Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Béatrice le 2 octobre 2007
paru le 6 août 2007 (Deltasonic/Columbia)
Une fois n’est pas coutume, démarrons cet article avec une phrase oh combien originale et provocatrice, qui n’a très certainement jamais été prononcée/écrite/formulée auparavant : l’an de grâce 2007, si inachevé qu’il soit encore à ce jour (plus pour si longtemps que ça, remarquez), aura été faste, musicalement parlant du moins. Faste, avec son lot de promesses plus ou moins bien tenues, de retours en force, de déceptions cuisantes et de révélations fulgurantes – le tout en un peu plus d’exemplaires que d’habitude, de sorte que tout le monde puisse à loisir venir picorer et faire son choix. Au milieu de cette luxuriance d’événements et de non événements plus ou moins rabattus de tout côtés, quelque part entre les White Stripes et PJ Harvey, The Coral se sont faufilés discrètement et ont glissé un cinquième disque estampillé de leur nom dans les bacs…
Le sextet liverpuldien n’a jamais été bien tapageur, il est vrai. Il en avait rajouté en s’éclipsant pendant près d’un an, sans donner de nouvelles ou presque – histoire de faire oublier la cadence infernale à laquelle il avait pondu ses trois premiers opus, avant de se calmer un peu pour concocter le quatrième ? Mais il ne faut pas croire que tel groupe s’oublie si facilement, même en l’absence de nouvelles fraîches et croquantes à se mettre sous la dent… Alors de temps en temps, on s’en souvient, on se rappelle par la même occasion que le dernier album en date commence à dater un peu, et on se dit qu’il serait grand temps qu’un nouveau arrive, parce que les Coral, quand même, c’est bien. Y a qu’à demander... La bande de James Skelly n’a pas chômé, elle a juste attendu que l’objet soit finalisé (ou presque) pour annoncer qu’il arrivait. Roots & Echoes, vêtu de rouge, beige et noir, a ainsi débarqué en août, sans plus de tapage qu’il n’en fallait, se contentant d’un titre et d’une pochette aussi sobres que prometteurs.
On avait eu droit à des contes sur la magie et les remèdes, puis aux aventures des enfants de Becker, avant d’assister à l’arrivée de mystérieux envahisseurs invisibles. En cet an de grâce 2007, si faste n’est-ce pas, chez les Coral, on reste dans le même esprit ; des racines et des échos, une forêt dans la brume ou les réminiscences d’un lieu d’attache lointain et oublié… Roots & Echoes porte en tout cas très bien son nom, aussi bien que les autres albums du groupe. Il est discret, volatile, gracile – comme les racines qu’on ne remarque qu’une fois qu’on s’est penché, et qui semblent bien frêles pour servir de bases à un arbre droit et imposant, ou comme un écho paré d’une beauté étrange et dont on ne sait pas vraiment si on l’a entendu ou rêvé… Presque trop simple et trop modeste…
... Roots & Echoes ne s’impose pas, car Roots & Echoes ne veut pas s’imposer. Il ne veut pas faire de bruit ; il ne veut pas révolutionner l’univers musical ou faire frissonner les tympans les plus avides de sensations extrêmes. Il ne veut pas être l’album du siècle, il ne veut pas être consensuel ou fédérateur, il ne veut pas être fantassuperveilleux. Il ne veut même pas qu’on le remarque – pourtant il ne se cache pas, non, il se contente de se parer des plus beaux atours que lui proposent la discrétion et sa grande amie la modestie, qui sont magnifiques, mais qu’on ne perçoit que si l’on a décidé d’y prêter attention. Alors, qui veut un disque capable de l’attraper par le col, de le traîner vers lui, de le clouer sur place sans plus de cérémonie et de ne plus le laisser s’échapper sous aucun prétexte serait sans doute plus inspiré de passer son chemin et d’aller voir ailleurs, chez les dompteurs de mélodies universelles et les frappeurs d’hymnes rythmique. Quoique… ce ne serait pas forcément une si bonne idée que cela, car tout ce que demande le cinquième album des Coral, c’est du temps, du calme et de l’attention ; pour peu qu’on prenne la peine de les lui offrir, il ne se fera guère prier pour révéler tous ses trésors et dévoiler toute sa beauté. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il cache des trésors à foison, et que sa beauté est époustouflante.
Il s’en trouvera toujours pour lui reprocher sa simplicité, ses mélodies cristallines brillantes d’humilité ou son absence affichée d’ambition ; sauf que ce sont justement elles qui font sa magie et qui le transforment en voix douce murmurant ses berceuses ou ses complaintes à l’oreille de qui accepte de l’écouter... Roots & Echoes n’est pas juste un disque de pop sympathique et sans prétentions qu’on écoute d’une oreille en regardant le temps passer par la fenêtre (même si soit dit en passant c’est un très bon disque pour regarder le temps passer par la fenêtre). C’est un disque effrontément intimiste, mélancolique et nostalgique, du genre qui donne envie de se lover dans un coin en fermant les yeux pour laisser ses rêveries se mêler au flot d’images qui déferlent avec la musique et les colorer ou les déformer, et qui surfe avec virtuosité sur les vagues de l’âme. Doucement, très doucement, il s’infiltre, s’infuse, se diffuse, se déploie, rassurant et familier, comme les branches d’un arbre sous lequel on voudrait installer sa maison. Délicatement, James Skelly et sa bande nous prennent par la main et nous emmènent dans un monde construit de l’assemblage de feux de cheminée, d’amours qui s’effilochent, de matinées grises qui s’éternisent en soirées mornes, de toiles d’araignées et de rayons de soleil qui se frayent un passage à travers la pluie battante. Nick Drake veille, perché sur son nuage et perdu dans sa brume… Ce n’est d’ailleurs pas le seul spectre à rôder dans les parages : ils sont beaucoup, beaucoup, de fantômes à danser tristement et à se lamenter allégrement à travers ces onze chansons, les teintant de leurs reflets nacrés et animant les mélodies et les rythmes de mouvements mystérieux et étrangement familiers… Discrets dans les premiers morceaux, qu’ils se contentent de draper d’un fin voile de leur mélancolie, ils s’agitent de plus en plus au fur et à mesure que l’album se déroule, batifolent avec les lucioles de Fireflies, jouent à cache-cache entre les gouttes de pluies sur In The Rain, et finissent par se déchaîner, hantant les "damdamdadaadaadam" de She’s Got A Reason et faisant frémir les guitares qui s’effacent doucement sur Music At Night.
Tout le long, le disque file une douce nostalgie, imprégnée d’images d’un quotidien teinté de fantastique, alternant fougue et dépouillement, arpèges sautillants et brouillard impénétrable, mais restant toujours au bord de la rupture ou de l’explosion – sans jamais ni rompre, ni exploser, bien sûr, c’est là que réside toute la maîtrise. Dans un savant équilibre (car ici, tout est éuilibre, dosage au millilitre près et contenance) entre percussions caressantes et guitares cristallines et vagabondes, la voix de James Skelly, grave et profonde, s’empare de l’espace qui lui est laissé et, bien moins uniforme qu’elle n’en a l’air au premier abord, s’élève ou se brise discrètement, à la fois lointaine et chaleureuse. Et un peu comme cette voix capable de nuances si délicates qu’on ne les décèle pas immédiatement, Roots & Echoes enrichi un peu sa palette à chaque écoute, se nourrissant de toutes les émotions, souvenirs, images ou états d’esprit qu’on lui laisse approcher... jusqu’à ce qu’il devienne si luxuriant, si familier et si confortable qu’on n’est plus capable de le quitter...
Après, évidemment, il faut bien reconnaître qu’il est trempé jusqu’aux os par la pluie britannique et hanté par l’ennui mordant des dimanches grisâtres, ce qui, admettons-le, ne titille pas forcément l’imaginaire de tout le monde et ne garanti pas qu’il fonctionne aussi bien dans toutes les oreilles et dans tous les cerveaux. Toujours est-il que dans la catégorie "album trempés jusqu’aux os par la pluie britannique et hantés par l’ennui mordant des dimanches gris", il se place haut, très haut, et peut facilement prétendre au sans-faute, voire au podium, qui sait ?
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |