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par Emmanuel Chirache le 17 février 2009
Paru en 1966 (AZ/Universal)
Pendant que ses petits copains de chez Salut massacraient gaiement le répertoire de la British Invasion, les hits de Chuck Berry, Elvis Presley ou Ray Charles, les tubes de la Motown et les standards folk, Michel Polnareff envoyait à vingt-deux ans à peine et à lui tout seul un magistral coup de pied dans les roustons des préjugés anglo-saxons sur le rock français. Avec sa tête de Françoise Sagan et ses lunettes d’Elton John, ce gringalet boursouflé de complexes allait balayer ceux de tout l’hexagone en matière de musique pop. Chansons, textes, talent, attitude, Polnareff avait tout pour lui et il le démontra avec une insolente réussite dès son premier album paru en 1966. Une année qui voit dans le même temps Jacques Dutronc sortir son mythique éponyme (avec Les Play-boys, Les Cactus, Et moi, et moi, et moi), et Antoine choquer le bourgeois grâce à ses Elucubrations. Pendant ce temps, Serge Gainsbourg payait ses impôts en écrivant pour Sacha Distel, Petula Clark et France Gall. Bref, il se passait bien quelque chose dans le royaume de France à cette époque.
Né d’un père musicien et d’une mère danseuse, Michel Polnareff apprend le piano à l’âge où d’autres apprennent le pot. Sa maîtrise de l’instrument va rapidement tutoyer les sommets, même si c’est la grosse caisse de l’orchestre qu’il tiendra durant son service militaire... une image qui devait valoir le détour. A dix-neuf ans, le jeune bachelier travaille dans une banque (là aussi, il faut l’imaginer en train de refourguer des subprimes à Mme Pinchard...), puis décide de tout quitter pour faire le beatnick sur la butte Montmartre. Comme il n’a pas encore son physique de bodybuildeur actuel, le chanteur troque alors son piano contre une guitare, plus pratique à manier sur les marches du Sacré-Cœur. En 1965, il remporte le premier prix d’un concours rock organisé à la Locomotive et refuse son trophée, qui n’est rien d’autre qu’un contrat avec Barclay ! Par le biais d’un ami d’enfance, il rencontre ensuite Lucien Morisse, le directeur des programmes d’Europe 1, grâce auquel Polnareff s’engage chez AZ et signe son premier 45 tours : La poupée qui fait non. C’est le début d’une collaboration fructueuse, puisque Morisse deviendra le manager de la star jusqu’à son suicide en 1970 [1].
On a beaucoup glosé sur l’idée de génie qu’aurait eu Polnareff en décidant de faire produire son premier disque à Londres et en exigeant la présence de Jimmy Page et John Paul Jones. En réalité, c’est davantage le culot qu’il faut retenir que l’idée en elle-même, dans la mesure où d’autres avant lui avaient déjà eu le bon goût d’aller travailler chez des Anglais dont l’excellente réputation en la matière n’était plus à faire. Depuis 1963, un certain Eddy Mitchell enregistrait par exemple ses disques au studio Pye de Londres avec le fameux Jimmy Page en session man sur certains titres. Pourtant, Love Me Please Love Me est incomparablement supérieur aux 33 tours - parfois sympathiques - de celui qu’on surnomme aussi Schmoll, preuve que la différence entre Polnareff et ses contemporains tient plus dans la qualité de ses compositions que dans la production, certes excellente, de sa musique.
Car ce disque marque avant tout l’éclosion resplendissante d’un auteur-interprète surdoué, d’un artiste capable de réaliser des tubes à la fois populaires et de qualité. Mille fois entendues, des chansons telles que La poupée qui fait non, Love Me, Please Love Me ou L’amour avec toi méritent d’être écoutées d’une oreille nouvelle. Déluge de cordes, cascade de piano (voir l’intro mythique de Love Me, Please Love Me), mélodies parfaites, guitares vibrionnantes, tout indique que le folk-rock américain a trouvé dans Polnareff sa sublimation à la française. Car le chanteur et sa voix de fausset caractéristique reste vocalement fidèle à une forme de chanson bien de chez nous, tout en l’amalgamant au meilleur de la pop anglo-saxonne du point de vue musical. Ce que Polnareff a repris aux Américains et aux Anglais, c’est notamment cet amour de la guitare que peu de Français ont maniée avec autant d’élégance, à l’image des arpèges délicats de Sous quelle étoile suis-je né ?, une pure merveille qui ne ressemble ni complètement aux Mamas & Papas d’un côté, ni à Charles Trenet de l’autre. En fait, tout l’album est construit autour de la guitare, et non du piano comme ce sera le cas plus tard, résultat des longues heures passées à gratter au pied des touristes de la butte.
Symbole de cette posture folkeuse, le titre envoûtant Ballade pour toi captive par la simple force du chant de Polnareff accompagné par des accords splendides qui ne sont pas sans évoquer le meilleur Neil Young. Plus langoureuse, Histoire de cœur tourne aussi habilement autour de la guitare, tandis que La poupée qui fait non est un coup de génie mélodique qui vaut à elle seule une gloire durable à son auteur. Autre signe de l’influence anglo-saxonne sur Polnareff, deux titres ont été écrits en anglais par Keith Reid des Procol Harum : l’excellent et psychédélique Time Will Tell, ainsi que You’ll Be on My Mind, décalque gentillet du Not Fade Away de Buddy Holly remixé par les Stones en 1964. A chaque fois, la voix de Polnareff imprime sa signature unique, faite de maîtrise technique et de romantisme échevelé tout ensemble. Bien sûr, le chanteur escalade avec brio les hauteurs aiguës de la gamme pendant les refrains, cependant il ne faudrait pas oublier combien il sait utiliser sa voix de façon plus traditionnelle durant les couplets.
Le dernier aspect particulièrement révolutionnaire de Love Me, Please Love Me tient aux paroles des chansons, qui font passer les textes habituels des variétés pour des bluettes de communiantes. Amant tantôt éploré (Histoire de cœur, Love Me, Please Love Me), tantôt lascif (L’Amour avec toi), le chanteur n’hésite pas à mettre ses pulsions sexuelles en musique, ce qui vaudra une interdiction de diffusion sur les ondes avant 22h à L’Amour avec toi pour ces mots :
Moi je me fous de la sociétéEt de sa prétendue moralitéJ’aimerais simplement faire l’amour avec toi
On appréciera également l’évocation de la vie de bohème dans L’Oiseau de nuit, réminiscences grandiloquentes et grandioses des mois que l’artiste a passé à errer dans les rues.
Je me vois marcher la faim au ventreDans la rue qui sent déjà l’hiverParmi tous ces inconnus qui rentrentRetrouver la femme et le couvert
En composant son propre répertoire, en imposant un personnage à l’identité sexuelle trouble, en parlant sans hypocrisie des rapports humains, en signant une musique à la beauté virtuose et à la sensibilité intense, Michel Polnareff réussit dès ses débuts là où tous les yéyés avaient échoué avant lui. Il fait du rock français, du rock mâtiné de folk, de pop et de chanson française. Sans oublier cette guitare acoustique virevoltante qui rythme de son fracas toutes les pépites de ce disque et qu’on ne retrouvera presque plus jamais avec autant de joie dans la musique française.
[1] Polnareff composera d’ailleurs Qui a tué grand-maman en hommage à Lucien Morisse
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