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par Emmanuel Chirache le 31 mai 2011
Paru le 2 mai (EMI)
Après quasiment trente ans de carrière derrière eux, les Beastie Boys sont devenus une institution. Quand on y pense, difficile de trouver un autre groupe de rap qui a connu une telle longévité... non, on ne trouve pas. Au-delà de ce record à vérifier, les Beastie Boys auront tout fait, tout réussi : premier groupe de rap à hisser un album en tête des charts, Licensed To Ill, ils ont aussi révolutionné le genre avec Paul’s Boutique, puis réalisé une longue série de tubes ainsi qu’un clip mémorable, celui de Sabotage. Aujourd’hui, tout le monde les aime et les vénère, comme en témoigne l’immense attente autour de ce Hot Sauce Committee Part Two, mais aussi les critiques dithyrambiques qui l’accompagnent un peu partout, sans oublier ce petit vent de branchitude qui s’exprime par exemple quand Le Grand Journal de Canal + récupère le dernier single du groupe en générique. Mieux encore, leur retour savamment orchestré par une longue vidéo de trente minutes avec la crème des acteurs branchés d’Hollywood démontre combien ces quarantenaires nés durant la Beatlemania ont compris le business. Un peu d’autodérision, du bon son, des amis prêts à rendre service... et le tour est joué. Ce moyen métrage, conçu comme la suite du clip mythique de Fight For Your Right, vaut indéniablement le visionnage, en dépit d’une longueur un peu excessive. En fait, il est si efficace, que l’album pâtit presque de la comparaison.
Par ailleurs, le film lui-même met en scène la difficulté pour un groupe vieillissant de se renouveler. En opposant les Beastie Boys du passé et les Beastie Boys du futur (mais qui sont dans la droite lignée de ceux qu’ils étaient plus jeunes, c’est-à-dire des Beastie Boys qui n’auraient pas évolué), le groupe donne à montrer la trajectoire qu’il aurait pu prendre, la mauvaise (les ridicules Jack Black, Will Ferrell et John C. Reilly) et celle qu’il a vraiment prise, la bonne, incarnée par l’existence du film, celle de l’autodérision et du nouvel album. Au milieu de ce champ des possibles, les B-Boys auraient donc fait tous les bons choix. D’une certaine façon, c’est vrai. Dans la mesure où leur succès et leur notoriété perdurent de manière exceptionnelle dans le monde du rap, on ne peut que louer les décisions qu’ils ont prises au fil de leur carrière. En revanche, on est plus sceptique sur leur véritable capacité à désormais se renouveler. Car le disque n’apporte pas grand chose à leur grand œuvre, si ce n’est une suite de chansons sympathiques.
Sans être déçus totalement, on constate toutefois une propension chez MCA, Ad-Rock et Mike D à ne pas rendre de copie propre. Il y a toujours, ou presque, du déchet dans un disque des Beastie Boys, des morceaux dispensables, des redites ou des intermèdes peu engageants. Sans doute est-ce le lot de tous les groupes, mais quand on appartient à la caste fermée des meilleurs d’entre tous, cela fait un peu tâche. Au final, la verve des hits d’autrefois faisaient bien vite oublier les passages un peu gênants et l’album trouvait sa raison d’être dans ces moments d’éclat. Ici hélas, peu de tubes tangibles pour contrebalancer les faiblesses de l’album. Bien sûr, toute la critique a vanté l’aspect syncrétique de la musique, qui donnerait à l’auditeur une sensation de terrain connu, de juste milieu entre des racines retrouvées et l’audace neuve de mêler tous les sons d’avant dans un melting-pot éminemment moderne. Pour ma part, cette sensation a duré cinq ou six minutes chrono, alors que l’écoute a vite achoppé sur une lassitude qu’on pourrait expliquer à la fois par le manque de nouveauté et par la... mollesse du disque.
Oui, contrairement aux commentaires lus un peu partout, j’estime que ce Hot Sauce Committee Part Two est un peu mou du gland, comme emprunté. Pas très véloce, pas toujours fluide, pas très puissant, et c’est un comble pour des types qui ont fracassé les oreilles de toute la planète avec des bombes comme Sure Shot, Pass The Mic ou Egg Man. Les titres les plus excitants du disque, tel que Make Some Noise, OK, Crazy Ass Shit et surtout Too Many Rappers avec Nas, semblent eux-mêmes manquer de folie. Présentés comme les rois de l’impertinence par les médias, les Beasties nous offrent à la réflexion un rap assez convenu, le même esprit punk déversé dans un flow taquin qu’ils ont toujours cultivé avec des degrés de variation plus ou moins grands selon les époques. Mais quand on s’est pris durant les années 2000 les géniaux Puppetmastaz dans la gueule, quand récemment un groupe moyen comme The Death Set peut menacer les Beastie Boys sur leur propre terrain hystérique avec le single Slap Slap Slap Pound Up Down Snap, on se demande si les trois new-yorkais ont encore suffisamment de flèches dans leur carquois pour mettre dans le mille.
Qu’on se rassure, certaines chansons s’écoutent avec plaisir, et Tania Bruna-Russo du Grand Journal est certainement une immense fan, au point peut-être, on ne sait pas, d’en avoir fait le son du jour de l’émission... Cependant, pour aimable qu’apparaisse ce nouvel album, qui contient ses bons moments, difficile de l’aimer, de l’adorer, de le vénérer, difficile presque de l’écouter. A la musique des Beastie Boys on préfère désormais le mythe, l’image, la dérision. Peu importe finalement si la musique est bonne, puisqu’elle est d’office adoubée par médias et fans, tous aveuglés par l’aura énorme et indéniable du groupe, qui n’a plus qu’à la cultiver par d’amusantes vidéos dans lesquelles Will Ferrel peut se contenter d’esquisser des mouvements de breakdance pour les rendre immédiatement cultes. Les Boys ont par conséquent réussi à réinvestir dans le champ esthétique l’énorme capital qu’ils ont accumulé d’abord dans la musique puis en dehors, capital de sympathie, de crédibilité et de légitimité acquis dans la sphère médiatique. Loin de nous l’idée de crier au scandale, puisqu’ils l’ont mérité. En revanche, l’album ne fera pas les beaux jours de ma platine, qui réclame déjà du Puppetmastaz pour se réconforter.
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