand tu nous tiens !), au niveau du gimmick tout comme de l’heureux choix harmonique ou mélodique. Contraste saisissant entre les titres au tempo plus enlevé et aux ballades puisque les franches réussites que sont The Angry Mob, Love’s Not A Competition (But I’m Winning), I Can Do It Without You, My Kind Of Guy et Learnt My Lesson Well ressuscite tout ce qui faisait la grâce des groupes pop anglais il n’y a pas si longtemps : gaieté, simplicité rythmique et enrobage soigné de mélodies en sucre d’orge.
Le parallèle entre les cinq de Leeds et Franz Ferdinand est saisissant : même engouement médiatique développé pour leur premier album respectif, renouvellement partiel de la formule musicale sur le disque suivant, avec prises de risque en prime. Bien que moins poseurs que leurs homologues glaswegians, Kaiser Chiefs n’est désormais plus ce jeune groupe prometteur qui doit attendre de parvenir à maturité. C’est tout simplement une formation qui veut arriver aux sommets et qui va y parvenir. Les exemples d’artistes ou de groupes qui ont transformé l’essai réussi du second opus permettent de constater qu’il faut oser pour étonner. À ce jeu, pas de problèmes, le groupe est prêt à repartir sur simple demande. Pour ceux qui ne voient que chiffres de ventes et pompages éhontés, il n’y a plus rien à faire pour eux !
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