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par Oh ! Deborah le 11 avril 2006
paru en 1992 (Fire Records)
Separations est réalisé en 1989 avant d’être enfin accepté par le label « Fire » et publié en 1992. Troisième album du groupe, il passe quasiment inaperçu et ne fréquente pas non plus le rayon des indispensables chez les critiques. Pourtant, Separations figure parmi les trois oeuvres essentielles de Pulp et occupe une place affective dans ma discothèque.
Les portes s’ouvrent. Cris étranges, rythme prononcé et synthé lumineux nous transportent sans attendre dans un autre monde où l’on sent que Jarvis Cocker à encore beaucoup de choses à nous raconter. Un espace large et lointain où l’on peut considérer de moindres sons si sobres mais tellement affirmés. Comme si cette simplicité avait pourtant tout à prouver et dissimulait derrière elle un grand plein de sens, de mélancolie, et de magie. Ce sont ces mots qui représentent l’ensemble de Separations. Une oeuvre à la fois intime et étrangère, claire et obscure, qui - comme toutes celles de Pulp mais celle ci particulièrement - s’apprivoise avec le temps pour finalement s’imposer comme un joyau de chansons rares, précieuses, sublimes et chacune singulière à leur façon. Théâtre tragique vaguement inspiré par le groupe Magazine, cet album est aussi le plus kitsch et original de toute la discographie.
Muni de mandoline et autres violons, le groupe alterne ballade aux airs ibériques tout en minimalisme (Don’t You Want Me Anymore ?) avec leurs éternels et resplendissants slows 80’s (She’s Dead, évoquant le suicide). La chanson-titre Separations est une promenade enchanteresse rythmée de polka ensorcelante dans la nuit chaude d’un pays froid. Down By The River, probablement le morceau le plus stupéfiant de beauté, est une sorte de valse nocturne et torturée, répétant des airs douloureux, beaux et désolés. My Legendary Girlfriend quant à elle bénéficie d’un refrain à l’aura féminine, à la volupté effleurant les jupons d’une amie en manque d’affection. Ce morceau est classé single de la semaine par le NME, ce qui n’a pourtant pas marqué les foules. C’est un premier pas vers la gloire que Pulp atteindra réellement trois années plus tard.
Des chansons variées, légèrement exotiques mais aussi imprévisibles : utilisation de rythmes dance cheap et pathétiques sur Count Down et This House Is Condemned, témoignant des dernières house-parties des debuts 90’s auxquelles Jarvis participait en Grande-Bretagne, notamment à Sheffield, ville natale du chanteur mais aussi porteuse de groupes house underground, non loin de la scène "Madchester". Ce genre de beat était daté au moment même de leur invention, d’ailleurs, on ne cachera pas que ce tournant ne peut atteindre l’éminence de ce merveilleux début d’album. Pourtant, (et c’est là tout l’art de Pulp) le charme opère et cela ne dispense pas ces compositions mélodiques d’être brillantes, avec un chant, qui toujours, nous persuade. Death II n’est pas épargnée, dont la tendance est cette fois ci au disco. Le groupe peut bien s’emparer d’un bon nombre de genres, l’identité anglaise reste intacte et l’album est homogène.
Il est toutefois inconcevable d’évoquer Pulp sans considérer la voix qui raconte des textes somptueusement écrits. Jarvis Cocker nous enseignait déjà ses métaphores pleines de dérision, son amour contagieux pour les crescendos et les longues phrases ponctuées d’un fameux "Oh Ooh". Mais ce qui fait sa permanente et grande particularité, c’est le fait de chanter des sentiments universaux, maintes fois rencontrés, et de nous les faire partager comme si rien d’autre n’avait jamais compté. Plongé dans un univers féerique et voix de crooner romantique à l’appui, Jarvis nous rappelle alors que l’amour est aveugle avec une telle évidence qu’on ne remettra plus jamais cette parole en doute. Mais ce n’est pas tout ! Le chanteur n’est pas entièrement remit de l’album précédent Freaks au ton burlesque et sordide, c’est pourquoi son timbre est grave, menaçant et caricatural tout comme l’album est généralement tourné vers le thème de la mort. Souvent très impliqué dans le rôle de l’amant à la dérive, narcissique, empreint de pulsions dominatrices mais constamment soumit et obsédé par la gente féminine, il scrute ici un petit monde les jours de pleine lune, en extirpe la noirceur parfois crue, se transforme en fantôme dénonciateur pour essayer d’exaucer ses fantasmes, mettre Sheffield à genoux et attiser les désirs. Nos désirs.
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