Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Le Daim le 26 juin 2007
paru en 2003 (Island)
À l’heure actuelle la critique rock semble unanimement mettre un point d’honneur à traiter U2 avec mépris ou, au mieux, indifférence. Quels sont les chefs d’accusations ? Production d’un rock épique lourdingue et moralisateur, trahison envers le punk originel, utilisation de bandes enregistrées lors des spectacles (quand on ne fait pas appel à des musiciens planqués sous la scène), vie privée des membres du groupe n’ayant strictement rien de rock’n’roll. Les U2 sont également accusés d’avoir survécu à presque tous les groupes de rock des années 80 et même d’être devenus les plus gros vendeurs de disques du monde depuis le carton The Joshua Tree (1987, 25 millions d’albums vendus). C’est que, n’en déplaise à la critique qui voudrait enterrer les Irlandais, la fidélité du public envers U2 ne se dément pas bien au contraire. Quand le groupe vient dans l’hexagone c’est pour remplir plusieurs soirs de suite le Stade de France, les billets étant vendus en quelques heures seulement et atteignant par la suite des prix records au marché noir... Et c’est partout pareil, je veux dire : n’importe où dans le monde.
Mais bon sang de bois, quel est le secret de la durabilité des Irlandais, quelle est la recette de ce succès gigantesque ? J’aimerais en toute objectivité émettre une hypothèse : et si c’était mérité ? Et si, pour une fois, le public ne s’était pas trompé ? The Edge reste l’un des plus fascinants guitaristes de toute l’histoire du rock, une sorte de savant fou inventeur d’un son et d’un style de jeu copiés et re-copiés jusqu’à l’insipide mais jamais égalés. Adam Clayton et Larry Mullen Jr sont l’archétype de la parfaite section rythmique, fiable pourvoyeuse d’un groove unique qui continue de rendre les foules dingues. Quant à Bono, on ne saurait lui reprocher d’avoir très légèrement perdu un peu de sa fougue adolescente au profit d’une certaine maturité se traduisant à la fois dans ses textes, dans sa voix, dans son jeu de scène et dans son action humanitaire. Bono fut jadis un copain pour beaucoup de fans, il est aujourd’hui une sorte de père modèle serrant la mains des chefs d’État ou faisant des conférences dans les grandes universités pour plaider la paix dans le monde ou la cause des pays sous-développés. L’Irlandais a pris des distances vis-à-vis de son personnage de rock-star, n’hésitant pas à le caricaturer : c’est ainsi qu’ont vus le jour les alter-ego bowiesques de The Fly ou Mac Phisto lors de la tournée Zoo TV, déclinés de façon plus ou moins édulcorée par la suite. C’est peut-être là qu’est la faiblesse du chanteur pour certains, dans cette façon d’introduire tant de dérision voire de cynisme dans une musique qui nous avait habitué à une totale sincérité, à une absence de barrières entre un groupe et son public. On peut en effet ressentir quelques difficultés à comprendre les sempiternelles lunettes teintées, les tenues de vinyle noir voire le maquillage outrancier et les cornes factices ; et plus encore les poses excessives, la comédie au milieu des chansons graves, les intonations forcées, la voix de fausset.
Il semble néanmoins que tout ceci soit terminé, et pour s’en assurer on se procurera cet excellent DVD témoignant du concert du groupe au Slane Castle (Éire) en septembre 2001. U2 connaît déjà Slane Castle. Le groupe a vécu ici son premier festival en 1981 avec Thin Lizzy, et enregistré dans les murs du château l’album The Unforgettable Fire en 1984. En cette année 2001, deux spectacles du groupe ont été programmés au Slane Castle ; celui-ci est le second, le premier s’étant déroulé le 25 août... Le lendemain des funérailles du père de Bono, Bob Hewson, décédé d’un cancer. Comme on peut l’imaginer, U2 est depuis longtemps une figure emblématique en l’Irlande pour ne pas dire une sorte de symbole du pays. « Cet endroit, c’est notre maison. Et ces gens notre tribu ! » crie Bono au public après avoir raconté comment, il y a bien des années, les familles des quatre membres du groupe rassemblèrent difficilement 500 livres pour que U2 enregistre sa première maquette... U2 en son fief pour un ultime concert, donc, le dernier de la tournée Elevation qui a suivi l’album All That You Can’t Leave Behind ; face à 80000 Irlandais en extase bien évidemment. Et bas les masques. Bono jete ses lunettes-masque dés le troisième morceau, en un geste dont la signification n’échappe pas au public. Juste après cet instant historique retentit le riff de basse de New Year’s Day, à l’interprétation nettement supérieure à toutes celles qu’on a pu voir jusqu’à présent sur les autres vidéos du groupe. Bono semble avoir retrouvé sa voix d’adolescent et démontre donc qu’il est resté un chanteur phénoménal. À l’occasion de ce titre, il ramasse le drapeau irlandais jeté sur la scène par un fan et s’en couvre les épaules, chose qu’il avait toujours refusé de faire jusqu’alors. "Fermez les yeux... Et imaginez que c’est Jason McAteer !". C’est que l’équipe nationale de football a gagné l’après-midi même contre les Pays-Bas, le match ayant été diffusé sur écrans géants à Slane Castle pour le public de U2 ! Après ce pur instant de bonheur, un nouveau miracle se produit : U2 joue Out Of Control, issu du tout premier album Boy (1980), le chanteur introduisant le morceau en hurlant : « Nous nous appelons U2, nous venons de Dublin et voici notre premier single ! On espère qu’il vous plaira ! ». Rien ne semble décidément avoir changé, et même si le groupe a pris quelques kilos, rides et millions de dollars depuis le début des années 80 on croit au message délivré par la chanson. S’en suit un Sunday Bloody Sunday toujours aussi revendicatif où Bono fustige l’IRA sous les applaudissements des irlandais. Puis une quirielle de titres excellents avec toutefois quelques temps forts comme lors de l’émouvant Kite, l’apocalyptique Bullet The Blue Sky plus effrayant que jamais et bien entendu l’irrésistible With Or Without You où pour une fois Bono décide de ne pas couvrir de sa sainte sueur une demoiselle choisie dans le public.
Un très bon spectacle au final, sans doute le meilleur concert de U2 filmé à ce jour avec le Live At Red Rocks (1983) pas encore réédité en DVD. Cadrage et montage sont excellents, malgré une qualité d’image parfois un peu décevante (le choix du réalisateur de donner à certaines images un aspect cheap est discutable). Le son, lui, est à la hauteur des attentes d’un public désormais habitué à la perfection en ce qui concerne ce type d’objet. Rien à voir avec le mix approximatif de la réédition DVD de Zoo TV Live From Sidney parue l’année dernière. Côté bonus, on profitera d’une bien belle version de Mysterious Ways jouée ce même soir (on se demande d’ailleurs pourquoi elle n’a pas été ajoutée au reste du concert)... Et on pleurera de rire devant le documentaire Unforgettable Fire ! Ce film, auparavant disponible en VHS, relate l’enregistrement de l’album du même nom en 1984 et particulièrement la génèse du tube Pride (In The Name Of Love). C’est rappelons-le au Slane Castle que cet album a vu le jour, le film en question trouve donc naturellement sa place sur ce DVD. On y voit The Edge triturer ses sons pendant des heures, Adam Clayton et Larry Mullen Jr roupiller en permanence et Bono totalement ridicule de maladresse dans le rôle de l’artiste possédé (on le bafferait volontier). Heureusement, le sage Brian Eno veille au grain ! Un documentaire à réserver au fans du groupe comme à ses détracteurs, chacun y trouvant son compte d’une façon différente.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |