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Vauxhall and I

Vauxhall and I

Morrissey

par Efgé le 5 octobre 2009

4,5

Paru en 1994 (Parlophone)

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Les premières notes du quatrième album solo de Morrissey, Vauxhall and I, ressemblent furieusement à celles d’une chanson d’adieu. Les premières paroles, elles, sont conjuguées au futur – et ce qui va suivre ne s’annonce pas vraiment rose : « there’s gonna be some trouble ».

Il faut dire qu’à cette époque, le beau Moz ne va pas fort. Dans son esprit, son quatrième album solo est le dernier ; son précédent effort, Your Arsenal, au son très rockabilly, il l’avait imaginé pour conquérir l’Amérique, paraît-il. Les Smiths avaient acquis le statut de groupe culte outre-Atlantique, mais Morrissey voulait davantage : un strapontin aux côtés des stars mainstream de l’époque. Que serait devenu Morrissey s’il avait rencontré Janet Jackson ? L’échec – relatif – de l’album et la déception de Morrissey sont en tout cas à la hauteur des attentes que l’artiste plaçait en cet opus.

Le dandy dégingandé n’est pas non plus prophète en son pays : depuis le début de sa carrière solo, les critiques britanniques lui cherchent allègrement des poux dans la tête, profitant d’une discographie, de l’avis de tous, sur la pente descendante – à Viva Hate, qui annonçait des débuts honorables au Mancunien désormais soliste, a succédé quatre ans plus tard Kill Uncle, descendu en flèches par tout ce que le Royaume briton compte de scribouillards musicaux. Globalement, le début des années 90 est assez pourri pour Morrissey : non seulement sa carrière ne décolle pas (euphémisme), mais voilà qu’on lui colle sur le dos une étiquette de raciste, pour avoir brandi après la sortie de Your Arsenal l’Union Jack lors d’un concert devant une foule de skinheads, sur sa chanson National Front Disco (aux paroles un peu cherche-la-merde, faut dire). Et ce n’est pas fini : il se voit à présent traîner devant les tribunaux par ses anciens compères Smiths, Mike Joyce et Andy Rourke, pour une sombre histoire de royalties pas versées. Bref, d’icône pop romantique et glamour, Morrissey, qui doit également surmonter la mort de plusieurs proches, devient un pestiféré dans la perfide Albion.

Vauxhall and I est à la fois le disque de la résignation et de la colère, comme si Morrissey s’avouait vaincu, et en même temps, cherchait à régler ses comptes une dernière fois avant de tirer le rideau. Dans son esprit, au moment où il s’enferme pour six mois dans la campagne anglaise pour enregistrer l’album, c’est clair : Vauxhall and I sera son dernier disque.

Dès le premier titre, Now my heart is full, Morrissey s’affiche comme une personne malade, et il nous convie à son introspection (« Everyone I love in the house / will recline on an analyst’s couch quite soon »). Lui qui consomme des anti-dépresseurs depuis son adolescence, se confie, comme à un journal intime, sur sa solitude, seulement brisée par les témoignages d’affection de ses fans (« Tell all of my friends / I don’t have too many / just some rain-coated lovers’ brothers »). La production grandiloquente de Steve Lillywhite contraste avec le ton quasi-souffreteux des paroles de Moz. Bon, on le connaît, le Moz : il aime bien s’écouter et s’apitoyer sur son sort. N’empêche, même le plus vigoureux des partisans de Philippe de Villiers ne peut pas ne pas s’émouvoir devant cette confession sombre et crue.

Morrissey se voulait grand, il est redescendu à contre-cœur de son piédestal : sur le poisseux Spring-Heeled Jim (référence ironique à Spring-Heeled Jack, super-héros pour petits n’enfants anglais), il mesure le temps qui passe et notre vanité à nous croire immortels ( « Until Jim feels the chill / Oh, where did all the time go ? / Once always in for the kill / now it’s too cold / and he feels too old »). Autre référence, littéraire cette fois-ci, Billy Budd, du nom du dernier ouvrage posthume d’Herman Melville, paru en 1924 : comme le héros du livre, Morrissey souffre, dit-il, d’une incapacité à poser les mots appropriés sur ses émotions – incapacité qui l’entraîne vers sa perte, tout comme le personnage de roman, jeune marin qui finira accroché sur un gibier de potence parce qu’incapable de se défendre de ses accusateurs en raison de son bégaiement (« I would lose both of my legs / if it meant you could be free »).

Quoi faire, alors, quand votre cœur est gros, quand vous réalisez subitement que vous avez vieilli, et que vous périssez à petit feu, dévoré par vos démons intérieurs ? Réponse de Morrissey : accrochez-vous à vos amis, Hold on to your friends, ballade soyeuse et mélancolique, emmenée par les arpèges de la guitare d’Alan Whyte. S’accrocher à ses amis, plutôt que de tomber dans les flatteries de ceux qui vous emmèneront aux cieux avant de vous faire brutalement redescendre, plus bas que terre : Why don’t you find out for yourself, ballade folk déchirante là encore composée par Whyte et totalement réarrangée par Lillywhite, que n’aurait pas reniée Dylan, part en guerre contre : a/ les journalistes b/ les maisons de disques, cochez la case de votre choix (« some men here / they have a special interest / in your career / they wanna help you to grow / and then syphon all your dough »). Une ballade douce-amère qui se termine par un constat cruel : « I’ve been stabbed in the back / so many many times / I don’t have any skin / but that’s the way it goes”. La guerre que Morrissey prétend déclencher, il l’a déjà perdue, malgré la machine à décrocher la première place des charts qu’est l’hymne pré-brit pop The more you ignore me, the closer I get – Baz Boorer sortant de sa guitare un riff dont Noel Gallagher rêve encore parfois pendant ses nuits.

La deuxième partie de l’album est plus convenue musicalement - les bluettes I am hated for loving, où il répond aux rumeurs sur son homosexualité, et The Lazy sunbathers (aargh, les grands de ce monde sont tous méchants, Olivier Besancenot doit faire tourner ça en boucle sur son iPod). Morrissey a encore deux perles à révéler : Lifeguard sleeping, girl drowning, comptine fragile et vicieuse enrubannée de clarinettes, où la jeune fille en train de se noyer pourrait bien être Moz lui-même (« Always looking for attention / Always need to be mentioned / […] she swam too far against the tide / she deserves all she gets »). Et surtout Speedway, dans laquelle Morrissey revient une dernière fois sur son image écornée par la justice, et qui introduit un instrument trop rarement utilisé : la tronçonneuse. Dans ses paroles, Morrissey confesse d’une manière plutôt énigmatique : « All of the rumours keeping me grounded / I never said / That they were completely unfounded ». Aveu ? Acte de contrition ? Morrissey clame lui-même la sentence : « guilt by implication / by association », dans les derniers mots de la chanson, qu’on jurerait adressés à ses anciens frères d’armes Smiths (« I could have mentioned your name / I could have dragged you in / I’ve always been true to you / in my own strange way »). Comme Jean-Jacques Rousseau dans ses Confessions, le bon Moz nous convainc de la sincérité de son entreprise. L’album se termine sur une promesse : « I’ll always stay true to you », et dans un déchaînement de cordes et d’orgues, ponctués par une batterie martiale – un crescendo inexorable qui se termine par un claquement de fût sec et définitif.

Puis le silence. Idéal pour terminer une carrière en beauté, pensait Morrissey. A tort : l’album, toujours considéré comme son meilleur, le fera revenir sur le devant de la scène et obtenir, enfin, le succès solo tant mérité. Mais la renaissance sera de courte durée : ses deux albums suivants seront des flops commerciaux. S’ensuivra alors un silence de près de dix ans. Morrissey, qui personnifie à merveille la théorie du yo-yo appliquée à la musique, aura au mois une fois tutoyé les sommets avec son seul nom. C’est déjà ça.



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Tracklisting :
 
1. Now My Heart Is Full (4:57)
2. Spring-Heeled Jim (3:47)
3. Billy Budd (2:08)
4. Hold On To Your Friends (4:02)
5. The More You Ignore Me, The Closer I Get (3:44)
6. Why Don’t You Find Out For Yourself (3:20)
7. I Am Hated For Loving (3:41)
8. Lifeguard Sleeping, Girl Drowning (3:42)
9. Used To Be a Sweet Boy (2:49)
10. The Lazy Sunbathers (3:08)
11. Speedway (4:30)
 
Durée totale : 39:51