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mercredi 15 avril 2015
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par Oh ! Deborah le 12 mai 2009
paru en 1998 (Island Records)
Pulp. Groupe aux codes british volontairement surfaits, mélangeant différents look rétros avec couleurs et caricatures 80’s, va en rajouter une couche avec This Is Hardcore, album de la maturité mais aussi, de la sophistication, du glamour, du porno chic. Il était donc improbable de ne pas passer cette pochette au crible.
Les visuels d’apparence superficiels de Pulp sont des éléments primordiaux de la carrière du groupe, des choses que Jarvis Cocker a étudié au millimètre depuis ses débuts de jeune rejeton un peu loser. Un monde dans lequel il voulait vivre et où j’ai vécu un certain temps avant de m’apercevoir que c’était de la fiction.
Si Different Class était l’apogée d’un monde parfaitement conçu sur le mode d’une éthique confrontant pop-color bon marché, chorégraphies grandiloquentes et simplistes, descriptions relationnelles, sentimentalisme et message brièvement sociologique, This Is Hardcore, en conservant la profondeur textuelle et sonore d’une âme pulpesque, comporte des parties de cordes raffinées et évolue vers une image plus élégante, plus sensuelle, s’inspirant aussi de l’imagerie bourgeoise des célèbres feuilletons Américains.
Contemplons alors ces photos aussi belles que parodiques, réalisées par Horst Diekgerdes sous le contrôle esthétique de Peter Saville, du chanteur, et les bons goûts de sa future femme Française et styliste, Camille Bidault-Waddington.
Une ravissante russe de 18 ans à la blondeur flamboyante se hisse sur du cuir rouge, comme démembrée, le cou allongé, l’air morte. Le visuel se veut sensuel et sulfureux sans être vulgaire. L’univers de Pulp est avant tout affaire de grande classe, mais s’aventure pourtant là où le kitsch est sans mesure. On retrouve alors une femme aux vêtements criards stylés 50’s riant aux éclats et Candida Doyle (claviers), la regardant le visage livide.
Les autres membres du groupe jouent aussi des rôles secondaires, contemplant ce qui se passe avec placidité. Tout est figé, comme ces deux poupées de luxe dont on ne voit les têtes, dressées sur pivot, qui s’embrassent, vêtues de sous vêtements blancs et classiques. (Certains journalistes diront de cette pochette qu’elle est sexiste).
Aussi, on retrouve notre blonde de départ, recroquevillée par terre, l’air effondré, photographiée en plongée, petite, frêle et ronde, comme ces canons de beauté 50’s.
Soudain, on retire le CD, et on découvre un homme habillé d’un peignoir et d’une montre en or, l’air hébété. Les barbies ont trouvé leur ken fait sur mesure que l’on reverra fier de lui accoudé à un bar avec Jarvis. Pas de doutes, cette pochette trahit bien là un compromis entre la série à l’eau de rose des beaux quartiers, la pornographie de luxe et le film noir des années 30.
Le clip de l’immense single This Is Hardcore confirmera un monde baignant dans le luxe exubérant et la violence où Jarvis est prisonnier. Il éprouve alors une fascination ainsi qu’une répulsion pour cet d’univers, à l’image de sa nouvelle vie. Ainsi dans la chanson Party Hard, il affirme que "Dans l’entertainment, les choses que tu adores sont aussi celles qui te maintiennent à terre". Il compare sa médiatisation avec la pornographie devenue une addiction. Le hardcore, c’est ici l’intérieur profond de Jarvis, son introspection faite durant l’année 97, à la suite de l’explosion des hits de l’album précédent, son sentiment de s’être affiché sous tous les angles possibles et de disparaître de la même manière. Comme les porno-stars consommées puis oubliées, qui ressentent une satisfaction autant qu’un besoin dans le fait même d’atteindre le plus haut degré d’exhibition, mais qui restent toujours au bas de leur auto-considération. Mais ce n’est pas tout. En réalisant This Is Hardcore, le chanteur dévoile son ressenti concernant l’illustre contraste entre célébrité et solitude. Sur cette pochette resplendissante, les acteurs sont seuls et un gouffre les sépare. C’est pourquoi Jarvis parlera de "pornographie déshumanisée".
Les photographies ont été prises dans le riche et immense hôtel The London Hilton On Park Lane à Londres, et dévoilent donc des visages impassibles mais surtout des couleurs somptueuses et princières, le tout étant publié sur papier glacé.
Je préciserai inutilement que tout dans Pulp est merveilleux. Des clips roses bonbons aux relations subtilement dépeintes dans la narration. Des fish and chips à la moindre trace de vernis à ongles. Outre les photos, comme dans toutes pochettes de Pulp, figurent les textes talentueux et pertinents (ici écrits en rose fushia sur fond noir), Jarvis Cocker ayant le don unique de décrire des tranches de vie quotidiennes tout comme sa vie d’icône pop, avec sérieux, rationalité mais aussi romance et sublimation. Toutes ces choses qui seraient incompatibles habituellement sont le berceau paradoxal de toutes ces chansons criantes d’émotions et absolument jamais pathétiques. Une ironie qui regorge de vérité.
Par ailleurs, sur la dernière page de ce livret, on peut lire "It’s OK to grow up- Just as long as you don’t grow old. Face it...You are young". Ce qui n’est pas sans évoquer Help The Aged, chanson qui constitue un appel à l’aide aux personnes agées, leur solitude et leur mise à l’écart, une préoccupation qu’on n’aurait pu soupçonner chez le compositeur, sauf si on considère sa peur immense de la vieillesse, et encore une fois, de la solitude. Celle-ci va de paire avec celle de disparaître du champ médiatique pourtant à double-tranchant. Jarvis est en crise. Il affirmera qu’il était en train de chercher un point positif dans le fait de vieillir, il pensera alors qu’il n’y a qu’un seul moyen pour y parvenir : grandir.
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