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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 13 octobre 2008
paru le 8 septembre 2008 (Thrill Jockey)
"Chers Fiery Furnaces,
Permettez-moi de vous aborder au sujet de votre dernière parution, Remember. Au cas où vous l’auriez déjà oublié, étant donné votre cadence de publication infernale, il s’agit d’un double album live, sorti début septembre. Avec 51 titres ! Vous, les Fiery Furnaces, vous faites les choses en grand. On ne peut guère vous le reprocher. Bref, qu’ai-je de si important à vous dire à propos de Remember ? J’ose à peine être franc... La vérité est que cet album est inécoutable. Oui, purement inécoutable.
Je le précise d’emblée, je suis très friand de votre pop expérimentale et tarabiscotée. D’ailleurs, il m’est difficile de catégoriser votre musique de manière satisfaisante. Vous avez réussi à créer votre petit univers, c’est ce qui vous rend si estimable. Premièrement, vous vous moquez des lois de la chronologie. Dans vos albums, les refrains n’existent presque pas : je parlerai plutôt de thèmes. Fragments de mélodies, irradiantes et singulières, que vous explosez si l’envie vous en prend. À la suite, vous pouvez introduire des parcelles abstraites, electro, rock garage, progressif, puis tout aussi vite sauter à pieds joints dans une nouvelle poussée de pop insouciante... Mais quel présomptueux je fais, moi qui tente de schématiser face à vous ce registre que vous assurez avec brio !
Vous tenez en moi un appréciateur assez tenace, chers Eleanor et Matthew Friedberger. J’ai été jusqu’à vous suivre dans votre délirante entreprise qu’est Rehearsing My Choir, rendez-vous compte ! Oui, j’ai été fasciné par ce geste qu’on peut considérer comme le plus anti-rock’n’roll de ces dernières années (il aurait dû servir de pôle de réflexion au courrier des lecteurs Rock & Folk) : enregistrer un album avec sa grand-mère. Vous n’aviez pas honte de mettre en avant la voix fièrement maladroite de votre mamie ; bien plus, d’organiser le disque autour du récit fantasmé de sa vie. Et pourtant, quelle poésie s’en dégageait... Dérangée, je vous l’accorde. Quoique aussi, une grâce étrange. Bref, je vous ai suivi jusque là. Je m’arrête à présent, face à Remember.
Ce live est une catastrophe. Je m’explique : vous misez sur des versions totalement retravaillées de vos morceaux. Ceux-ci sont méconnaissables, soit. Est-ce bien utile, si l’on n’y peut retrouver ce don pour l’aparté mélodique qui vous caractérise ? Car tout est fondu comme dans un martèlement, une sorte de scansion indigeste. Vous m’évoquez une fusion ratée entre les Specials, côté fantômes et forains (vos claviers), et King Crimson (les zébrures de guitare, une allure prog). Pour aboutir à un déballage rythmique sans grande musicalité. Si au moins il existait des mouvements plus relâchés, où poindraient enfin vos couleurs dorées et attachantes... Mais vous poursuivez, imperturbables, votre jeu de massacre. Pardonnez-moi, je ne peux le supporter au-delà de quelques titres. Lorsqu’on sait que Remember en compte 51, répartis sur plus de deux heures, vous avez alors une idée du supplice que vous infligez à certains. Vous pourriez arguer qu’il s’agit d’un instantané de votre musique sur scène et qu’obligatoirement, celui qui l’écoute dans son canapé ne peut que l’estimer de manière imparfaite. Oh, mais ce serait renier l’intérêt même de l’album live. Qui tend l’oreille au It’s Alive des Ramones, ne tient pas ces propos ! Vous en conviendrez.
J’en viens donc à penser que vous vous êtes concentrés sur une intention de forme. Remember devait être un live inhabituel, pour ne pas dire unique. Vous avez soigneusement effacé toute trace auditive du public ; bénéficié d’un son à peine moins net qu’en studio ; joué 60% de votre répertoire ; défiguré vos compositions. Vous vous êtes dit : "personne d’autre n’aura publié un live comme celui-ci". Et vous avez probablement raison. Cependant, chers Fiery Furnaces, qui s’intéresse à ces transgressions stériles ? Avez-vous à ce point une confiance aveugle en vos fans, pour ne destiner qu’à eux cet objet ? Ceux-ci sont encore capables d’exercer leur libre jugement. Quant aux personnes qui n’ont jamais entendu la moindre de vos notes, et qui voudraient avoir un premier aperçu avec Remember... mais que ces malheureux fuient à toutes jambes ! Leurs idées seraient vite arrêtées.
En somme, j’en appelle à votre bon sens. Laissez à d’autres le soin de l’art vide et abstenez-vous de commercialiser pareils objets. Je serais peiné d’observer votre chute dans un misérable formalisme. Il vous guette : n’y succombez pas !
Je vous salue, bien tristement."
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