Chansons, textes
Sunny Afternoon

Sunny Afternoon

The Kinks

par Béatrice le 9 janvier 2007

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Il paraît que Ray Davies est un cadeau pour critiques rock ; cette hypothèse est sûrement discutable (car là est le principe d’une hypothèse, ne l’oublions pas), et sera certainement ravie d’être l’objet d’un débat épique, hérétique et éclectique sur le forum de B-Side Rock (prière de cliquer sur l’icône à droite si vous êtes inspirés) - ça fera au moins un cadeau pour forum de wannabe-critiques rocks qui se morfond de ne pas en avoir eu assez à Noël (car ce forum est insatiable), et c’est toujours ça de pris. Toujours est-il que la période est au déballage et à l’usufruit de cadeaux, et il n’y a pas de raison que les rédacteurs de B-Side soient en reste, non mais. Allons-y donc gaiement, finissons de déballer nos cadeaux avant qu’il ne soit trop tard, et, dans cet objectif, faisons appel au Papa Davies, qui a dans sa hotte un bon paquet de chansons fort agréables à commenter sans être trop difficiles à expliquer, ce qui est sympa de sa part. Surtout que ces chansons sont de bonnes chansons, aussi, la plupart du temps, ce qui est encore plus sympa de sa part.

Le Papa Davies (qu’on va s’empresser de libérer de ce surnom ridicule au potentiel de titillation des zygomatiques somme toute assez faible, pour le rebaptiser Ray, c’est la moindre des choses), par cette grise matinée hivernale, s’est donc ramené avec dans sa hotte un après-midi ensoleillé. Ce genre de cadeau ne se refuse pas, surtout en début d’hiver, quand on sait que les après-midi ensoleillés vont être une denrée rare pendant plusieurs mois. Pourtant, c’est vrai, c’est un cadeau qui sent un peu le réchauffé, considérant qu’il a quarante ans bien sonnés, et que Ray (oui, j’ai dit que j’arrêtais de l’appeler Papa Davies) et ses acolytes tordus l’ont offert pour la première fois en juin 1966. Eh oui, en juin 1966, les Kinks ont déjà pas mal percé dans la scène musicale britannique, et collectionnent depuis deux ans les positions à un chiffre dans les charts (voire à chiffre 1, et You Really Got Me même que ça m’empêche de dormir la nuit, par exemple) ; tout ça rapporte, forcément, au moins un peu, et (médisons allègrement) comme tout ce qui rapporte, attire l’ombre menaçante du percepteur. On connaît la chanson, les Beatles vont la fredonner eux aussi en août de la même année, s’en prenant à un pauvre Taxman qui se reçoit la première salve de Revolver dans la gueule. Et donc, en fait, on ne sait pas, mais on peut émettre l’hypothèse (là encore discutable, même refrain, icône à droite si vous êtes pas d’accord) que le Pap...euh, pardon, Ray Davies commence à s’inquiéter de son sort, de ses impôts, et de sa fortune. On peut aussi supposer tout simplement que chanter qu’il arrive pas à dormir la nuit à cause d’une fille, c’est bien, mais assez limité niveau portée sémantique et contenu poétique, et que le jeune homme aimerait bien déployer tout son potentiel de portraitiste, d’où une reconversion dans la satire sociale qui l’amène assez naturellement à traiter, entre autres, la guigne des riches dépouillés par le fisc en même temps que celle des pauvres qui n’ont même pas le luxe de connaître le fisc.

Mais trêve de médisance : passons aux faits (plus ou moins) objectifs. Nous sommes en 1966, on l’a déjà dit (mais la pédagogie est l’art de la répétition, et resituer dans le contexte un bon moyen de combler les blancs entre les paragraphes), et les Kinks ont occupé leur année à poser sur bande magnétique une série de croquis urbains, des perles mélodiques ensoleillées sur lesquelles le chanteur prend un malin plaisir à tracer à coups de lignes brisées des destins rarement très heureux et à jouer le funambule sur le fil tendu de l’ironie. Ils publieront cette collection à l’automne, l’affublant d’un titre qui lui va bien (Face To Face, triple référence à une émission d’interviews de la BBC, au caractère direct des relations “en face à face” et à un appareil photo prenant des clichés de plusieurs personnes, refaisant la mise au point devant chaque visage) et d’une pochette aux tons psychédéliques qui lui va beaucoup moins bien - et qui sera d’ailleurs reniée par le songwriter du groupe. Notons au passage qu’à l’automne 66, Ray n’arrive toujours pas à dormir, même si cette fois, ce n’est pas à cause d’une fille, c’est juste qu’il a l’esprit trop occupé (Too Much On My Mind, même que ça m’empêche de dormir pour changer un peu - on va vraiment finir par croire qu’il est insomniaque, ce pauvre homme). Mais nous n’en sommes pas encore là ; pour l’instant nous sommes en juin, il fait beau (ou en tout cas, on va dire qu’il fait beau, c’était peut-être pas le cas, mais ça s’appelle la licence poétique), et le groupe se contente d’un single en avant-goût de ce qu’il concocte pour l’automne. De façon fort à propos, ce single porte le doux titre de Sunny Afternoon et invite l’auditeur à demi-attentif à paresser sous le soleil de l’après-midi - et pourquoi pas en fredonnant le “ in the summertime ” du refrain, tiens ? Suggestion retenue et approuvée par le public qui s’empresse de propulser la chanson au sommet des charts et de reprendre en chœur les malheurs du pauvre aristo déchu qui est un peu dans la mouise, quand même, hein, et a l’air de s’en foutre royalement.

Ce pauvre aristo déchu ressemble de toute façon à une sacrée tête à claque, alors, pourquoi se priver de se gausser de ses déboires (et puis il a l’air de s’en foutre, vraiment) ? C’est vrai, il en a beaucoup des déboires, et pas des moindres : comprenez-vous, on lui a confisqué son yacht, d’abord. C’est gênant, d’être coincé chez soi en été sans son yacht pour faire sa promenade quotidienne sur la Manche, surtout quand chez soi, c’est le château hérité de grand-papa qui était Lord. Le taxman est passé par chez lui (avant d’aller se faire engueuler par George Harrison) et il a pris son dû, peut-être un peu plus au passage (on sait pas, à ma connaissance personne n’est allé vérifier la déclaration de revenus du type en question), en tout cas sûrement trop pour que la “vie luxueuse” que se plaisait tant à vivre notre ami (ou pas ami, au choix) se trouve passablement remise en cause. Il a toujours son château, remarquez. Et puis ça lui apprendra à frauder le fisc, je veux dire, y a des gens qui triment dans les chansons d’à côté, la Little Miss Queen Of Darkness ne s’amuse pas tous les jours, et je vous parle pas de celui qui a claqué tout son fric en offrant des fêtes à ses amis et se retrouve à la rue à cause d’une pancarte Most Exclusive Residence For Sale placardée sur la porte de son palace, et encore moins des gens coincés dans un deux-pièces minable au fond d’une Dead End Street et condamnés à y rester... Non, notre ami (on va dire que c’est notre ami, on n’écoute pas ses ennemis nous confier leurs malheurs en boucle) n’est sûrement pas le moins bien loti des protagonistes qui accaparent les cordes vocales de Ray Davies. En plus il était pas sympa avec sa copine - ou du moins, c’est ce qu’elle a raconté à ses parents ; il est vrai qu’elle a attendu que le percepteur embarque le yacht pour s’en aller, et qu’elle s’est bien gardée d’oublier la voiture. Que ce soit parce qu’elle aimait son argent plus que lui, ou parce que l’argent était la seule chose qui rendait ce type supportable, elle l’a abandonné à son triste sort, qui semble dans l’immédiat le condamner à finir étouffé par l’étreinte d’une “big fat mama”, dont on ne sait s’il s’agit d’un créancier venu réclamer qu’on le rembourse, ou d’une riche rombière célibataire qui pourrait s’avérer un riche parti à défaut d’en être un beau. Voilà notre ami-qui-fut-riche-mais-plus-maintenant réduit à supplier qu’on le sorte de cette galère qui s’est substituée à son yacht - “Save me save me save me from this squeeze” et même, carrément, “Help me help me help me sail away, well give me two good reasons why I oughta stay” : très cher, veux-tu vraiment qu’on te rappelle pourquoi tu ne peux pas t’enfuir ? Deux raisons, vraiment ? Eh ben allons-y, je te le donne en mille : 1) Tu n’as plus de yacht, chouchou, je te rappelle que le mec en noir avec une carte tamponnée “fisc” l’a pris avec lui pour le ranger dans les caisses publiques (oui, les caisses publiques sont très grandes, surtout quand elles sont pleines de trous) ; 2) Tu n’as plus de voiture, mon pauvre vieux, je te rappelle que celle qui fut ta copine l’a prise avec elle pour la ranger dans le garage de ses parents.

Par contre, tu as un château. Un fauteuil. Quelques canettes de Guinness et de Newcastle Brown Ale dans le frigo. Un soleil radieux qui te nargue. C’est déjà pas mal, tu sais. Pour l’instant les gros nuages gris ont décidé d’être cléments et de rester au-dessus de la mer (là où tu serais, si tu avais ton yacht, comme quoi, tu t’es économisé une douche froide), ton château a des fondations suffisamment solides pour passer l’été, l’automne, l’hiver et même le printemps ; essaye juste de pas inviter trop de monde, histoire de conserver ta bière aussi longtemps que possible, et puis... advienne que pourra, hein. Pareil qu’avant, en fait. Pour un après-midi au moins, et c’est toujours un après-midi de gagné ; un après-midi à paresser en se laissant caresser par les rayons du Soleil, c’est peut-être bien ton dernier, qui sait après tu seras peut-être bien obligé de travailler l’après-midi pour te la payer, ta bière glacée - alors profites-en bien, de ton dernier jour de paresse. Et ce soir, tu retournes le 45 tours, tu écoutes la face B, et tu pourras chanter que tu n’es pas comme tout le monde, et que tu ne veux pas vivre ta vie comme tout le monde, et que tu ne diras pas que tu te sens bien comme tout le monde, parce qu’on l’aura bien compris, tu n’es vraiment pas comme tout le monde.



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