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par Emmanuel Chirache le 5 octobre 2009
paru en octobre 2004 (No Death/Island Records)
Un groupe dont le nom est Eighties Matchbox B-Line Disaster ne peut pas sérieusement prétendre aspirer au succès, qu’il soit commercial ou d’estime. Car dans de telles conditions, le bouche à oreille ne dure pas au-delà des dix secondes. "- Hé, je connais un super groupe ! - ha ouais, c’est quoi ? - Eighties quelque chose... attends je sais plus... y avait une histoire de match de boxe dans le titre... laisse tomber, on va écouter Metallica." Si encore ces gens-là se lançaient dans du rock indé noisy à tendance électro, on se dirait que ce n’est pas grave, que dans ce courant, les appellations suicidaires telles que Godspeed You ! Black Emperor représentent une sorte de passage obligé vers le succès. Sauf que les Eighties Matchbox B-Line Disaster (allez retenez-le, c’est la derniere fois que j’écris leur nom en entier) font dans le psychobilly épileptique, le rock garage déjanté avec une pointe de new wave parodique. Du bon gros délire qui rebute la ménagère de moins de cinquante ans et tous ceux qui aiment le rock respectable. Les Eighties Matchbox ne sont pas respectables, non, ils sont minables et c’est pour ça qu’on les adore. Leurs chansons n’ont rien de commun avec ce qu’on peut entendre couramment sur les ondes radio, et c’est tant mieux. Immédiatement, ce qui sort des enceintes atteint les oreilles de l’auditeur lambda avec un message pour lui : "nous allons te perturber, mais aussi te rendre amoureux." Il y a quelque chose d’immédiat dans la musique du groupe, une espèce de signature instantanée qui fait qu’on leur attribue tout de suite une personnalité, peu importe qu’on la déteste ou qu’on la vénère.
Cette signature, un morceau tel que Mister Mental la représente de façon idéal-typique. Il s’agit ni plus ni moins de la musique que jouerait Elvis Presley s’il était né en 1981. Sachant cela, difficile de ne pas sentir l’influence des Dead Kennedys pendant toute l’écoute. Sur fond de guitare sautillante et de riffs boogie punk, Mister Mental balance des hanches à deux mille à l’heure, un peu à la manière d’un California Über Alles à côté duquel il aurait d’ailleurs naturellement trouvé sa place dans Fresh Fruit For Rotting Vegetables. En fait, si le groupe séduit aussi vite, c’est parce que tout en nous surprenant totalement il nous renvoie à bon nombre d’autres formations tant aimées, parce que la batterie tribale de Tom Diamantopoulo sonne diablement Cramps, parce que le chant de Guy McKnight est du Elvis mouliné par Jello Biafra des Dead Kennedys, parce que la basse rappelle à notre bon souvenir Kim Deal des Pixies. Des groupes qui ont existé en partie durant les années quatre-vingts. D’où le nom de nos amis, cette curieuse référence aux "eighties" ? Absolument pas, au contraire. Beaucoup de ces formations, le chanteur Guy McKnight avoue les avoir découvertes tardivement. A l’origine, cette décennie mésestimée faisait donc office de figure-repoussoir pour les Eighties Matchbox B-Line Disaster (tiens, je l’ai dit en entier), qui l’assimilait à la new wave peu inspirée que passait en boucle radios et télévisions commerciales, au premier rang desquels MTV.
Pourtant, il faut avouer qu’il y a du son "eighties" chez les TEMBLD (surnom pour les intimes), cette espèce de vibration primale qui nous fait secouer la tête comme une poule et prend ici des proportions accélérées dans une alchimie parfaite entre punk et rockabilly, ce qui nous donne au fond de l’alambic... la définition du psychobilly. C’est le cas de morceaux rythmés et vivaces tels que Mister Mental donc, mais aussi Migrate Migraine, Rise of the Angels ou The Fool, demonstration de force et de maîtrise ! A côté de cela, on trouvera aussi un autre type de chanson, plus travaillée, plus "pop" prétendent certains mauvais esprits avec un rictus de dégoût qui dit toute leur estime du mot. En réalité, c’est avec joie qu’il faut accueillir la nouvelle, car ces titres gagnent en richesse ce qu’ils perdent en hargne, à l’image du tribal The Dancing Girls, du très new wave I Could Be An Angle, ou de l’excellent Temple Music - qui se clôt tout de même par quelques cris bien délectables. Comparé au précédent album, que beaucoup de fans plébiscitent pour son aspect plus brut mais par conséquent moins dégrossi, The Royal Society trouve une véritable plus-value en la personne de Chris Goss, éminence grise du stoner, ombre tapie derrière Kyuss et Queens of the Stone Age, fondateur des Masters of Reality. Ce spécialiste de l’enrobage des guitares grasses dans un son raffiné produit les Eighties Matchbox avec un souci du détail qui rappelle parfois les QOTSA et trouve peut-être sa meilleure expression sur des merveilles telles que Puppy Dog Snails, Drunk On The Blood ou When I Hear You Call My Name.
La première est l’adaptation terrifiante d’une comptine pour enfants. Ou comment revisiter admirablement une chanson douce pour soudain lui attribuer des allures de conte gothique raconté dans une crypte. Pour mettre en relief les terribles accords de Andy Huxley, Chris Goss a décidé d’associer une guitare semi-acoustique et une guitare électrique, les deux étant rehaussées par l’ajout d’un piano. La technique fait son petit effet, frisson garanti. La structure de la chanson est elle aussi remarquable du début à la fin, jouant sur les volumes et les voix pour mieux perturber l’auditeur, rompant la dynamique de la mélodie par un fabuleux pont sifflé. Mais le truc trouvé pour donner du sel à Puppy Dog Snails et ses répétitions infantiles, le producteur va le réutiliser dans Drunk In The Blood, autre suite d’accords fascinants autant qu’étranges. Cette fois, Goss ajoute aux deux guitares un saxophone final, avant de conclure l’ensemble par quelques notes qui tintinnabulent de façon hypnotique. Même méthode électro-acoustique pour When I Hear You Call My Name et ses arpèges extraterrestres suivis d’un riff pas très catholique. Voilà qui tombe bien, on n’est plutot du genre impie. Il faudrait enfin dire un mot, que dis-je, des centaines, sur la voix phénoménale de Guy McKnight et ses manières de crooner décadent, d’Elvis hardcore, de dilettante persifleur. Toujours sa voix sera claire et forte, déclamant un flot de paroles inquiétantes. Morceaux choisis :
I don’t like drinking but that’s what I doI don’t like my life but that’s what I doDo you suffer from Mental ?Are you dying for Pleasure ?Does it make you feel Better ?What do we do with a puppy dogs tails ?What do we do with a bucket of snails ?What do we do with a boy like you ?We put them in a pot and we throw them on the fireYou became what you wanted to hateYou become what you wanted to loveHelp me I’m losing controlI’m a fool, it’s my choice to beBut I’m afraid of apart of me
Malgré diverses influences, The Royal Society ne s’éparpille pas et montre une vraie cohérence artistique, comme l’illustrent bien certaines ressemblances ou auto-citations à l’intérieur des chansons, notamment l’insertion peu perceptible du riff de Drunk On The Blood dans When I Hear You Call My Name. Partout sur le disque, les guitares sont fabuleusement agressives, les riffs intelligents, l’attitude conquérante. Bref, les Eighties Matchbox ont realisé une grande oeuvre des années deux mille, une petite pépite d’originalité, de fraîcheur et de peps. Ces gens-là connaissent leur rock’n’roll sur le bout des doigts, pas de doute, et ils en livrent une version qui ne doit pas grand chose à Brighton, leur ville d’origine, mais tout aux Etats-Unis. Leur art, c’est une résurgence modernisée du psychobilly d’antan, un pied dans le stoner, un autre dans la pop du 21e siècle, une musique qui mérite autre chose que croupir dans l’arrière-salle de la célébrité en attendant mieux. Un troisième album est annoncé depuis un moment, mais on attend, on attend... en vain. Tenez, il y a même du Axl Rose chez les Eighties Matchbox B-Line Disaster, c’est pas la classe ?
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