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par Parano le 22 juin 2010
Paru le 20 avril 1992 (Matador)
Voila un album qui réjouira tous ceux qui pensent qu’on ne bâtit pas un chef d’oeuvre à coup de dollars. Avec ce premier album, sortit en pleine Nirvanamania, Pavement fascine et étonne. Comment faire aussi bien, avec si peu de moyens ? Comment convaincre avec si peu d’arguments ? Sans doute parce que l’essentiel est là : le talent. Pour le reste, rien d’enthousiasmant. La pochette semble avoir été bricolée pendant un cours de math (souvenez-vous, les pupitres décorés au blanc correcteur). Le son est tout juste digne d’une boombox : batterie carton. Basse bourdon. Guitares cheap et production proche du néant. Ajoutez à cela l’attitude slacker, peu répandue à l’époque. Le no look. Ni jeans troués, ni tatouages. Coiffure véritablement négligée. Ça vous rappelle les Pixies ? Oui, mais eux, au moins, soignaient leur artwork, à défaut de garder la ligne.
Le groupe ne peut même pas s’enorgueillir d’une quelconque virtuosité. Pas de grande et belle voix, taillée pour enflammer les stades. Pas d’as de la six cordes, pour poser en couverture de Guitar Mag. Pas de rythmique diabolique ni élastique. La légende veut d’ailleurs que le premier batteur de Pavement soit une quiche.
Alors quoi ? Le rock serait autre chose qu’un excès de morgue, tartinée d’hormones ? Autre chose qu’une affaire de fringue ? Autre chose qu’un mur de guitares érigé par des musiciens d’exception ? Hé bien oui. La preuve. On peut taper dans le mille avec peu de moyens, et un rejet assumé de toute forme de frime. On appelle ça le rock indé. La pop Lo-Fi. Et dans la catégorie branleurs géniaux, Pavement a tout du messie. Les scribouillards ne s’y sont pas trompés. En dépit de ventes modestes (100 000 ? 200 000 exemplaires ?), Slanted & Enchanted est considéré comme l’un des meilleurs albums rock de tous les temps (c’est-à-dire depuis 1953, faut pas non plus exagérer). Le magazine Rolling Stones l’a classé 134 ème sur 500. Juste devant Elton John. La classe.
Si Slanted & Enchanted est aujourd’hui célébré comme un must du binaire, c’est qu’il ouvre la voix à une nouvelle esthétique, le rock avachi. Un melting punk particulièrement jouissif, servi avec aplomb et nonchalance, sous le doux soleil californien. On y reconnaît l’influence des grands frères Sonic Youth et Pixies, le goût des mélodies enchanteresses, celles qui font sauter au plafond ou épouser la petite voisine un soir de beuverie. Ajoutez à cela quelques accents bluesy, et un poil de bizarreries à l’anglaise (The Fall criera au plagiat, faut bien exister). Servez frappé. Quoi de mieux qu’un son pourri, pour accommoder la tambouille suprême du rock avachi ? Même si l’adéquation est accidentelle, la forme transcende le fond. C’est aussi ça, la marque des grands albums.
Dans l’équation, il ne faudrait pas oublier la voix de Stephen Malkmus. Plus cool que celle de Thurston Moore, elle ondule entre le crépitement des guitares, sans craindre de dérailler. Un chant, au final, très mélodieux, mais posé sans façon sur des chansons bricolée. Et ça marche. On reste bouche bée à l’écoute de Summer Babe, l’hymne épuisé de Pavement. On est ébahi devant la richesse minimaliste de In The Mouth A Desert. La douceur de Zürich Is Stained ébranlera les plus exigeants, et le fulgurant Perfume-V sonne bel et bien comme un Teen Spirit post-fumette (Quiet man ! Loud man ! Yo man !).
Le plus étonnant, c’est qu’en 1992, Pavement peine à exister. Conçu au départ comme un projet studio par Stephen Malkmus et Scott Kannberg (l’autre guitare pensante du groupe), le quintette de Stockton s’est entouré d’un fan à la basse (Mark Ibold), d’un vieux hippie à la batterie (Gary Young), épaulé par un percussionniste, qui l’aide à garder le rythme (Bob Nastanovitch, également manager). L’enthousiasme des critiques placera d’emblée Pavement dans le peloton de tête des groupes indé, et lancera définitivement sa carrière. Le succès commercial viendra en 1994 avec le single Cut Your Hair, et une production plus conséquente, avant de s’éteindre doucement, à la fin des 90’s. Dix ans après un dernier album, et une séparation au goût d’inachevé, Pavement demeure un groupe culte. On parle aujourd’hui de reformation. Peut-être cet été, au festival Coachella. Une sacrée bonne nouvelle, et une énième raison de (re)plonger dans Slanted & Enchanted.
Nb : à noter, l’excellente réédition Slanted & Enchanted : Luxe & Reduxe, parue en 2002, avec de nombreux bonus (le Watery Domestic EP, des sessions studio, et un live de décembre 92 à Londres).
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