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par Brice Tollemer le 24 novembre 2009
Paru le 13 septembre 1993 (Geffen)
« Le succès est la pire des choses qui me soit jamais arrivée. Rien de plus embarrassant que des gens qui se jettent sur vous en tremblotant et vous parlent comme à un putain de dieu. Ils me font pitié et beaucoup d’entre eux se conduisent de façon vraiment tordue. Tout le monde me dit que c’est inévitable mais quel choc pour moi au début ! Aujourd’hui, ça m’ennuie toujours de ne pas pouvoir marcher dans la rue sans qu’on me demande des autographes mais je m’habitue… ». Cette déclaration de Kurt Cobain en 1993 illustre parfaitement le malaise provoqué par l’onde de choc de Nevermind deux années auparavant. Une vague électrisante qui a tout emporté sur son passage. Et le groupe joue constamment sa survie…
Nous sommes à la fin de l’année 1992. La maison de disques de Nirvana essaie au maximum de profiter du succès du groupe pour remplir son tiroir-caisses. C’est ainsi que Bleach est réédité tandis que Geffen met en vente Incesticide, une compilation de démos du groupe et de faces B, sortis à l’époque chez Sub Pop. Cependant, pour éviter tout effet de saturation, Geffen limite au maximum la promotion de cet album ; aucun single et aucun clip ne voit donc le jour. Incesticide propose par ailleurs des anciennes compositions du groupe comme « Sliver » mais aussi des reprises du groupe écossais The Vaselines et de Devo. A côté de cela, le trio songe à enregistrer un nouvel album. Après avoir essuyé un refus de la part de Jack Endino, Kurt Cobain décide de faire appel à Steve Albini, qui a déjà produit, entre autres, Surfer Rosa des Pixies. « Aussi absurde que cela puisse paraître, raconte Albini, je n’étais pas familier de Nirvana. J’avais déjà entendu certains de leurs morceaux chez d’autres et je ne pensais pas qu’il s’agissait du meilleur groupe de cette génération. J’ai acheté leurs disques et je les ai écoutés. Ce qui n’a pas changé ma première impression. Nevermind est leur album le plus faible, mais aussi le moins représentatif du groupe tel que je l’ai connu. On retrouvait une intensité étrange dans tous leurs disques. Il y avait en outre une perversion subtile dans tout ce qui sortait de la bouche de Kurt qui me plaisait. Et Dave Grohl est un batteur immense, donc il était difficile d’imaginer un disque sur lequel il joue de la batterie qu’il ne serait pas intéressant d’écouter ».
Le producteur et le groupe se retrouvent donc ensemble à Cannon Falls, un petit village à côté de Minneapolis, dans le Minnesota et commencent les sessions d’enregistrement le 14 février 1993. L’état de forme de Kurt Cobain à cette époque est de plus en plus fragile et le tourbillon qui a entraîné le groupe après la sortie de Nevermind a laissé d’importantes séquelles. L’ambiance n’est pas à la franche rigolade, et le climat hivernal qui entoure le patelin qu’est Cannon Falls n’est pas fait pour arranger les choses. Les sessions d’enregistrement ne durent qu’une semaine et Albini mixe l’album en quelques jours. Au total, sur les quatorze jours initialement prévus au départ, le groupe n’en utilisera que douze. Le coût de réalisation de disque est alors minime, à peine douze mille dollars et Steve Albini refuse de toucher des royalties sur les futures ventes. Signe du malaise ambiant dans lequel baignait le chanteur de Nirvana, Kurt Cobain avait à un moment songé à appeler cet album I hate myself and I wanna die. L’idée de ce titre finalement trop explicite sera abandonnée. Ce nouveau disque s’intitulera In Utero. Il sortira à l’automne.
Le suicide, le vertige de la célébrité, l’acceptation nihiliste de la société, In Utero est là pour nous rappeler qu’en premier lieu, le grunge, c’est du mal-être permanent. « Serve The Servants » évoque les difficultés existentielles du succès. « Scentless Apprentice » est inspiré du roman Le Parfum, écrit par l’Allemand Patrick Süskind. Quant à « Heart-Shaped Box », il fait directement écho à la relation mouvementée et rageuse entre Cobain et Courtney Love. Tumultueuse mais aussi tendre, quand les deux amoureux s’échangeaient des boîtes en forme de cœur une année plus tôt. Si « Rape Me » sonne comme un ersatz de « Smells Like Teen Spirit », beaucoup plus intéressante est « Frances Farmer Will Have Her Revenge On Seattle » qui fait référence à une actrice hollywoodienne des années trente, qui passa plusieurs années au sein d’un hôpital psychiatrique. Enfin, si on devait choisir une chanson symbolique de ce In Utero, nul doute que « Pennyroyal Tea » ferait parfaitement l’affaire. Cette tisane dont il question dans le morceau aurait apparemment des vertus abortives, déclenchant de violentes contractions dans l’utérus…
L’accueil de l’album est plus ou moins mitigé. Il faut souligner que les responsables de Geffen n’avaient pas à l’origine apprécié le travail de Steve Albini, trouvant en résumé In Utero étouffé et brouillon. C’est pourquoi ils demandèrent à Scott Litt (le producteur d’Automatic For The People de R.E.M.) d’intervenir sur certaines chansons de l’album, comme « All Apologies » notamment… « Beaucoup de gens n’aiment pas le disque, y compris mes amis, déclare Cobain à cette époque. La production les assomme – Albini ne fait pas l’unanimité, même dans l’underground – ils s’attendaient à un son genre Nevermind…Moi je n’ai jamais redouté aucune sorte d’échec. Si cet album se vend quatre fois moins que le précédent, beaucoup de gens le prendront comme un échec, mais pas moi. En fait j’aurais préféré que Nirvana reste confidentiel : les groupes cultes ont une vie très équilibrée, et ils sont presque assurés de vendre à chaque fois le même nombre de disques aux mêmes gens ».
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