Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Le Daim le 1er mai 2007
Jamais à court de kérosène depuis plus de 30 ans, le gang de J.J Burnel sévit encore et toujours sur les routes. Les voici dans un authentique pub-rock de 600 places paumé en plein trou-de-balle lorrain, officiellement pour défendre leur petit-dernier Suite XVI paru en 2006... Question : les Etrangleurs savent-ils toujours ausi bien manier le garrot ?
En ce lundi matin pluvieux j’étais donc là, un peu maussade, à parcourir les nouvelles du canard local sans y prêter vraiment attention. Un comportement machinal, un réflexe primaire ; la tronche dans le cul, les naseaux dans le café noir déjà froid. Lorsque soudain deux petits mots imprimés me firent sortir de ma léthargie post-éthylique : The Stranglers. L’article annonçait un concert imminent de la bande à Burnel à deux pas de chez moi. Ni une ni deux, je déboulai tel un tourbillon en patins et peignoir devant mon ordinateur et composai une supplique à l’encontre de Gourou Arnold pour obtenir une accrédiation-photo ! J’étais loin d’imaginer qu’elle me serait accordée... Avec une interview en prime !
Diantre, diantre. The Stranglers... Voilà que d’antiques souvenirs affluaient en moi, comme la fange d’une bouche d’égoût sur la chausée cradingue par une nuit d’averse. Le lycée, la fac... No More Heroes, The Raven, La Folie, de vieilles galettes vinyles sorties de je ne sais où qui de temps à autre m’aidaient à brasser les idées noires. Et puis surtout le monstrueux son de basse de Burnel, un grondement de rage tonitruante qui vous laisse entrevoir une avalanche dévastatrice... Peut-être le son le plus primaire et brutal dont la musique ait jamais enfanté. Un son qui m’avait poussé, un jour, à entrer dans un magasin pour en ressortir avec un de ces étranges instruments à quatre cordes.
Mais depuis, cette rage au cœur je l’avais bien sûr quelque peu enfouie, par égard pour mes pairs et pour moi-même. On ne peut pas vivre éternellement en crachant sur autrui. Et puis quand on prend du bide et qu’on perd sa tignasse on a forcément plus la même crédibilité à jouer les rebelles. C’est comme ça. The Stranglers je les avais oubliés... Balancés à la poubelle avec les posters de mes autres idoles. Il faut bien se décider à grandir un jour ou l’autre !
Sauf que pendant tout ce temps les Etrangleurs continuaient leur route, d’album en album, de tournée en tournée, de line-up en line-up. Leur dernière livraison datait de 2006, elle s’appelait tout naturellement Suite XVI. Je n’en avais jamais entendu parler, raison de plus pour lire avec intérêt la chronique de Nonoostar... Finalement la question qu’il fallait peut-être se poser était : « Est-ce que des rockers ont encore quelque chose à dire après 16 albums et 30 ans de carrière ? Est-ce que ces quasi-retraités assurent toujours avec la même colère et la même énergie ? ». On connaît la réponse en ce qui concerne, au hasard, les Rolling Stones ou, heu... Pink Floyd (si tant est que ces derniers aient été un jour en colère). On a aussi vu ce que ça donnait, des punks sur le très-tard, lors de la reformation des Pistols. Le seul a avoir tenu le choc était Joe Strummer, sauf qu’il est mort. Franchement, je craignais d’assister au pathétique spectacle d’un troisième-âge en costume Armani complètement mou du genoux, s’auto-caricaturant devant un parterre de mémés en déambulateur que n’aurait pas renié Pascal Sevran... Ouais, plus dure serait la chute ! Car je dois l’avouer, cela m’aurait vraiment arraché les tripes de décrire une telle farce après tout ce que le groupe m’avait apporté des années auparavant.
J’avais donc quelque appréhension en garant ma voiture sur le minuscule parking situé non loin de la salle de spectacle Chez Paulette, dans un bled limitrophe de Toul. La gargotte ne payant vraiment pas de mine, on aurait pu aisément la confondre avec le PMU du coin. Et pourtant, la petite porte d’entrée franchie, le visiteur sceptique découvrait un authentique lieu de perdition rock : bondé, trouble, sentant bon la mousse en gobelet et le vieux cuir. Par Saint-Strummer, il y avait encore de vrais pubs rock en France ! Et du monde pour les faire tourner ! Une pinte à la main, je me dirigeai vers la scène en me frayant un passage à travers les quelques 600 personnes présentes. Il y avait de tout : des bouseux venus pour la bière (un peu comme moi), des quinquas nostalgiques et même des gosses en Converse et frange. Tout ce monde attendait tranquillement la suite des évènements [1] dans le brouhaha des conversations parfois ponctuées de sympathiques rots et une sorte de brouillard particulièrement dense qui ne pouvait pas venir du tabac puisque, comme chacun sait, le tabac est à présent interdit dans ce genre d’établissement. Ce devait être l’humidité, oui, certainement. Armé de mon appareil-photo, faisant blocus au premier rang le bide contre la scène, j’attendais moi aussi.
Et soudain une valse de cabaret retentit dans les baffles, les lumières furent éteintes et un jeune rouquin se posta derrière la batterie, martelant les fûts comme un psychopathe... Il ne s’agissait pas du légendaire Jet Black (68 bornes au compteur, autrement dit le plus ancien musicien de rock anglais en activité !) mais de son remplaçant provisoire, un nommé Ian Barnard occupant habituellement la place de technicien du batteur attitré des Stranglers, convalescent après quelques soucis cardiaques. Barnard fit tout au long de ce concert un parcours sans fautes, contribuant largement à la brutalité de la musique du groupe, tout en sachant faire preuve de douceur sur les titres les plus subtils comme le classique Always The Sun repris en chœur par le public, ou encore virer funky sur le jouissif Peaches.
Le second à investir la scène fut Jean-Jacques Burnel. Il ne lui fallut que le temps de tourner son potentiomètre de volume pour que tous mes doutes s’évanouissent et que je retrouve d’un coup toute ma juvénile rebellitude : l’avalanche ensevelit la foule, provoquant moult hurlements hystériques. Rien n’avait changé ! K.O en moins d’un round, le rock-critic. Baz Warne apparut et brancha sa Telecaster. Excellent guitariste, il a en outre bien le charisme nécessaire pour s’imposer à la place de Paul Roberts au chant et comme frontman. Quand à Dave Greenfield, claviériste de son état, il se montra fort discret derrière son mur de synthétiseurs et d’orgues. J’aurais aimé qu’il retrouve sa place de profil, sur le côté de la scène, mais sans doute la configuration du lieu ne le permettait-il pas. Bien entendu Burnel s’adressa plusieurs fois en français impeccable à la foule, jamais à court de boulets destinés aux connards qui dominent notre pauvre monde ou à la bêtise de ceux qui les suivent : « Savez-vous combien la France a de sous-marins atomiques ? Non ? Alors cette chanson est pour vous ! ».
Du punk, ce concert avait l’énergie débordante. Et ravageuse, comme la morgue de Jean-Jacques ou celle de Baz parfois : on a souvent deviné au fil de ces deux heures de bonne baston cette petite lueur rock’n’roll dans leur regard, celle qui semble dire « vous allez voir ce qu’on va vous mettre bande de cons ! ». Bien profond, bien durement. Tout cela n’a pas empêché une parfaite maîtrise technique de tous les morceaux joués ; pas la moindre fausse-note, pas le moindre défaut de rythme. Une mécanique bien huilée et ultra-efficace au service d’une musique aussi aggressive que sophistiquée. Eh oui, messieurs les Naast, on peut être punk et savoir jouer correctement de son braquemard... Le temps que je jete un œil aux deux gamins postés juste derrière moi, les bras croisés et le regard toujours perplexe, et le groupe expédiait déjà son dernier rappel réclamé à corps et à cris : No More Heroes. S’il ne devait en rester qu’une, de chanson, peut-être serait-ce celle-là. La parfaite symbiose entre la rugosité brûlante du punk et la froideur des synthés, avec des paroles délicieusement cyniques. Puis, trop tôt, le groupe quitta la scène, Jean-Jacques se montrant assez galant pour faire le baise-main à une jolie nymphette fidèle des concerts de cette tournée avant de jeter, le regard narquois : "Je vais finir par croire que tu me suis ! Faudrait pas que ton mec soit jaloux !".
Et me revoilà quelques jours plus tard déboulant à la répét’ avec une certaine vieille basse en lieu et place de ma délicate six-cordes, la branchant dans la sono et me prenant pour Jay-Jay... Ouais ! Je sens que c’est reparti pour quelques décennies pendant lesquelles, c’est sûr, faudra surtout pas me faire chier. The Stranglers : Raviveurs de Flammes depuis plus de 30 ans !
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |