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mercredi 15 avril 2015
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par Psychedd le 14 février 2006
paru le 27 juillet 1969 (EMI)
Imaginons... 1969.
Les hippies vivent leurs derniers instants de paix et d’amour à Woodstock. L’homme pose pour la première fois un pied sur la Lune. Pink Floyd s’envoie aussi en l’air pour atteindre les hautes sphères du monde musical. Il a fallu en prendre de l’élan pour sortir de l’underground, trop fermé au goût des membres du groupe. Il a fallu en avoir du courage pour se reconstruire après le départ de Syd Barrett.
Se reconstruire et se réinventer. Nul doute que nos quatre lascars se débrouillent plutôt bien. Le psychédélisme débridé a peu à peu fait place à une musique qui s’intellectualise. Fermez les yeux et laissez vous porter, les sens en éveil, le cerveau toujours prêt à réagir aux stimuli que l’on vous propose. Hé oui, 69, c’est ça... On pensera bien sûr à Ummagumma, mais 1969, c’est aussi l’année de la sortie d’un petit bijou, d’une petite perle sur le parcours du Floyd. Toujours partant pour une nouvelle aventure semble-t-il...
Car fin 1968, le groupe, qui commence à devenir le chouchou des intellectuels parisiens, est contacté par Barbet Schroeder qui leur demande de composer un petit quelque chose pour son film à venir. En pleine genèse d’un Ummagumma expérimental à souhait, les vannes créatives semblent être totalement ouvertes. Surtout celles de Roger Waters, grand échalas imberbe et bassiste de son état, qui commence à révéler un sacré talent dans l’écriture de textes, tandis que David Gilmour, qui s’habitue pour de bon à son emploi de guitariste à plein temps pour cette troupe d’architectes allumés, commence à former un duo musical imparable avec Rick Wright. Le son Pink Floyd s’affine.
Et le son Pink Floyd va passer par cette bande originale du film More. Déroutante, possédant un charme particulier, insaisissable, la musique que le groupe compose à cette occasion, ne ressemble pas vraiment à ce que l’on a l’habitude d’entendre d’eux, mais annonce malgré tout l’évolution à venir. Ce n’est pas un simple accident de parcours, un simple divertissement. Pink Floyd met le meilleur de lui-même dans ce disque, explorateur d’ambiances, créateur de sensations, du rire aux larmes. Tout ça, pour un disque écrit en quoi ? Une semaine ? Une semaine durant laquelle le groupe découvre un film déjà presque achevé et doit s’imprégner à toute vitesse des quelques séquences qu’il doit sonoriser. On imagine que cette semaine n’a pas dû être de tout repos...
Premier impératif pour aller vite, beaucoup d’acoustique. Mais de l’acoustique lambda, non. Sans une bonne couche de recherche sonore, où serait le charme de la chose ? Le groupe a beau enregistrer à fond la caisse, la qualité ne doit surtout pas en pâtir. Nick Mason se souvient : « Comme aucun budget ne prévoyait un studio de synchronisation, nous nous sommes simplement rendus dans un studio de projection et nous avons calibré les séquences à l’aide d’un chronomètre - étonnante la précision de cet instrument ! Ensuite, nous avons procédé au montage aux studios Pye, à Marble Arch, avec l’aide de leur excellent ingénieur du son, Brian Humphries ». On en vient à se demander s’ils dormaient la nuit...
Il n’empêche que les délais sont respectés, au grand bonheur de Schroeder. À son grand dam aussi. Car le résultat est tellement au-delà de ses espérances qu’il déclare avoir « dû baisser le volume de la musique. Sa qualité « tuait » littéralement certaines scènes ». Il n’empêche que le groupe a tout de même trouvé le moyen de changer les paroles entre celles du disque et celles du film. Quand et comment ? Aucune idée... Mais il est vrai qu’au visionnage de More, il faut faire attention à ne pas trop laisser traîner ses oreilles, le film devenant alors dur à suivre !
Et c’est à ce moment que les compliments pleuvent : le résultat est tout bonnement prodigieux.
D’ailleurs, même pas besoin de voir le film... Le disque écouté seul se suffit à lui-même. Il possède sa propre vie, raconte sa propre histoire (du moins celle que l’on se raconte en l’écoutant). Les paroles sont inspirées du film, certes, mais elles ne sont en aucun cas purement descriptives de l’action. Elles sont là pour l’ambiance, pour l’atmosphère. La platine tourne. La première face n’attend plus que nous. Le bras descend doucement. Le disque crépite. Le voyage commence...
Nous voilà accueillis par les chants d’oiseaux de Cirrus Minor. Douceur, on s’imagine le soleil qui nous chauffe doucement le visage. Puis, la guitare acoustique égrène ses arpèges tandis qu’un orgue pose une nappe qui nous entoure, rassurante et menaçante à la fois. Tout est cotonneux et l’on se sent bien jusqu’à ce que l’orgue prenne définitivement le dessus et nous procure des frissons car Wright possède l’un des plus beaux sons de claviers qui puissent exister, chaud et toujours très « organique » (pas du Bontempi quoi...). De ses doigts, sortent des notes capables de vous plonger dans tous les états, de la pure béatitude à la pure terreur.
Tout au long du disque, Gilmour fait une prestation vocale sans faute, passant des intonations les plus calmes aux plus énervées. Démonstration faite avec un enchaînement qui crée une grosse surprise. On est soudain tiré de sa torpeur par The Nile Song. La plus belle preuve que Pink Floyd, ce n’est pas que du tout mou enrobé dans du coton. Car on frôle presque le hard (si, si !), la guitare nous balance un son bien crade... Mange-toi ça dans ta tête, toi qui t’endors dès la première chanson ! Un bel et unique exemple. Et heureusement qu’il est unique, car oui, un Pink Floyd qui n’est pas tout mou n’est pas vraiment du Pink Floyd. On se moque, on se moque. Mais le calme extrême de ces ambiances n’est pas là pour exprimer un grand vide où l’on se laisse tomber, trop détendu par une écoute intensive. The Crying Song en est un bon exemple : toujours garder son esprit en éveil, car même si cela paraît bien simple ou très lent, il y a toujours un détail à percevoir, une petite note de piano ou un solo de guitare qui surgit et qui révèle bien des merveilles d’harmonies et de feeling à l’état pur.
L’ensemble de cette première face est composé de ces petites chansons, à l’exception de Up The Khyber, dont la batterie rappelle un peu une des parties de A Saucerful Of Secrets, tandis que l’orgue, un peu jazzy, un peu contemporain mais surtout complètement barré vient ajouter cette touche purement floydienne, si caractéristique de Wright (on pourrait croire qu’il tape au hasard alors que tout est calculé à la note près), ainsi que de Party Sequence instrumental de percussions presque tribales, relevé d’une flûte jouée par la femme de Nick Mason. Flûte que l’on retrouve dans Green Is The Colour, l’une des plus belles compositions du groupe. Calme et aérienne, toujours portée par la voix de Gilmour qui fait décidément des miracles. Une telle réussite, que la chanson va aussitôt être ajoutée au répertoire scénique du groupe, au même titre que Cymbaline, qui la suit de près et entraîne l’auditeur d’un petit instant de bonheur à une ambiance bien plus pesante, aidée par des paroles presque surréalistes, dont les sonorités sont si particulières qu’elles prennent une dimension purement musicale, remplies d’images frappantes (A butterfly with broken wings is falling by your side...), témoignant déjà de l’inclination future de Waters pour exprimer ses propres angoisses et ses propres visions au travers de ses morceaux (Will the final couplet rhyme).
Party Sequence vient achever cette première face, un peu étrangement certes, mais ça a le mérite d’éveiller la curiosité. De quoi va être faite la suite ?
Hé bien, c’est malheureux à dire, mais le deuxième face du disque n’est pas la plus réussie et semble servir à mettre les morceaux presque anecdotiques qui n’ont que le rôle d’illustration sonore au film. Mais pas toutes, ne soyons pas mauvaise langue trop vite.
Car que dire de Main Theme qui ouvre cette deuxième partie au son du gong, affectionné par les Floyd à cette époque et d’un clavier qui n’annonce pas la montée vers le paradis ? Car en bon morceau d’ouverture à un film pas franchement gai, ils ont plutôt bien fait les garçons ! Envoûtant, un peu arabisant (c’est hélas un gimmick souvent récupéré par les claviéristes de l’époque), l’ensemble est traversé de petites interventions de guitare qui complètent, relèvent l’orgue et semblent flotter au dessus de l’ensemble, comme purement détachées.
Ca se gâte un peu après, avec Ibiza Bar, resucée de The Nile Song, avec une légère modification au niveau du refrain. Pas vraiment essentielle, elle paraît même plus molle que sa grande sœur de la face une. Et elle s’enchaîne sur More Blues, qui comme son titre l’indique, est un blues... Techniquement, rien à redire, c’est bien joué, le son est toujours là, bien que trop d’écho tue l’écho. Mais était-elle vraiment utile ? Quand on parlait plus haut de terreur, voilà ce que l’on peut ressentir à l’écoute de Quicksilver, morceau un peu bruitiste, très étrange. Le genre de composition que l’on colle sur un mauvais trip de drogue, force gong à l’appui (ça met la pression), des notes d’orgue sorties de nulle part. Du Floyd expérimental en somme, celui de l’album précédent (A Saucerful Of Secrets) et de celui à venir (Ummagumma). Pas top niveau good vaïbrècheunes, à la limite de l’écoutable quand on a du mal avec la musique quelque peu déstructurée, mais reflétant malgré tout l’audace du groupe, toujours prompt à tripatouiller ses instruments et voir ce que ça peut donner...
Vient ensuite un morceau fort... inutile, mais rigolo de Gilmour A Spanish Piece, qui, vous l’aurez deviné, est conçu dans le style espagnol. C’est d’ailleurs tellement inutile comme morceau que son propre créateur va gentiment déclarer : « Je ne connais pas de guitariste qui ne sache pas faire des trucs de merde comme cette musique espagnole ». Au nom de tous les apprentis guitaristes, merci David...
L’album s’achève heureusement sur Dramatic Theme qui sauve un peu l’ensemble, tout en reprenant une bonne partie de la seconde face : ça fait peur, la basse est assez oppressante, on retrouve un aspect bluesy dans la guitare, le son est quand même bien bidouillé dans une pure tradition floydienne et l’ensemble tourne plutôt bien.
Il n’empêche... Quel dommage que tout le disque ne soit pas du calibre de la première face qui possède bon nombre de pépites d’autant plus précieuses qu’elles vont aider le Floyd à se trouver, car on ne le répètera jamais assez, ce disque n’est pas qu’anecdotique. Il arrive à condenser tout ce que sait faire le groupe, audace expérimentale, chansons plus « traditionnelles », recherche constante du son qui n’en est pas encore à son paroxysme, manque de technologie avancée oblige.
Mais c’est quand même fort. Pink Floyd fourni l’une des meilleures B.O.F qui puisse exister, arrive à faire perdurer ce disque dans le temps, tandis que le film lui-même a eu une nette tendance à être oublié et en plus, ils fournissent la bande-son de nos rêves et de notre imagination. It’s High Time...
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