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par Thibault le 26 avril 2011
Jusqu’ici nous n’avons évoqué Bjørn Berge que dans sa veine acoustique, où lui et sa collection de guitares mal-foutues à douze cordes opèrent seuls. Si c’est dans cet exercice qu’il impressionne le plus, en témoigne son définitif I’m The Anti-Pop (2007) qui efface la concurrence en deux mesures, le norvégien a aussi versé dans un registre électrique et paradoxalement moins hargneux que ses reprises unplugged des Red Hot Chili Peppers, Primus ou de Black Sabbath.
Après deux premiers jets scolaires et plutôt ennuyeux, il faut bien l’admettre, le troisième album de Bjørn Berge, Blues Hit Me (1999), est l’occasion d’élargir la palette, d’inviter des chœurs et un backing band, une batterie, d’esquisser des arrangements pour offrir des chansons moins arides. Et c’est avec Bag Of Nails sorti un an après qu’il réalise son premier opus placé sous le signe du cool.
Bjørn Berge d’humeur électrique, c’est un peu comme si les Beastie Boys faisaient du blues. A l’instar des three stooges de Brooklyn, le norvégien propose une relecture jouissive d’un genre appréhendé avec un sérieux pas toujours à propos. A cause d’une bienveillance mal placée, on présente trop souvent le blues ou le rap comme « le cri de douleur du peuple noir », « l’expression de la révolte »... Un jour, une professeur de la Juilliard School of Music a tenu ce genre de propos à Miles Davis. Avec son légendaire sens du tact, le trompettiste a rétorqué que « mon père est dentiste, ma mère donne des cours de piano. Je n’ai jamais souffert de la faim, je n’ai jamais ramassé de coton et pourtant, je joue le blues, connasse ».
Tel les Beastie avec le rap, Bjørn Berge revisite le blues à sa guise. Il s’en approprie la nonchalance avec son flow gouailleur et troque les walking-bass trop prévisibles pour des couleurs rock ou funk (le slap de Buy Your Things ou de Travelling Riverside Blues). Ses chansons, parfois énergiques, souvent laidbacks comme du Snoop Dogg qui émerge de la sieste, trouvent leur équilibre entre des rythmes avachis et des giclées d’effets presque saturés, avec beaucoup de filtres sur le chant ou de petits fouettés de wha wha qui se promènent dans une reverb moite.
La bonne utilisation du studio est assez notable puisque le compositeur prend le parti de sonner ouvertement moderne dans un genre où la technologie n’a pas bonne presse, où l’authenticité du projet est souvent mesurée aux nombres de craquèlements du vinyle. Oubliez l’austérité rasoir des enregistrements inaudibles de Robert Johnson, ici le son est profond, il résonne et fait vibrer chaque instrument. Les douze cordes acoustiques claquent sec entre la voix et la batterie, on entend clairement les coups contre le bois, le bottleneck qui bute sur les frets et les pincements du picking. Une telle qualité d’enregistrement évoque forcément l’excellent trio Morphine dont Berge reprend les titres Buena et Thursday sur d’autres albums.
Preuve en sont ses concerts, le norvégien cherche autant à s’épanouir dans l’improvisation et le tâtonnement qu’à en mettre plein la face de son auditoire. Il s’agit d’éviter le cool forcé, les gimmicks qui tournent en rond, de rebondir quand la formule est trop grosse, de s’amuser en amusant le spectateur. Sur Bring It On Home, Berge tient un énorme riff, un classique de la grammaire blues qu’il fait exploser avec un son superbe. Parce qu’il a une très bonne culture metal, le musicien sait bien que de Sabbra Cadabra à Ænema en passant par Seek and Destroy, les riffs les plus marquants sont ceux qu’on utilise avec le plus de parcimonie. Ainsi, au lieu de le répéter en boucle comme le ferait un tâcheron trop heureux de sa trouvaille au point de l’épuiser, le guitariste le déforme, nous tient en haleine, joue avec notre envie d’entendre le riff résonner et se joue de nos attentes pour construire toute sa chanson.
Le pisse froid dira que ça se répète vite, que les beats de batterie sont toujours un peu les mêmes et que c’est de la musique de glandeur. Certes, certes, mais de la bonne musique de glandeur, à écouter très fort en papillonnant. Bag of Nails (2000), Illustrated Man (2002) et We’re Gonna Groove (2006), en matière de rock tranquille, ça se pose là. De 1999 à 2006, l’artiste avait alterné ses réalisations, à un album acoustique succédait toujours un album plus électrique, et inversement. Depuis I’m The Anti-Pop (2007), Bjørn Berge semble s’épanouir dans un seul registre plus épuré, qui tend même vers le folk avec son dernier album opus Fretwork (2009). Peut être reviendra-t-il à des compositions électriques à l’avenir, mais de son propre aveu, le norvégien préfère jouer seul. Il est plus à l’aise et ça rapporte plus d’argent. Autant joindre l’utile à l’agréable !
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