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mercredi 15 avril 2015
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par Béatrice le 29 mai 2006
paru le 24 janvier 2006 (Team Love / Rough Trade)
On pourrait se demander ce qui a pu pousser Jenny Lewis, la rousse chanteuse du groupe Rilo Kiley, à se lancer dans une aventure en solitaire au moment même où son groupe connaît un succès grandissant. Que les fans se rassurent, il n’est aucunement question d’un quelconque split du groupe. Simplement, dans le milieu musical indépendant américain, la plupart du temps, quand un musicien se pique d’aller jouer tout seul, ou avec d’autres que ses comparses habituels, eh bien, il le fait. Et il se trouve qu’entre une tournée et une session d’enregistrement avec son groupe, Jenny Lewis arrive à trouver du temps pour elle-même, suffisamment en tout cas pour avoir accumulé une jolie collection de folksongs délicates et acidulées - sans pour autant avoir songé à les enregistrer et les publier.
Mais c’était compter sans l’insistance d’un certain Conor Oberst, qui quand il ne se consacre pas corps et âme à écrire et jouer sous le nom de Bright Eyes, a une fâcheuse tendance à traîner avec tout ce qui en Amérique est doué de talent musical. Et qui a eu la bonne idée, il y a quelques années , de mettre ce don fort pratique à profit en créant son propre label, Team Love, persuadant au passage Jenny de s’atteler à l’enregistrement d’un album solo qu’il se ferait un plaisir de publier. Le moins que l’on puisse faire est de remercier le jeune homme pour cette initiative.
Jenny Lewis s’est donc entourée des Watson Twins, deux jumelles dotées de voix impressionnantes, ainsi que d’une flopée d’autres musiciens tout aussi talentueux tels que Matt Ward, Benjamin Gibbard (Death Cab For Cutie), Jason Boesel (Rilo Kiley) ou Mike Mogis (Bright Eyes), et s’est attelée à la tâche, gravant 12 pistes calmes, douces et réconfortantes. Portées tout du long par sa voix angélique, les chansons se déroulent, ni vraiment mélancoliques ni complétement joyeuses, mais encourageant toutes à se lover confortablement dans les mélodies, et se révélant de plus en plus attachantes au fil des écoutes.
L’album s’ouvre comme il s’achève, sur quelques mots chantés a cappella, qui font comprendre pourquoi Jenny Lewis qualifie son album "d’une espèce de soul". Entre les deux, elle tisse un joyeux canevas de chansons apaisantes et colorées, aux textes teintés d’absurde, en alternant morceaux entraînants et titres calmes. Difficile de ne pas être enchanté par le délicieusement sixties Rise Up With Fists !! (dont le clip ressuscite les plus beaux clichés hippies), par le charme paisible de Happy, ou encore par les paroles étranges de The Charging Sky, qui parle en vrac de communistes, d’évangélistes et de la barbe de Bob Dylan. Et puis il y a aussi la douceur de Melt Your Heart, la poésie résignée de You Are What You Love et son drôle d’adage "You are what you love and not what loves you back" ("Tu est ce que tu aimes et non pas ce qui t’aime en retour."), l’innocence naïve de It Wasn’t Me, l’histoire cruelle de Rabbit Fur Coat, chantée avec une impertinente désinvolture et évoquant par instants Regina Spektor, les envolées mélancoliques de Born Secular... Et toujours ces voix d’une parfaite justesse et en parfaite harmonie, doublées d’une maîtrise instrumentale impeccable.
Et comme si tout ça ne suffisait pas, Jenny Lewis se paye le luxe d’une reprise de Handle With Care des Traveling Wilburys (ce qui, en soi, n’est déjà pas rien, quand on sait que cela revient à s’atteler à un morceau crédité Harrison/Dylan/Lynne/Petty/Orbison), sur laquelle elle se charge des parties chantées à l’origine par George Harrison, alors que Benjamin Gibbard, M Ward et Conor Oberst remplacent respectivement Jeff Lynne, Roy Orbison et Bob Dylan (ce qui, force est de le reconnaître, est encore moins rien). Inutile de préciser que l’exercice de la reprise est ici réussi avec brio, c’est le huitième titre de l’album, on commence donc à s’habituer à l’absence insolente du moindre faux pas, et puis il eut été difficile de faire du mauvais avec une telle chanson et un tel entourage.
Et donc... et donc, il est difficile de conclure autrement qu’en disant qu’il s’agit d’un excellent album qui se savoure comme une friandise, et qui, comme tous les excellents albums, vieillit tellement bien qu’à chaque écoute on l’aime un peu plus et on est un peu plus convaincu de sa perfection. On aurait presque envie d’écrire qu’on a enfin trouvé la perle rare, l’album parfait pour les dimanches matins pluvieux ou pas, si seulement il n’était fortement recommandé d’écouter aussi ce joyaux le lundi après-midi, le mardi soir, le mercredi midi, le jeudi en fin de matinée, le vendredi à l’aube et le samedi au crépuscule.
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