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mercredi 15 avril 2015
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par La Pèdre le 29 octobre 2012
paru en janvier 1995 (Virgin France).
Ce qui est étonnant avec les Anglais, c’est qu’ils réussissent toujours à faire la synthèse des genres. Ainsi l’exemple d’Asian Dub Fondation, dont la reconnaissance stylistique durant les années 90 s’est vue ensuite condamner à l’indifférence, arc-boutant des pratiques modernes vers un syncrétisme tendu. Le premier LP Facts and Fictions, entre jungle, rap, dub, punk, se dresse effectivement comme un insolent doigt d’honneur à la frilosité bourgeoise. L’élastique Witness vient d’entrée l’annoncer : le flow tassé et la scansion perçante de Master D frappent d’une martialité orientale, relayant percussions indiennes et ponts fulminants de guitare, sur fond de loops à ressort.
A.D.F. est d’abord un phénomène politique. On le sait, dans les années 50 la Grande-Bretagne connait une forte immigration indienne, pakistanaise et bangladaise à la suite du British Nationality Act de 1948. Un demi-siècle plus tard ce sont les enfants de ces immigrants qui montent le collectif en question, affirmant à rebours leur liberté identitaire ; A.D.F. est en quelque sorte le revers de l’impérialisme culturel britannique.
Le discours alors immédiatement engagé noue, au-delà des considérations musicales, autant avec l’esprit punk des Clash qu’avec celui du rap moderne, au moment où l’un se trouve au point mort (John Lydon publie ses mémoires, année vierge pour Joe Strummer) et l’autre regagne une complaisance hédoniste (California Love de 2Pac, Gangsta’s Paradise de Coolio sortent en 1995). Ce discours se lit partout : Rebel Warrior est la transposition anglaise d’un poème bengali écrit par le révolutionnaire Kazi Nazrul Islam ; Strong Culture est une ode à la puissance diasporique de l’Asie, glissant quelques gouailles lyricales : « And you can tell I’m a fucking paki lover ! » ; jusqu’au nom du groupe, qui triomphe de sa sémantique ingénument institutionnelle et de la force symbolisatrice, et non simplement symbolique, de l’acronyme.
A l’instar de N.W.A., l’identité du collectif se veut suffisamment forte pour résister à la récupération bourgeoise, en évitant par ailleurs l’écueil parodique. A.D.F. offre une musique, tant dans le texte (combatif, militant) que dans la composition (moderne, syncrétique), « extrême ». Alors les lignes de Jericho, avec son superbe groove spatial, brulent :
We ain’t ethnic, exotic or eclectic
The only ’e’ we use is electric
An Asian background that’s what’s reflected
But this millitant vibe ain’t what you expected
With your liberal minds, you patronise our culture
Scanning the surface like vultures
With your tourist mentality
we’re still the natives
You multicultural but we’re anti-racist
Mais Facts and Fictions ne se limite pas à l’ardeur de son message, offrant par ailleurs des purs moments récréatifs : Journey, indo-dub mystique et pluvial, est un moment magique qui repart en son milieu vers un breakbeat cadencé ; Debris est un virulent morceau de jungle/drum and bass, genre alors très prisé outre-Manche ; Return to Jericho, remix cosmique de Jericho, s’écoute avec un délicieux plaisir recru, symbolisant davantage le chanvre que les drogues empathogènes.
Immédiatement testamentaire, tant il marque la récupération rageuse de genres pour les détruire sur le champ, Facts and Fiction dispose de cette dimension euphorique, on n’oserait dire poétique, qui est celle des premiers albums. L’aspect perfectible des morceaux ne vient que corroborer la révolte, faisant au contraire éclater l’audace de compositions ingénieuses et modernes. Plus aboutis, les prochains albums ne seront jamais aussi impétueux.
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