Films, DVD
I'm Still Here - The Lost Year of Joaquin Phoenix

I’m Still Here - The Lost Year of Joaquin Phoenix

par Gilles Roland le 6 décembre 2011

4,5

En 2008, alors qu’il vient d’achever le tournage de Two Lovers, Joaquin Phoenix annonce aux médias qu’il désire mettre un terme à sa carrière d’acteur, pour se reconvertir dans le hip-hop. Son beau-frère, l’acteur Casey Affleck, décide de filmer cette transition pour le moins inattendue. Sa caméra captera les méandres de la dépression de Phoenix, ainsi que ses difficultés à imposer au monde ce qu’il considère comme sa vraie personnalité...

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

C’est désormais certain : Joaquin Phoenix n’a pas pris sa retraite et compte bien poursuivre sa brillante carrière d’acteur. I’m Still Here n’est donc pas un documentaire, mais bel et bien une fiction. Dans le milieu, on appelle ça un mockumentaire, c’est à dire, un film tourné à la manière d’un documentaire, mais où toutes les scènes sont écrites. Et si le film pouvait paraitre hallucinant dans le cas d’une véracité avérée, il l’est davantage maintenant que l’ambiguïté est levée.

De mémoire de cinéphile, jamais (ou presque) à Hollywood, un acteur ne s’était mis autant en danger que Phoenix dans I’m Still Here. Complétement investi dans un rôle, qui peut s’entrevoir comme une version alternative de lui-même, l’acteur part à la dérive, suivant une ambition, jugée par tous comme non seulement déraisonnable, mais aussi et surtout complètement surréaliste. Dès les premières scènes, Phoenix apparait comme une homme fatigué. Fatigué du cirque qui entoure le métier de comédien et fatigué de la superficialité que lui et ses confrères peuvent renvoyer dans les médias. Bien décidé à s’affranchir de ce qu’il considère comme une vaste supercherie, Phoenix prend son monde à revers et compose un album de rap. Pour enregistrer son disque, il se rapproche de Puff Daddy, seul producteur potentiel disponible, et commence à réaliser que sa quête risque d’être longue et pénible. Un acteur qui passe au rap donc, mais qui, au fond, est le héros d’une fiction sauvagement rock et punk.

Avec I’m Still Here, Casey Affleck infiltre la mafia d’Hollywood. Joaquin Phoenix et lui soulignent une mécanique impitoyable qui à tendance à broyer les dissidents en tuant dans l’œuf toute tentative trop zélée de défendre un projet un peu trop personnel et hors norme. De plus, le film se pose comme le récit d’une dépression. Relation de cause à effet ou pas, Joaquin Phoenix est dépressif (enfin son personnage... quoi que... la décision de tourner un pareil truc peut-elle vraiment émaner d’un homme sain d’esprit ?) et cet état se traduit par une attitude ultra borderline accompagnée d’un changement notable de physique. Celui qui fût de tout temps considéré comme un beau gosse ténébreux casse le mythe comme jamais et sa déconstruction de reléguer les tentatives de ses pairs (Brad Pitt et cie), à de petites encartages inoffensives.
On assiste donc à des scènes incroyables, qui font plus qu’émailler l’image d’une icône en perdition. Quitte d’ailleurs à lorgner parfois du côté de Jackass (Une filiation à prendre néanmoins avec des pincettes, tant l’état d’esprit du film d’Affleck est éloigné de celui de la bande à Johnny Knoxville).

Si I’m Still Here présente alors deux ou trois points communs avec Jackass, il se démarque surtout par son incroyable capacité à dégager une poésie, parfois terrifiante de lyrisme. Difficile de rester de marbre devant les élucubrations d’un homme en proie au doute, qui ne cesse de se flinguer publiquement. Certaines scènes sont en cela édifiantes à l’image de la conclusion, sorte de retour à la nature à la Into The Wild. Une métaphore contemplative en quelque sorte.

Pour autant, il serait dommage de ne pas souligner le caractère comique du film. Immanquablement, certaines séquences provoquent l’hilarité. La confrontation avec un Ben Stiller atterré en fait partie, tout comme celle qui voit Phoenix rencontrer pour la première fois un Puff Daddy plus pédant que jamais.

Tragi-comique, I’m Still Here joue ainsi sur plusieurs tableaux, tourne le dos aux conventions et livre un spectacle incroyable. On peut trouver cela ennuyeux, vain ou trop long, mais pourtant, ce mockumentaire est indispensable. Il passe de l’autre côté du miroir, pénètre un monde protégé par les strass et verse dans un scandale tellement pensé et fabriqué, qu’il en devient plus authentique que tous les prétendus clashs et autres outrages à la bien-séance qui fleurissent dans les journaux à scandales tous les jours. A tel point qu’il serait tentant de dire que Phoenix ne fait pas semblant quand il taille dans le bifteck, alors qu’en fait c’est précisément ce qu’il fait. En cela et pour tout un tas d’autres raisons, ce film est le film d’une vie. Une œuvre psychologiquement intense, terriblement subversive et, je le répète, réellement touchante. Après un truc pareil, tous ceux qui ont vu le film ne percevront plus l’acteur de la même manière. Il y a fort à parier que l’industrie du cinéma en fasse autant après une telle mise en abime.
Veuillez également noter que la qualité du hip-hop de Joaquin ne rentre pas en ligne de compte car, tout compte fait, il n’est pas plus pathétique que n’importe quel brûlot pris au hasard dans le flot ininterrompu des pseudos tubes balancés par des artistes estampillés rap, que ce soit chez nous ou de l’autre côté de l’Atlantique.

Aussi remarquable soit-il, I’m Still Here reste un film difficile à défendre. Beaucoup ne verront (ou ne voudront voir) que les tribulations soporifiques d’un acteur à la ramasse. D’autres retiendront la coke, les prostitués et les blagues scatos. Enfin, il est possible qu’une partie de ceux qui verront le film ne retiennent rien. Oui, I’m Still Here est une œuvre difficile d’accès. Soit on se sent touché par le personnage et par l’exercice de style, soit non. C’est aussi simple que ça et c’est souvent comme ça dans le cas de films aussi personnels.
En soit, un trip à la Vincent Gallo (qui a choisi de réellement se flinguer en filmant une fellation non simulée dans Brown Bunny [1] et en se comportant comme le dernier des connards à peu près tout le temps. Ce qui le rend forcément intéressant), entre nihilisme et sensibilité écorchée, poésie et doigt d’honneur. A chacun de voir si midi est à sa porte.



[1Il semble établi que Gallo porte dans son film une prothèse. Prothèse qui semble moulée sur l’organe d’un âne plutôt bien doté.

Vos commentaires

  • Le 6 décembre 2011 à 11:43, par Duffman En réponse à : I’m Still Here - The Lost Year of Joaquin Phoenix

    J’avais bien aimé le film, par moment assez hallucinant, d’autres passages un peu plus vains. Le seul problème je trouve, c’est qu’au bout de 20-30 min on a tout compris et le film n’évolue plus tellement, si ce n’est par la déchéance progressive de Phoenix qu’on peut mesurer à la taille et à la saleté de sa barbe. Après, tout mensonger qu’il est, j’imagine qu’il vient d’un sentiment très sincère de ras-le-bol. Et la toute fin est assez jolie, comme s’il disait "maintenant, oubliez-moi".
  • Le 6 décembre 2011 à 12:13, par Gilles Roland En réponse à : I’m Still Here - The Lost Year of Joaquin Phoenix

    Oui en effet, le film a ce côté un peu vain. Pour autant, j’ai trouvé cette absence bordélique vraiment touchante. Pour moi, l’expérience est totale, pour ses défauts comme pour ses qualités.

Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom